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Espagne – Mort au machisme !

Une nouvelle loi contre la violence conjugale; une publicité qui invite les hommes à faire le ménage; une ville réservée aux dames le jeudi soir… Fini, le machisme ! L’Espagne entend défendre l’égalité entre les sexes.

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Une nouvelle loi contre la violence conjugale; une publicité qui invite les hommes à faire le ménage; une ville réservée aux dames le jeudi soir… Fini, le machisme ! L’Espagne entend défendre l’égalité entre les sexes.

« Moi, je ne sors jamais en semaine. Cela ne se fait pas. Mais ce jeudi-là, je suis allée boire un coup avec d’autres femmes. Mon mari est resté à la maison ». Magdalena, une femme de ménage espagnole de 45 ans, en rigole encore. En , le maire du village de Torredonjimeno — en Andalousie, dans le sud — a interdit aux hommes de sortir le jeudi soir ! Son but ? Inciter ces messieurs à consacrer quelques heures aux tâches ménagères, pendant que leurs épouses se délasseraient entre elles. « Beaucoup d’hommes sont quand même sortis », poursuit Magdalena, en vidant une poubelle. « Mais ceux qui circulaient dans la rue entre et ont dû faire un « don » de 5 euros (8 $CA) aux associations féminines de lutte contre les mauvais traitements ».

L’initiative insolite du maire Javier Checa a fait le tour du monde. Le jour de son implantation, une quarantaine de journalistes affluaient dans sa localité de 14 000 âmes, perdue au milieu d’immenses oliveraies. Et l’opposition municipale manifestait sur la place de la mairie, criant à l’abus de pouvoir et à la discrimination envers les hommes. Finalement, le « Jour de la femme » n’a duré que deux jeudis, le et le ; les patrouilleuses chargées de faire payer les contrevenants ont perdu leur boulot. « Nous avons recueilli environ 1 000 euros (1 650 $CA) », se console María Teresa Jiménez, élégante conseillère municipale de Torredonjimeno. « Cette mesure se voulait sympathique. On espérait que les gens prendraient conscience des difficultés des femmes ».

Le machisme a la vie dure en Espagne. « Mon grand-père avait l’habitude de frapper sa femme avec une ceinture », raconte Francisco Fernando, 36 ans, un docteur en philosophie qui a donné des conférences sur l’égalité des sexes à Torredonjimeno. La misogynie est toujours présente dans les mentalités. Les Espagnoles ont gagné leur indépendance tardivement, souligne Raquel Valderrama, employée à l’Institut de la femme (Instituto de la Mujer) du même village. « Pendant la dictature franquiste (), les femmes étaient officiellement soumises à leur mari ». Elles étaient mineures devant la loi, ne pouvaient ni divorcer ni gérer elles-mêmes leurs biens. Encore aujourd’hui, l’Espagne a le taux de chômage féminin le plus élevé d’Europe (15,5 %).

Depuis quelque temps, pourtant, le pays lutte avec énergie pour se défaire de sa vilaine réputation de macho. Partout sur le territoire, des gens pilotent des projets — certains plus heureux que d’autres — destinés à rendre plus équitables les relations entre les sexes.

Même le gouvernement s’y met. Le , pendant que Torredonjimeno se remettait de son second ladies’ night, le Parlement espagnol proclamait une loi sur « l’impact de genre » (impacto de género). Celle-ci oblige l’État à s’assurer que chaque nouveau projet de loi ou règlement ne soit pas discriminatoire à l’égard des femmes. Ce mécanisme législatif est déjà en vigueur dans la communauté autonome de Catalogne; depuis deux ans, l’Institut catalan de la femme rédige un mémoire pour chaque projet de loi et émet des recommandations en cas de besoin. La députée Maria Jose Lopez, qui a voté ce projet, veut lui donner encore plus de force. « Le gouvernement s’est engagé à faire des études, mais pas à en appliquer les recommandations », déplore-t-elle.

Cette loi semble d’autant plus importante que l’Espagne vit un problème inquiétant de violence conjugale. Selon l’Observatoire contre la violence domestique, en , 54 Espagnoles auraient été assassinées par leur conjoint (mari, compagnon, fiancé ou ex); en , elles étaient plus de 70. L’ONG féministe Fundació n Mujeres a dressé une étude encore plus accablante à partir de coupures de presse: selon les responsables, le nombre de victimes aurait quasiment doublé entre le premier semestre de et le premier semestre de . Cette hausse a déclenché une vague de protestations chez les associations féministes.

Fin , des histoires sordides remplissent les quotidiens espagnols. Un policier catalan assassine son épouse et noie ses restes dans du ciment. Un autre homme pousse sa femme du balcon… Soudainement, les autorités prennent conscience de la gravité de la situation. À tel point que le Parlement repousse les vacances estivales des députés pour pouvoir adopter d’urgence une mesure de protection des victimes de violence domestique. Début , elle entre en vigueur.

La loi est révolutionnaire. Dans les 72 heures après avoir porté plainte, les victimes sont placées sous protection judiciaire. Le juge peut immédiatement décréter des mesures d’éloignement du conjoint violent, voire le placer en détention (dans quelques mois, il pourra même lui imposer le port d’une puce électronique, ce qui permettra aux policiers de suivre les déplacements des récidivistes dangereux). Les femmes gravement menacées bénéficient d’une protection rapprochée elles reçoivent un téléphone portable qui les relie directement à un policier chargé de leur sécurité. Enfin, pour permettre aux victimes qui dépendent financièrement de leur conjoint de s’en sortir, l’État leur alloue une aide mensuelle de 300 euros (495 $CA) pendant 10 mois !

Le , Journée internationale de lutte contre les mauvais traitements, le gouvernement espagnol a dressé un premier bilan de cette initiative. Des 4 234 demandes de protection qui ont été adressées de début jusqu’à fin , les trois quarts ont été acceptés. De plus, l’État a accordé à 184 femmes des mesures de protection rapprochée. On ignore encore, cependant, si le programme s’est avéré efficace.

Le système a ses failles. Par exemple, peu de policiers acceptent de suivre une formation pour assister les femmes en détresse. Parmi les derniers meurtres dus à la violence conjugale, quelques-uns ont été commis par des membres de la police nationale… Selon Enriqueta Chicano, présidente de la Fédération des femmes progressistes, il faudrait aussi former les juges qui entendent ces causes. Les magistrats, croit-elle, trouvent facilement des circonstances atténuantes aux maris violents : un état dépressif, des crises de somnambulisme…

Malgré les ratés, l’impunité disparaît tranquillement. Ce qui n’empêche pas certains drames de se produire. « Avant, les hommes se « contentaient » de tuer leur conjointe. Mais, dans les quatre ou cinq derniers cas de meurtre, l’agresseur, effrayé par l’arsenal judiciaire, s’est suicidé après avoir tué sa femme », fait remarquer Raquel Valderrama. Les Espagnols tolèrent de moins en moins l’abus de pouvoir envers les femmes. Il y a trois ans, à Fuengirola, en Andalousie, l’imam Mohamed Kamal Mustafa a soulevé l’indignation populaire en enseignant comment battre son épouse dans un livre intitulé La Femme dans l’islam. En , le tribunal de Barcelone a rendu sa sentence : 15 mois de prison et 2 160 euros (3 500 $CA) d’amende. D’après la justice, l’ouvrage incitait à la violence.

Plusieurs associations musulmanes d’Espagne y ont vu un procès contre leur religion. Il est vrai que la population associe volontiers à l’islam les problèmes de violence envers les femmes. « L’Andalousie est très macho parce que cette région a été occupée par les Arabes jusqu’en . Cependant, l’Église catholique prône aussi cette idée de soumission de la femme », tempère Beatriz, une Andalouse dans la trentaine. Cette employée d’une association de femmes à Cordoue a été scandalisée d’entendre un curé, lors d’un récent mariage, affirmer que l’épouse devait « s’occuper de son foyer » pendant que son mari travaille.

L’Andalousie n’a pas le monopole de la violence conjugale. , un juge de Castille-la-Manche (une région de plateaux désertiques située plus au nord) a tué sa femme, s’est fait acquitter grâce à des détails légaux… et a continué d’exercer sa profession. Scandalisé, le président de cette région, José Bono, a fait voter en une loi qui permet de publier les noms des conjoints violents et les sentences prononcées. L’Institut de la femme d’Aragon compile annuellement les condamnations pour violence domestique et envoie le rapport dans les administrations, où chacun peut le consulter.

Le président s’est vite fait accuser d’ouvrir une boîte de Pandore. En identifiant les coupables, cette loi controversée identifie également les victimes (femmes et enfants), qui doivent alors vivre avec le stigmate de la violence familiale. « C’est beaucoup plus traumatisant pour un enfant d’aller à l’enterrement de sa mère que d’avoir honte d’aller au collège parce que le nom de son père aura été rendu public », s’est défendu José Bono dans une entrevue accordée au journal local. La mesure a été maintenue.

La controverse ne fait pas peur à Teresa Molina, chef de la section violence de l’Institut de la femme de Castille-la- Manche. Bien sûr que cette loi a été contestée ! Ce qui n’a pas empêché d’autres régions d’adopter des lois similaires cette année, dit-elle, satisfaite que cette mesure ait enfin mis le problème sur la place publique. « La violence domestique est devenue un débat de société. Mais il reste encore beaucoup à faire pour atteindre l’égalité ».

En plus de protéger les femmes contre la violence, l’Espagne entend promouvoir leurs droits… jusque dans leur tête. « Beaucoup de femmes ont reçu une éducation machiste. Par exemple, il arrive souvent que les veuves de plus de 55 ans portent des vêtements de deuil jusqu’à leur mort », dit Gloria Guardia, conseillère municipale à Torredonjimeno. Dans son village, où seulement 10 % des femmes travaillent à l’extérieur du foyer, elle organise des conférences pour « les rééduquer, leur faire comprendre qu’elles ne doivent pas tout accepter ». Plus facile à dire qu’à faire, confie Maria Lluisa, une petite dame énergique de 63 ans qui, pourtant, s’habille en couleurs et ne se laisse pas marcher sur les pieds. « C’est plus fort que moi, si je vois mon fils faire son lit, j’ai l’impression de l’avoir mal élevé » !

Une enquête de l’Institut national des statistiques montre que les Espagnoles consacrent quotidiennement au foyer, contre pour leurs compatriotes masculins. Dans ce pays, il est très rare de voir un homme un balai à la main… sauf à la télé. Une publicité montre un homme chauve, dans la quarantaine, qui gare sa voiture et sort des produits ménagers. Vigoureusement, il nettoie le toit, cire le tableau de bord, puis souffle pour faire briller les vitres. Une voix hors champ commente : « C’est clair, tu sais nettoyer. Pourquoi ne le fais-tu pas à la maison » ? Le gouvernement a investi 1,75 millions d’euros (2,9 millions de dollars) dans cette campagne publicitaire, lancée en , pour convaincre les hommes de 30 à 60 ans de partager les tâches ménagères. Les pubs ont été diffusées sur les chaînes publiques… et dans la presse sportive.

Au pays des toreros, la lutte au sexisme prend plusieurs formes. Jusqu’à Felipe, héritier de la couronne espagnole, qui entend changer les lois de succession pour autoriser une femme à monter sur le trône ! Ce prince fringant a annoncé récemment ses fiançailles avec une journaliste télé, jeune femme divorcée.

Pendant ce temps, à Torredonjimeno, la vie continue. Dans les cafés, des hommes sirotent leur consommation. Éternel optimiste, le maire y a fait placer des urnes pour que les clients puissent faire un don à la cause féminine… s’ils le désirent. Les femmes espagnoles vivent-elles des problèmes ? Au café Les Arcs, le serveur Javier, 25 ans, une alliance à la main gauche, hausse les épaules en signe d’indifférence. Chez Pablo’s — où il n’y a pas une seule femme aujourd’hui —, Adolfo, un client, s’indigne: la radio vient d’annoncer la mort d’une jeune épouse, assassinée par son mari. « Mais c’est un cas isolé », ajoute-t-il.

Dans le cimetière du village repose le corps d’une dame de 90 ans, décapitée et décortiquée par son mari de 91 ans à la mi-. Pour Magdalena, la femme de ménage de l’hôtel Les Arcs, la mesure du maire a fait beaucoup de bruit, mais n’a pas vraiment ouvert le débat sur la situation des femmes. « Il y a de la violence domestique, on le sait par les voisines, dit-elle. Mais tant qu’il ne se passe pas quelque chose d’énorme, on n’en parle pas ».

Toutes des putes le livre à scandale

« Moi, je ne serais pas capable de tuer une femme, je n’aurais pas les tripes pour le faire. Mais les violer, cela ne me procure aucun remords ». Cette phrase est de l’écrivain espagnol Hernan Migoya. Sa nouvelle intitulée « Le violeur », extraite de son livre Todas putas (« Toutes des putes »), constitue un vrai plaidoyer en faveur du viol. Une agression sexuelle, « c’est aussi de l’amour », écrit l’auteur. Et le violeur, un être « incompris », « marginalisé ».

Dès sa parution, en , ce livre fait scandale. Les défenseurs des droits de la femme réclament son retrait. La maison d’édition accède à leur demande. Mais, peu après, une centaine d’intellectuels espagnols crient à la censure et publient un manifeste en appui à l’ouvrage : Todas putas revient en librairie. Fin , l’affaire rebondit encore. D’après la presse, la copropriétaire de la maison d’édition n’est autre que la directrice de l’Institut de la femme, un organe gouvernemental chargé de la protection de la condition féminine en Espagne ! Une trentaine d’organisations féministes portent plainte contre elle devant le défenseur du peuple espagnol (médiateur entre la population et l’administration). L’affaire suit son cours.

Quant à l’auteur, il n’éprouve aucun remords. À un journaliste, il a expliqué qu’il avait toujours voulu être célèbre…