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Les dessous de la chirurgie esthétique

Correction du nez, aspiration des surplus de graisse, greffe de cheveux, augmentation du volume des seins, la liste de ce qu’on peut obtenir au comptoir de la beauté instantanée, ou presque, ne cesse de s’allonger.

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Correction du nez, aspiration des surplus de graisse, greffe de cheveux, augmentation du volume des seins, la liste de ce qu’on peut obtenir au comptoir de la beauté instantanée, ou presque, ne cesse de s’allonger. On supporte de moins en moins un profil disgracieux, des kilos en trop et, surtout, la marque des ans sur son visage. Devenons-nous esclaves du paraître? Au Québec, une centaine de chirurgiens-plasticiens pratiquent chaque année plus de 20. 000 opérations de nature « esthétique ou cosmétique », un marché évalué à 40 millions de dollars. Au Canada, en 1987, on estimait le marché de la beauté, produits diète et cures de rajeunissement inclus, à 3 milliards de dollars. Comme la rémunération est très avantageuse, tous les plasticiens sont intéressés à faire un certain volume de chirurgie esthétique. Louise Duranceau, présidente de l’Association des chirurgiens-plasticiens, en donne un exemple : « Un spécialiste de microchirurgie, après douze heures en salle d’opération, aura fait moins d’argent qu’en effectuant une opération relativement simple aux seins qui ne lui prendra que deux heures » , assure-t-elle. La clientèle de ces spécialistes s’est modifiée avec les années. Alors qu’au début ces interventions s’adressaient à des femmes riches et âgées, la chirurgie esthétique attire maintenant des femmes de toutes les couches sociales, de différentes professions et de tout âge. Elle intéresse également peu à peu les hommes qui comptent pour 15% de la clientèle au Québec et 30% en France. Différents facteurs contribuent à ce phénomène : l’amélioration incontestable des techniques chirurgicales, l’augmentation des revenus des femmes et, surtout, une obsession de beauté, de minceur et de jeunesse caractéristique de notre société, où la personnalité narcissique est pratiquement la norme, où les valeurs largement véhiculées par les médias et dans la publicité, entre autres, relèvent plus du paraître que de l’être. Pierrette Courtois, du Centre de santé des femmes de Sherbrooke, s’est penchée sur cette question d’image pour animer des ateliers sur l’obsession de la minceur. « Depuis le Moyen-Age, le seul modèle social qui soit proposé aux femmes est produit par des hommes et à toutes les époques, les femmes ont adhéré à ces modèles, explique-t-elle. Quoiqu’elles s’en défendent, leur objectif premier, c’est de plaire aux hommes » . Pour certaines femmes, les pratiques de chirurgie cosmétique apparaissent comme un outil pour se libérer des contraintes de l’hérédité et du vieillissement, mais pour d’autres, comme la philosophe Kathryn Pauly Morgan, il n’en est rien. Il s’agit plutôt d’un instrument d’uniformisation d’une société blanche, occidentale et raciste : on blanchit la peau des Noires, et on occidentalise les yeux des Japonaises. Bref, on assiste à la normalisation du corps féminin qui ne doit surtout pas trahir les événements qui marquent sa vie : la puberté, les grossesses et la ménopause :

Quand jeunesse égale performance

« Depuis que les femmes ont accédé en masse au marché du travail, c’est tout leur espace social qui s’est transformé, affirme Sophie-Laurence Lamontagne, ethnologue. Alors qu’autrefois leur vie sociale se passait à la maison, les femmes se retrouvent aujourd’hui dans un environnement professionnel où jeunesse est synonyme de compétence, d’aptitude et de dynamisme, poursuit-elle. De plus en plus, avoir l’air en forme est une condition pour garder sa job ».
L’image exerce une véritable tyrannie sur les femmes, surtout sur celles qui, par leur métier, sont constamment exposées au feu des projecteurs. Journalistes télé, politiciennes, comédiennes, animatrices sont à la merci de la moindre ride, des poches sous les yeux ou des bourrelets disgracieux. L’été dernier, l’ex-ministre Barbara McDougall dépensait quelque 23. 000 dollars à même des fonds publics pour des photos où elle aurait l’air débordante d’énergie malgré son âge. Il ne faut surtout pas vieillir. Selon Danielle Bourque, psychologue, auteure du livre A 10 kilos du bonheur, on a toujours exigé des femmes qu’elles soient belles. « L’émancipation n’a pas changé cette réalité, dit-elle. Il n’y a pas moyen d’être juste ce qu’on est : une femme peut être députée, il y aura toujours une petite phrase qui viendra souligner son apparence » . Cela est particulièrement vrai pour les comédiennes, qui composent une partie importante de la clientèle de certains plasticiens. La comédienne Nathalie Gascon avoue avoir changé d’attitude à ce sujet. « Je ne sais pas si j’y aurais recours, mais je ne porte plus de jugements comme je le faisais quand j’ai commencé dans ce métier, avoue-t-elle. Au cinéma, si tu joues dans une scène le moindrement dénudée, ton corps doit être parfait : c’est le seul esthétisme permis. Tu ne peux pas tourner une scène d’amour avec des seins tombants. Au théâtre, on ne retrouve pas cette exigence. A la télé, c’est encore pire, poursuit Nathalie Gascon. Les éclairages manquent de subtilité, ce qui te vieillit de dix ans. Moi, la dernière fois que je me suis vue, j’ai eu un choc et pourtant, je ne suis pas encore à un âge difficile » . Heureusement, tout le monde s’accorde à dire que la ruée vers la chirurgie plastique n’atteint pas ici les mêmes sommets de délire qu’aux États-Unis. La comédienne Cher, avec d’innombrables retouches corporelles, dont l’ablation des côtes flottantes pour affiner sa taille, lifting de la peau de l’abdomen, implants de plastique et injections de silicone pour remodeler menton et pommettes, liposuccion aux cuisses, en est un exemple frappant. Raquel Welch a, pour sa part, subi 22 interventions. Une fois prises dans cet engrenage, certaines personnes semblent ne jamais pouvoir s’en sortir, le corps idéal n’étant jamais accessible. Nathalie Gascon fait remarquer que les actrices n’ont pas le droit de vieillir aux yeux de certains réalisateurs. « C’est sans doute ce qui pousse certaines femmes à l’excès lorsqu’elles se font refaire le corps ou le visage ».

L’impératif amoureux

Le travail n’est pas le seul domaine où l’on exige jeunesse et beauté. La précarité des rapports amoureux et, comme le souligne Sophie-Laurence Lamontagne, l’obligation de repartir à zéro trois ou quatre fois dans sa vie amènent bien souvent les gens en chirurgie. « Il n’y a pas de négligence possible avec son corps, insiste-t-elle. C’est le premier regard qui compte. Un homme avec une grosse bedaine et un triple menton pourra être le plus gentil au monde, c’est quand même lui qui va passer en dernier » . Danielle Bourque, toutefois, refuse d’adhérer à la tyrannie du paraître. « Objectivement, il est certain qu’une personne de belle apparence a plus de chances de rencontrer quelqu’un, observe-t-elle, mais cela ne doit pas nous faire négliger un élément subjectif très important : la grande solitude de beaucoup de gens. C’est un piège que d’attribuer cette solitude au fait d’être trop grosse, trop ridée ou trop vieille. Cette situation parle plus de notre désarroi, de notre difficulté à établir des liens d’intimité. Certaines femmes croient que seules celles qui correspondent aux normes de beauté feront des rencontres intéressantes. Quand je regarde autour de moi, les gens qui sont en couple ont toutes sortes d’allures » . Souvent, les femmes se présentent en clinique lorsqu’il y a menace de rupture dans leur couple. « Ce n’est pas en se faisant arranger le visage qu’on va rattraper l’intérêt vacillant d’un conjoint » , soutient Louise Duranceau. Danielle Bourque abonde dans le même sens. « Une femme risque fort bien de se retrouver avec ce que j’appelle le prix de consolation Linda Evans, explique-t-elle. Cette actrice américaine, considérée par plusieurs comme l’une des plus belles femmes au monde, avait remplacé Ursula Andress dans le cœur du réalisateur John Derek. Mais vint le jour où elle fut elle aussi supplantée par une plus jeune et plus jolie, Bo Derek. Les femmes tentent de fuir le vieillissement en se remodelant le corps et l’homme, en changeant de femme explique la psychologue. C’est extrêmement précaire de baser ses rapports amoureux sur son apparence ».

Un regard sur soi

A la recherche de la beauté parfaite, la chirurgie esthétique transforme le corps en un objet de plus en plus artificiel. Mais pour qui? Parfois, les femmes ont du mal à accepter leur reflet dans la glace parce qu’il ne correspond pas à l’idée qu’elles se font de leur personne. C’est ainsi que Martine à 36 ans, s’est résolue à subir une augmentation mammaire après y avoir réfléchi pendant un an et rencontré plusieurs chirurgiens. « Je n’arrivais pas à me reconnaître, raconte-t-elle, il me semblait que je ne me ressemblais plus. Martine se dit extrêmement satisfaite de son opération, de même que Sonia, qui a subi une chirurgie des paupières inférieures » . « Ça faisait des années que j’avais des poches sous les yeux et comme j’ai une copine qui a subi avec succès cette opération aux paupières supérieures, qui avait très bien réussi, je me suis dit : Pourquoi pas moi? Je ne m’en suis pas cachée. Pour moi, c’est comme me faire couper les cheveux, c’est m’occuper de mon apparence » . Par ailleurs, malgré les innovations chirurgicales, il y a parfois des ratages spectaculaires. L’an dernier l’actrice Laura Antonelli a créé tout un émoi après avoir été défigurée par une allergie à un traitement antirides. Comme toute opération ces interventions comportent des risques d’infection, d’hémorragie, de mauvaise cicatrisation et parfois… de résultats désastreux. Sophie-Laurence Lamontagne affirme que le jugement des autres sur soi est terrible. « On sent ce que ce regard projette, dit-elle. C’est alors qu’on va en chirurgie, pour combler l’inadéquation entre l’intérieur et l’extérieur. On se sent jeune à l’intérieur, mais l’extérieur donne une impression de vieille carrosserie » . La demande pourrait devenir tyrannique. Il ne faut pas sortir avec son front ridé, ses yeux pochés, comme si c’était une politesse qu’on devait aux autres. Lors du Forum sur la santé des femmes tenu à Montréal, en novembre 1992, Pierrette Courtois s’est sentie désarmée face aux nombreux témoignages de femmes en faveur de la chirurgie esthétique. « Il y avait même une jeune fille de 25 ans qui ne s’est engagée dans la carrière qu’elle désirait qu’après être passée sous le bistouri du chirurgien, raconte-t-elle. Pour elle, c’était primordial. On s’est fait reprocher de ne pas répondre à ces femmes, mais on n’a pas d’arguments à apporter face à ces témoignages ». Dominique Daigneault, du Centre des femmes de Verdun, prononçait, une conférence sur l’obsession de la minceur à ce même Forum. « Ce ne sont pas les femmes qui ont tort de se mutiler pour correspondre à certains idéaux de beauté, affirme-t-elle, c’est l’industrie et tout le tissu social sur lequel repose cette idéologie. On leur fait comprendre de plusieurs façons qu’elles sont coupables d’être telles qu’elles sont. C’est quelque chose qu’on remarque quand une femme perd du poids après avoir suivi un régime, poursuit-elle. Elle devient tellement euphorique, elle se sent bien car enfin, tout son entourage lui souligne qu’elle paraît mieux » . Quoique la vague esthétisante soit très forte, ce n’est pas toutes les femmes qui y adhèrent. « Je crois qu’avoir recours à la chirurgie, ça ne me ferait voir le vieillissement que dans ses pertes, affirme Danielle Bourque. J’ai passé 25 ans de ma vie à vouloir maigrir, et quand, à la suite d’un jeûne, j’ai eu une perte de poids importante j’ai vu d’autres choses de moi qui m’agaçaient. C’est comme si j’avais ouvert la voie à quelque chose de fébrile, d’inassouvissable. C’est pour ne pas vieillir dans cette angoisse-là que je refuse la chirurgie. Je sens que ça me ferait manquer quelque chose d’important. A 50 ans, j’aimerais ça être une belle femme de 50 ans » .