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Lourd sur les épaules

Les femmes d’Afrique de l’Ouest portent beaucoup de responsabilités. Le contexte culturel et économique est loin de favoriser le partage

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Les femmes d’Afrique de l’Ouest portent beaucoup de responsabilités. Le contexte culturel et économique est loin de favoriser le partage. M’Bene, Céline, Élizabeth, Florence, Marie-Odile et Fatoumata viennent du Sénégal, du Burkina Faso, du Zaïre, du Bénin et du Mali. Elles sont fonctionnaires, chercheuses ou encore professeures. Elles ont en commun deux choses : la langue française, don des colonisateurs, et leur engagement dans un projet de développement adapté aux besoins des femmes de leur pays. Participant à un atelier international sur les femmes et le développement tenu à l’Université Laval, elles ont accepté de parler de leurs consœurs, de faire le point sur leur situation. Émaillant la discussion de renseignements sur ces projets de développement, elles ont raconté tantôt gravement, tantôt en riant, la vie des femmes de là-bas.

En ville et à la campagne

« La description très sombre qui est faite des conditions de vie des femmes à la campagne est une réalité. On ne peut la cacher » , admettent Céline et M’Bene. Ces conditions difficiles sont d’ailleurs accentuées par les sécheresses, telle celle qui sévit actuellement au Sénégal, précise M’Bene. « La femme première levée, dernière couchée, c’est toujours vrai. Les marches interminables pour trouver du bois et de l’eau, c’est courant » . Étant donné l’impact de l’environnement sur les conditions de vie des femmes, il était logique pour M’Bene de travailler à stopper la dégradation des ressources naturelles. Son projet consiste à favoriser le reboisement de certains espaces en tenant compte du rôle des femmes dans l’organisation de la vie quotidienne. Autre situation qui persiste : les femmes demeurent les seules responsables de la famille et de sa survie. « Comment vais-je faire pour nourrir et habiller les petits? » C’est la question qui hante le cœur de chaque femme alors que le mari, souvent, a quitté à la recherche d’un emploi. L’exode rural des hommes est de plus en plus répandu. Et malheureusement, contrairement à ce qu’ils espèrent, les hommes ne trouvent pas d’emploi loin de leur terre. Ils ne font qu’élargir les rangs des chômeurs. Les femmes restent seules avec les enfants… et les problèmes. Elles ont alors un rôle clé en tant que productrices agricoles. Malheureusement, outre le fait que les programmes traditionnels d’aide ne tiennent pas compte des femmes, ces dernières n’ont pas non plus accès au crédit. Comme les femmes qui souhaiteraient ouvrir un petit commerce ou partir une entreprise, les productrices agricoles sont freinées dans leurs aspirations. Florence a décidé de s’attaquer à ce problème. « La loi en vigueur considère la femme comme étant incapable de prendre un engagement de nature économique, explique-t-elle. On exige des garanties que les femmes n’ont pas, car tous les biens de la famille sont au nom du mari. On considère la femme comme une enfant et d’ailleurs devant la loi, dans nos pays, l’enfant a beaucoup plus d’importance que la femme. On en a un bel exemple avec l’héritage. Ce sont les enfants qui héritent lors du décès d’un père, jamais l’épouse. Et si une femme n’a pas d’enfants, tous les biens de son mari reviennent à sa famille à lui. » Florence veut créer un fonds de garantie, mis à la disposition des institutions financières qui prêtent aux femmes. Quand une femme sollicite un crédit productif, sa participation est de 25% et le fonds couvre l’emprunteuse à 75% . C’est un projet qui s’inscrit dans la tradition des tontines, ces organisations collectives d’épargne-crédit où chaque membre dépose à intervalles réguliers un montant prédéterminé, et en reçoit la totalité à tour de rôle. Sur le plan de la santé, l’éloignement est un handicap sérieux. « certains villages, explique Fatoumata, une fille est désignée pour devenir matrone. Les villageoises et les villageois sont ainsi assurés d’obtenir les premiers soins. Le problème c’est que dans bien des cas, une évacuation sera nécessaire et celle-ci ne se fera pas toujours à temps pour sauver la personne. » La situation est tout autre en ville où les femmes ont des conditions de vie et de travail moins difficiles. Certaines, une petite minorité, il faut bien le dire, ont même accès à un travail salarié. Les plus chanceuses sont embauchées par la fonction publique. Au cours des dernières années, les administrations gouvernementales ont ouvert leurs portes aux femmes, adaptant même le principe « à travail égal, salaire égal ». Le problème, rappellent avec insistance les interlocutrices africaines, c’est que les mesures adoptées depuis quelques années par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont forcé les pays en développement à freiner la croissance de l’appareil d’État. Conséquences : on a limité l’embauche et on a même procédé dans certains cas à des mises à pied. Les femmes fraîchement arrivées ont donc été les premières à prendre le chemin de la sortie. La majorité des citadines travaillent cependant dans le secteur privé. Si elles y sont de plus en plus nombreuses, elles doivent encore surmonter les préjugés ancestraux, prouver leur compétence, se battre pour avoir une promotion. De plus, elles ont un salaire moins élevé que la plupart des hommes, peu importe leur emploi. C’est pourquoi Fatoumata a développé un projet qui consiste, entre autres, à réinsérer des jeunes chômeuses diplômées dans des emplois dits masculins plus reconnus et plus rémunérateurs. Malgré qu’elle puisse habituellement compter sur une personne fiable pour prendre soin de ses enfants (mère, sœur, cousine, belle-mère), la travailleuse africaine est la seule qui s’absente lorsqu’un des deux parents doit être au chevet d’un enfant malade. « Le père, même s’il adore ses enfants, ne quitte pas son travail pour une question familiale », dira MarieOdile. Cette obligation de s’absenter nuit évidemment aux femmes lorsque arrive le temps des promotions. L’absentéisme est de plus accentué par les obligations morales des femmes face à la famille élargie au sein de laquelle elles vivent. Selon la coutume, si la belle-mère est malade, la belle-fille doit rester près d’elle. Les femmes sont donc confrontées à un dilemme : risquer gros au travail en cas d’absence ou recevoir l’opprobre de tout le clan familial si elles privilégient leur carrière. Interrogées sur leurs préoccupations plus personnelles, la Sénégalaise autant que la Malienne et la Zaïroise disent vouloir « retrouver du temps pour s’occuper des enfants et leur donner une meilleure qualité de vie » . Un air connu, non? Et puis, phénomène nouveau, « de voir comment on peut assumer nos obligations morales envers les parents, frères, sœurs, neveux, nièces… qui rappliquent pour avoir de l’aide en voyant que nous on s’en est sorties ». Si toutes veulent bien aider, elles trouvent lourd d’être ainsi partagées entre leurs responsabilités familiales et leurs ambitions professionnelles.

Santé, un peu d’espoir

Si la vie est moins difficile en ville en ce qui a trait au travail, il en est de même, m’explique-t-on, pour les services de santé qui sont plus accessibles qu’à la campagne. De façon générale, on convient que si ce n’était du paludisme et de la malaria qui créent encore des ravages, on pourrait enfin voir la lumière au bout du tunnel. Évidemment, le sida touche des milliers de personnes en Afrique et, comme ici, il semble qu’on investit beaucoup dans des campagnes de sensibilisation. « Il faut d’abord contrer l’idée fort répandue que ce sont les personnes de mauvaise vie qui attrapent la maladie. C’est encore vu comme une maladie honteuse » , explique Élizabeth. Côté reproduction, les femmes comme les hommes des milieux intellectuels veulent avoir moins d’enfants. Les femmes qui font du commerce ont elles aussi emboîté le pas quant à ce choix de limiter les naissances. Plus la survie de celles et de ceux qui naissent sera assurée, plus le phénomène s’enracinera, croient les Africaines.

L’éducation des filles

Au cours des dernières années, la scolarisation s’est améliorée partout en Afrique, pour les filles en particulier. Les mœurs ont changé et les parents encouragent leurs filles à poursuivre des études, mais en même temps, on remarque un problème de déperdition scolaire à cause des grossesses précoces. C’est une situation à laquelle il faudra s’attaquer très sérieusement, mentionnent les interlocutrices du monde scolaire. Chez les couples plus aisés, on remarque par ailleurs un nouveau comportement : l’inscription des enfants dans des écoles privées qui coûtent cher mais qui offriraient un encadrement nettement supérieur. Ce phénomène, fait-on remarquer, concourt à une baisse de la natalité dans ce milieu.

Violence, sujet délicat

« La violence, c’est du luxe, lance Céline. Le pain sec est la priorité. » Les interlocutrices africaines finissent par admettre que la violence existe bel et bien en paroles et en coups. Elles sont cependant étonnées de l’importance de notre préoccupation face à ce problème, n’hésitant pas à déclarer que c’est notre individualisme qui donne au phénomène son côté tragique. Chez elles, assurent-elles, la famille est là pour les protéger. Ainsi dira l’une : « Si mon mari lève la main sur moi, mon frère ira le voir. Il lui dira : « Une fois ça passe, mais si tu veux en faire ton travail, ça ne va pas. » « Par-dessus tout, notre objectif, c’est que nos sœurs accèdent aux études, au crédit et à un travail qui les intéresse » , déclare Fatoumata. Pour cela, elles ont chacune élaboré un projet de développement. Par leurs projets, ces militantes féministes forcent le gouvernement de leur pays et les organisations d’aide internationale à redéfinir leur conception de la place des femmes dans l’organisation sociale. Elles aident leurs consœurs à se tailler une meilleure place au soleil et contribuent du même coup à améliorer l’avenir d’un continent.