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Nouvelle espèce — Les éco féministes

Depuis des lunes le féminisme donne de bonnes raisons de vouloir « changer le monde ».

Date de publication :

Depuis des lunes le féminisme donne de bonnes raisons de vouloir « changer le monde ». Une intention tout aussi répandue dans le milieu environnemental. Normal que le lien entre les deux mouvements semble se nouer. Nous sommes en 1996, au beau milieu d’une audience publique sur la gestion des déchets au Québec. Les commissaires, experts, représentants de ministères ou de groupes d’intérêt s’alignent devant les micros de la tribune. Tous des hommes! — outre la présidente de la Commission. Debout, aux micros dévolus aux membres de l’assistance, d’autres hommes attendent leur tour pour parler. Tout à coup, du fond de la salle, monte le rire étouffé d’une dizaine de femmes œuvrant dans les mêmes organismes que les hommes-des-micros. Elles viennent de saisir tout le comique de la situation. Scientifiques, environnementalistes ou gestionnaires, elles se sont souvent croisées; elles connaissent la valeur de leur apport au dossier, l’ampleur de leur influence souvent « invisible » et, surtout, leur sensibilité de femmes sur les questions environnementales. Les filles-du-fond-de-la-salle se serrent les coudes et conviennent de se revoir. Elles formeront bientôt leur propre forum, non officiel et provisoire, se baptisant avec humour les « déesses des déchets » (DDD — sigle pour « déchets domestiques dangereux »). Dans les semaines qui suivent, au fil de leurs assemblées de cuisine, les DDD réussiront à partager un maximum de renseignements, à influer, par leur solidarité, sur les mémoires présentés et, indirectement, à teinter les recommandations du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement. Résultat : elles ont fait progresser le dossier des déchets comme jamais! « Cette expérience m’a vraiment donné envie de militer au sein d’un groupe environnemental de femmes » , avoue Liliane Cotnoir, alors présidente du Front commun pour une gestion écologique des déchets. Un colloque sur les liens entre la santé des femmes et la pollution du Saint-Laurent, tenu en 1998, ravive cette petite flamme. À cette occasion, les participantes concluent à la nécessité de donner une voix forte aux femmes inquiètes des risques sanitaires associés aux contaminants, notamment ceux qu’on trouve dans le fleuve. Ainsi, semée deux fois plutôt qu’une, la graine finit par germer. En février 2000, le Réseau québécois des femmes en environnement (RQFE), qui regroupe 150 membres, est officiellement créé. Sa présidente fondatrice? Liliane Cotnoir. Sa mission : réunir les femmes qui se préoccupent de l’environnement, tout en renforçant leur capacité à… prendre le micro et à diffuser de l’information sur les enjeux environnementaux et en santé. Des objectifs que partagent les autres groupes de femmes en environnement du monde entier. Car l’expérience du Québec n’est pas unique. On assiste depuis une douzaine d’années à la naissance d’organismes comme le Women’s Health and Environment Network (WHEN) en Ontario, le Women’s Environmental Network en Angleterre, ou le MAMA-86, en Ukraine, qui rassemble les mères inquiètes des conséquences de Chernobyl. Les « vertes » font leur chemin et ont beaucoup à apporter, comme l’écrit l’organisme Women Watch (Nations Unies) : « Les femmes ont un rôle fondamental à jouer dans l’adoption de modes de consommation, de gestion des ressources naturelles et de productions durables et écologiquement rationnels. » Ce rôle est d’autant plus crucial que le dossier alimentaire ravive plus que jamais les préoccupations environnementales : on craint la contamination de l’eau potable, de la viande et du poisson, on s’interroge sur l’identité génétique des légumes. Bref, notre assiette est devenue suspecte. D’où vient ce vent de féminisme qui souffle sur le mouvement environnemental? « Le féminisme a beaucoup à nous apporter » , affirme Elizabeth May, directrice de Sierra Club Canada, important groupe écologiste (mixte), complice du WHEN comme du RQFE. « Ses principes de base, comme l’égalité, le partage équitable et l’accès démocratique au pouvoir, sont au cœur des changements qui nous permettront de stopper la destruction de la planète. » Il est justement question de féminisme au Sierra Club pendant qu’on cherche à définir la position à prendre quant à la surpopulation mondiale comme facteur d’épuisement des ressources planétaires. Prôner un meilleur contrôle gouvernemental des naissances est tentant mais… autoritaire. Le groupe penche plutôt en faveur de l’accès des femmes à l’éducation qui entraîne à moyen terme une baisse de la natalité. « Pour la première fois de son histoire, le Sierra Club adopte une approche carrément féministe », se réjouit Mme May. Quand on connaît le poids politique du groupe, on peut assumer que les organismes de développement auront là de solides partenaires. Le lien entre les deux mouvements semble se nouer. Depuis des lunes le féminisme donne de bonnes raisons de vouloir « changer le monde », une intention tout aussi répandue dans le milieu environnemental. L’un et l’autre remettent en cause un système où le profit à court terme est plus important que les humains, rappelle Mariangela Di Domenico, agente de recherche au Conseil du statut de la femme et membre du RQFE. « Obtenir l’équité salariale sur une planète en train d’agoniser ne donnerait rien. L’environnement est le support de la vie… Il faut mener la bataille sur les deux fronts » ! C’est dans cette optique que le Réseau québécois des femmes en environnement a consacré une partie de sa première année d’existence à servir d’interface au milieu environnemental québécois et à la Marche mondiale des femmes de l’an 2000, organisée par la Fédération des femmes du Québec. Aux verts, le RQFE a fait connaître les revendications féministes. Puis, il a aidé les organisatrices de la Marche à trouver les ressources régionales permettant d’incorporer un volet récupération-recyclage aux activités : sensibilisation, vaisselle lavable et poubelles à recyclage ont ainsi été à l’honneur, des Laurentides jusqu’au Bas-Saint-Laurent. Grâce à cette expérience, le RQFE vient de publier un guide de récupération et recyclage destiné aux personnes qui organisent des événements publics. Évidemment, les militantes ne partagent pas toutes les mêmes convictions féministes par rapport à l’environnement. « Nos membres présentent une large gamme de positions », observe Liliane Cotnoir. On y trouve aussi bien l’écoféministe pure (qui voit dans la protection de la nature une prolongation du rôle social de la maternité) que l’environnementaliste en quête d’une simple solidarité féminine, en passant par celle qui revendique plus d’accès au pouvoir pour les « vertes ». « L’expérience m’a appris que les discussions houleuses, où s’exprime une bonne diversité de tendances, permettent à chacune de pousser plus loin sa réflexion », note la présidente. Se demander si, pour les femmes, la grossesse et les soins aux enfants donne un sens particulier au concept de développement durable lui apparaît intéressant dans la mesure où la question ne mène pas à une appropriation exclusive de leur part. « Nous avons tout intérêt à partager ce souci des générations futures avec les hommes ». L’apport du féminisme en environnement amène un nouvel éclairage. On cherche notamment à brosser le portrait de celles qui sont actives dans le domaine. « Pour le moment, nous ne savons pas si elles sont nombreuses au Québec, ni même quels postes elles occupent dans les groupes de pression », observe Liliane Cotnoir. À ce compte-là, il est difficile de mesurer la contribution des femmes à la politique environnementale, ou de revendiquer pour elles une meilleure place. Aussi, on se demande désormais quelle est leur responsabilité particulière au chapitre des problèmes environnementaux. Les études sur la question sont rarissimes — par exemple sur l’effet de serre, largement attribuable à l’automobile. On dit que les femmes en possèdent moins que les hommes et qu’elles se tournent plus souvent vers le transport en commun. Mais quel est le portrait précis des habitudes de transport des femmes et quelles sont les raisons qui les sous-tendent? Leur rattrapage économique passe-t-il nécessairement par un plus grand recours à l’automobile? « Ce qu’on sait, en tout cas, c’est que les fabricants de voitures ont maintenant les jeunes et les femmes dans leur mire », assure Johanne Filion, membre du conseil d’administration du RQFEet ancienne directrice de Greenpeace Québec. Un objectif manifeste dans la publicité qui vante, par exemple, la sécurité des fourgonnettes, un message réputé plaire aux conductrices. Mais qui passe sous silence la quantité de gaz à effet de serre qu’émettent ces gros véhicules… Le portrait est tout aussi flou en ce qui a trait aux conséquences sur les femmes de la piètre qualité de l’environnement. En particulier, on a longtemps négligé travailleuses et consommatrices dans les études d’impact des contaminants sur la santé (voir l’encadré Égaux devant la pollution? Que non!). « Les consignes de limites de consommation de poisson du Saint-Laurent pour cause de contamination visent nommément les femmes en âge de procréer et les enfants; elles ont pourtant peu d’information à ce sujet », déplore Liliane Cotnoir. Le RQFEvient donc de produire un dépliant (voir l’encadré La « sale douzaine ») qui présente les polluants organiques persistants (POP), ces produits chimiques provenant souvent des pesticides qui rejoignent les cours d’eau à chaque orage. La plupart des POP associés à certaines maladies, comme l’endométriose ou le cancer du sein, sont désormais bannis au Canada. Mais ils nous parviennent toujours, transportés par l’air et l’eau, ou simplement emmagasinés dans la graisse des animaux que nous consommons. « Et dire que je me fais haïr des enfants en leur servant du poisson et du broccoli », soupire d’un air comique une participante à une réunion du RQFE. La pollution court-circuite bien de bonnes intentions maternelles quand on sait, de plus, que la mère qui allaite transmet au nourrisson tout un cocktail de contaminants (BPC, DDE et autres organo-chlorés). Pourtant, mieux vaut préférer l’allaitement maternel, la consommation de poissons contaminés ou de légumes cultivés à grand renfort de produits chimiques à la poutine chère aux adolescents! Quant à la solution des aliments biologiques, elle a l’avantage d’encourager un mode de production agricole compatible avec la protection de l’environnement. Mais ces aliments « naturels » coûtent chers, rappelle Donna Mergler, neurotoxicologue à l’Université du Québec à Montréal. « Alors à quoi bon, si mon voisin n’a pas les moyens de les acheter? » C’est tout le système de production des aliments qu’il faut revoir. Les liens entre l’environnement et la santé des femmes est au centre des préoccupations du Réseau qui est à organiser une série d’ateliers sur la question. Une façon de mettre la table pour 2002, moment où le groupe tiendra un colloque international sur le sujet. « Ni les ateliers ni le colloque ne seront destinés aux experts, promet Liliane Cotnoir. Nous voulons sensibiliser le mouvement des femmes à la composante environnementale de leurs préoccupations traditionnelles. » En particulier les groupes qui s’intéressent au cancer du sein, à la santé des femmes ou aux conditions des travailleuses. L’année 2002 marquera sans doute une étape importante pour le RQFEpuisque ce sera également l’année du Sommet de la Terre à Johannesburg (Afrique du sud). Dix ans après le premier Sommet à Rio de Janeiro (Brésil) — et plusieurs promesses non tenues —, les représentants des gouvernements retourneront sous les feux de la rampe pour dresser le bilan des engagements de Rio et pour ouvrir de nouvelles avenues. Ce sera l’occasion pour les femmes en environnement de faire de même. En janvier dernier, Liliane Cotnoir s’est rendue à Berlin où se déroulait la première rencontre préparatoire au Sommet de 2002. S’y sont retrouvées 55 femmes d’une douzaine de pays industrialisés et en développement. « Nous avons surtout cherché à dégager une vision commune du développement durable et à nous entendre sur l’importance de l’approche féministe », rapporte-t-elle. Les prochains mois diront si cette perspective trouvera un écho au Sommet.

Qu’est-ce que l’écoféminisme, anyway?

« Le féminisme écologique est une nouvelle façon de penser la nature, la politique et la spiritualité. Les écoféministes croient que la domination des femmes est directement liée au viol de l’environnement. Il est né au début des années 70, quand les Occidentales ont perdu leurs illusions sur les idéologies de l’époque. Le mouvement environnemental manquait d’analyse féministe. Le féminisme se souciait peu de la nature. Et la gauche ne portait attention ni aux femmes, ni aux animaux, ni à l’écologie. Les organisations politiques incluaient rarement de composantes spirituelles, et très peu de groupes spirituels cultivaient une conscience politique. Dans une tentative de tout englober, l’approche interdisciplinaire de l’écoféminisme inclut la politique, la spiritualité, la nature et une compréhension prépatriarcale de l’histoire. Activistes, les écoféministes essaient de sauver l’environnement et de protéger les droits des animaux. Intellectuelles, elles élaborent de nouvelles théories basées sur la nature pour élargir l’analyse des enjeux traditionnels comme la race, la classe, le genre. Et pourtant, il n’y a pas de définition unique de l’écoféminisme. Dans un continuum qui va du politique au spirituel, de l’académique au militantisme local, on trouve des activistes véhémentes, d’autres qui réinventent une pratique spirituelle, des radicales sans compromis et des femmes qui œuvrent dans un cadre plus traditionnel. » (Extrait de What Is Ecofeminism Anyway?)

Égaux devant la pollution? Que non!

Femmes et hommes sont-ils égaux devant la pollution? Que non. « Jusqu’à tout récemment, les femmes étaient écartées de la plupart des recherches sur la santé environnementale », affirme Donna Mergler, neurotoxicologue à l’Université du Québec à Montréal. Il faut dire que les études sur la question ont surtout été menées dans le milieu de travail des secteurs primaire et secondaire : une usine de produits chimiques, une autre faisant grand usage de solvants, une mine d’uranium, etc. Un milieu majoritairement masculin, caractérisé par un syndicat fort qui permettait l’intrusion d’équipes de recherche malgré la réticence de l’employeur. Résultat : les hommes surtout ont été scrutés à la loupe. Les conclusions concernant l’exposition des travailleurs à certains contaminants ont ensuite été généralisées à toute la population, sans égard au sexe. Les hommes sont aussi plus souvent utilisés que la gent féminine comme groupes cibles en santé environnementale. La raison? Une recherche exagérée d’homogénéité. Car il faut, en science, réduire au minimum les éléments qui feront varier « inutilement » les données lorsqu’on compare deux groupes — en l’occurrence, l’un mis en contact avec des contaminants et l’autre non. Or, la rate de labo, la guenon cobaye ou la femme présentent toutes une grande variation hormonale dont les chercheurs ont du mal à tenir compte. Comme si ce n’était pas assez, les habitudes de vie des femmes les mettent en contact quotidien avec une foule de contaminants — les produits de beauté et les détergents, par exemple, qui pourraient brouiller les données. Heureusement, la situation change. « Au cours des années 90, des féministes et des universitaires ont accompli un énorme travail pour changer cet état de fait, souligne Donna Mergler. Aujourd’hui, le milieu scientifique prend conscience de l’importance d’inclure systématiquement des femmes dans les protocoles de recherche. » Dans plusieurs milieux, on réclame même des groupes strictement féminins pour tenir compte des variables qui leur sont propres. L’exclusion des femmes est d’autant plus paradoxale que la majorité des messages de santé environnementale leur sont précisément adressés, font remarquer Roxanne Louiselle Parrott et Céleste Michelle Condit, auteures de Evaluating Women’s Health Messages (SAGE Publications, Thousand Oaks, Californie, 1996).

Les pionnières

Françoise D’Eaubonne : l’écoféminisme ou la mort

C’est à la Française Françoise D’Eaubonne qu’on attribue la création du terme « écoféminisme », amalgame de féminisme radical et de l’écologie. Dans son livre Le Féminisme ou la mort (édition originale Pierre Horay Paris, 1974), elle associait l’oppression des femmes et le sort fait au milieu naturel. En s’appropriant la fécondité des femmes et la fertilité du sol, la société patriarcale nous a menées à une double catastrophe : surpopulation et destruction des ressources. L’alternative, donc : le féminisme ou la mort.

Rachel Louise Carson : cri d’alarme

Née en 1907 en Pennsylvanie rurale, Rachel Louise Carson devint l’une des premières femmes biologistes spécialistes des milieux marins. À partir des années 40, elle écrivit plusieurs livres très populaires sur la vie marine. Mais c’est Silent Spring, publié en 1962 (Houghton Mifflin Company, Boston), qui lui valut d’être baptisée la mère du mouvement environnemental moderne. En montrant le côté noir d’une science jusque-là idolâtrée, Carson y dénonçait l’usage du DDT et des autres pesticides chimiques en agriculture, qui empoisonnaient lacs, océans et humains. Son cri d’alarme déclencha une prise de conscience de par le monde — à commencer par le bureau du président John F Kennedy qui ordonna des tests systématiques (rachelcarson.org).

Anita Roddick : beauté intégrale

Elle est controversée, la créatrice de la chaîne Body Shop. Certaines personnes n’aiment pas le style de cette flamboyante Britannique de 58 ans, figure de proue d’une entreprise présente dans 49 pays et qui compte 1 700 points de vente, 24 ans après ses modestes débuts. Body Shop, c’est une marque de commerce éthique, des produits de beauté écologiques non testés sur des animaux, un approvisionnement direct auprès des producteurs du Sud, le refus des intermédiaires et des grandes corporations, l’appui aux protestataires anti-mondialisation. Féministe, cette Anita Roddick qui se dit contente de vieillir? « Si je me définis par mes actions, mets-en que je suis féministe »!

Gro Harlem Bruntland : politique inspirante

Cette Norvégienne de 62 ans a donné son nom au fameux rapport sur le développement durable, publié en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, qui allait inspirer le Sommet de Rio en 1992. Avant de présider cette commission de l’ONU, Gro Harlem Bruntland avait été médecin, puis élue du Parti travailliste norvégien, successivement ministre de l’Environnement et première ministre durant 10 ans. Une Margaret Thatcher de gauche, disait-on. Elle dirige maintenant l’Organisation mondiale de la santé (1998-2003).

De Kelly à Voynet : les Vertes

Le 12 janvier 1980, l’Allemande Petra Kelly fondait Die Grünen, le fougueux pionnier des partis verts en Europe. Elle y voyait un parti anti-partis, écologique, démocratique à la base, social et non violent. Récipiendaire, en 1982, du Prix Nobel alternatif, elle est morte assassinée en 1992 par son compagnon. Dans la France voisine de 2001, c’est la verte Dominique Voynet, 42 ans, qui est ministre de l’Environnement du cabinet de Lionel Jospin. Et elle n’exclut pas de se présenter pour les Verts aux présidentielles de 2002.

La grande faucheuse

Dans beaucoup de pays industrialisés, les survivantes du cancer du sein ont organisé un lobby qui gagne en puissance. A leur voix se joint celle des écoféministes pour que se multiplient les études sur les contaminants soupçonnés de mettre en œuvre la grande faucheuse. Un millier de femmes de 55 pays, qui se sont rencontrées à la deuxième Conférence sur le cancer du sein, tenue à Ottawa l’été dernier, ont clairement envoyé ce message. La prévention ne consiste pas en des programmes de mammographies puisqu’on ne fait alors que détecter les cancers qui se développent. Il faut aller plus loin et déterminer s’il existe un lien entre pollution et cancer. Au Québec, le chercheur Philippe Weber, de l’Université Laval, est l’un des premiers à apporter de l’eau à ce moulin. Son étude, menée avec des collègues allemands et canadiens, montre que certains BPC contenus dans les tissus adipeux des seins augmentent de façon marquée le risque de développer la maladie. Ce contaminant brouillerait les mécanismes hormonaux normaux. M. Weber signale que la plupart des autres études épidémiologiques sur le cancer du sein ne démontrent pas de corrélation aussi claire. Il attribue en partie cette différence au fait que les contaminants ont cette fois été mesurés à partir de biopsies et non d’échantillons sanguins, ce qui refléterait mieux la réalité.

Écoféminisme.com

La grande toile est bavarde sur la question de l’écoféminisme. Les sites Internet abondent, aux noms parfois bizarres : le Sophia’s Web Burl Hall publie un bulletin voué « à la spiritualité de la déesse et à l’écoféminisme »; le Herstar, lui, regroupe des astrologues féministes inspirées par la déesse. Des bibliographies de l’écoféminisme (www.zedat.fu-berlin.de/Userpage et www.library.wisc.edu) répertorient des dizaines d’articles et d’essais d’écoféministes, surtout américaines et allemandes. Avec des titres prometteurs : Women Healing Earth : Thirld World Women on Ecology; Feminism and Religion; Eco Feminism and Eco Socialism : Dilemmas of Essentialism and Materialism; Staying Alive : Women, Ecology and Survival in India. Parmi les sites les plus utiles pour se familiariser avec l’énorme production théorique ainsi que les actions militantes des écoféministes: À signaler également, Women in Europe for a Common Future et Mothers and Others for a Livable Planet.

Femmes du Nord, pollution du Sud

Les Inuits figurent en bonne place du palmarès mondial des populations contaminées par les produits industriels. Éloignées de toute source importante de pollution, les femmes du Nord n’en ont pas moins appris avec stupéfaction que leur organisme portait des traces de BPC, DDT, dioxine, mercure et autres produits toxiques venus des régions plus au sud. Et que ces contaminants passaient à leurs descendants pendant la grossesse et l’allaitement! « Les niveaux de BPC observés dans le lait maternel, par exemple, sont trois fois plus élevés que dans celui des femmes du sud du Québec », rapporte Gina Muckle, psychologue du Centre de santé publique de Québec, qui est à étudier l’impact des contaminants sur la croissance des petits Inuits. À ce jour, peu d’études ont permis d’établir des liens entre la présence de faibles quantités de polluants dans l’organisme et l’apparition de problèmes de santé. Pour l’adulte, c’est le vide total. Mais des relations statistiques se révèlent peu à peu concluantes chez l’enfant. Une équipe du Centre de santé publique de Québec vient notamment de démontrer que les enfants inuits risquent davantage de souffrir d’otites si l’organisme de la mère présente un taux élevé de polluants organochlorés (BPC, mirex, DDT, etc.). Selon Pierre Ayotte qui a mené l’étude, le système immunitaire serait affaibli au moment de la grossesse. Dans la même veine, l’hypothèse de problèmes d’apprentissage plus grands chez les enfants de mères contaminées a été vérifiée aux Pays-Bas, aux États-Unis et au Danemark. « C’est ce facteur causal que nous cherchons à évaluer chez les Inuits », remarque Mme Muckle. Les Inuits absorbent les contaminants décriés dans la graisse des phoques et des baleines qui font partie de leur alimentation traditionnelle. Apportés par les grands courants aériens et marins depuis les zones industrielles et agricoles des États-Unis, du Canada ou même de Russie, les polluants se fixent dans la nourriture des petits animaux qui sont à leur tour mangés par de plus gros. De proies en prédateurs, la quantité de contaminants augmente. Tout en haut de cette chaîne alimentaire, l’être humain finit par en avaler une dose appréciable, à son tour stockée dans ses graisses. Malgré tout, « il n’est probablement pas souhaitable que les femmes en âge de procréer délaissent la nourriture traditionnelle », estime Gina Muckle. D’abord parce que ces produits contiennent des nutriments et des gras polyinsaturés qui ont un effet bénéfique pour la santé. Ensuite, certains aliments comme l’omble de l’Arctique contiennent moins de polluants et on encourage déjà les femmes enceintes à les consommer. Il faut dire que la diète traditionnelle est une alimentation équilibrée. Enfin, plusieurs considérations sociales (partage, fêtes, etc.) sont rattachées aux repas de phoque ou de baleine. La solution n’est donc pas de bannir tous les aliments contaminés ni de négliger l’allaitement. Il faut plutôt cibler la source du problème. En décembre dernier, une liste de 12 produits organiques persistants (dont les BPC, les dioxines, le mirex et le DDT) a fait l’objet d’un accord international d’élimination (voir l’encadré La « sale douzaine »). Mais pour plusieurs pays tropicaux aux prises avec la malaria, transmise par un moustique qu’on ne peut détruire efficacement qu’avec le DDT, la déclaration d’intention est bien théorique… Les écoféministes remettent en question l’approche économique du « tout ce qui compte peut se compter en argent ». L’Indienne Vadana Shiva, l’une des figures de proue de ce mouvement, partage cette préoccupation qu’elle exprime d’une manière toute orientale : « Selon moi, l’essor du patriarcat moderne a eu tendance à mutiler le principe féminin dans toute sa plénitude, et a notamment tenté de le refouler complètement chez l’homme. Dans une certaine mesure, l’essor du type masculin de connaissance, de production et de domination a permis de détruire ce qui était essentiel à la société — aux hommes comme aux femmes. »

La « sale douzaine »

En décembre dernier, 122 pays ont convenu de rayer de la carte les 12 polluants organiques persistants (POP) les plus toxiques. Un accord officiellement ratifié au cours de la conférence de Stockholm, les 22 et 23 mai 2001. Voici cette « dirty dozen » (« sale douzaine ») telle que présentée dans le dépliant du Réseau québécois des femmes en environnement.
Aldrine, dieldrine, chlordane, DDT/DDE, endrine, mirex, toxaphène
pesticides pouvant être utilisés dans les cultures de coton, riz, céréales, blé, maïs, pommes de terre, fruits, noix,. ainsi que pour éliminer les termites, les fourmis et les moustiques.
Heptachlore
Fongicide employé dans la culture du blé, de l’oignon, du sorgho. Sous-produit industriel.
Hexachlorobenzène (HCB)
Sous-produit des manufactures de munitions, de pesticides et de solvants qu’on utilise notamment pour le nettoyage du textile. Sert également de fongicide.
Biphényles polychlorés (BPC)
Huiles synthétiques employées dans les transformateurs électriques, dans certains pesticides, peintures et plastiques. Leur combustion peut libérer des dioxines et des furannes.
Dioxines et furannes
Sous-produits de nombreux procédés à base de chlore. Les incinérateurs de déchets solides, dangereux et médicaux sont parmi les plus grandes sources de dioxines et de furannes au Canada.