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Priorité : égalité

Les médias ont-ils agi en pyromanes dans le dossier des « accommodements raisonnables » ou ont-ils soulevé un réel problème ?

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Les médias ont-ils agi en pyromanes dans le dossier des « accommodements raisonnables » ou ont-ils soulevé un réel problème ? Peu importe, le débat est maintenant lancé et permettra à chacune et chacun de se mettre au diapason des autres. Au moment où s’amorce la Commission Bouchard-Taylor, la Gazette des femmes a réuni en table ronde quatre collaboratrices de l’avis récemment déposé par le Conseil du statut de la femme. Elle a également rencontré Yolande Geadah, qui vient de publier un ouvrage sur le sujet. Mais avant, voici un aperçu de la réflexion du CSF sur les valeurs qui cimentent aujourd’hui la société québécoise.

Les premières fois où les Québécoises et les Québécois ont entendu parler de la notion d’accommodement raisonnable, c’était il y a plus de 20 ans, alors que les femmes enceintes et les personnes handicapées exigeaient des conditions adaptées à leur situation. Puis, l’hiver dernier, le terme est revenu presque quotidiennement dans les médias. Sauf qu’il n’était plus question des conditions de travail des femmes. On parlait plutôt d’accommodements raisonnables pour des motifs religieux. Comme la religion est un sujet fragile au Québec — notamment pour les femmes, car il rappelle le comportement patriarcal de l’Église à leur égard —, il y a eu réaction.

Pour la majorité, la religion est une affaire classée. Elle doit être vécue dans le domaine privé et non dans l’espace public. Cependant, les demandes de certains membres de communautés culturelles ne respectaient pas ce choix. Une partie de la population a donc perçu ces requêtes comme un manque de respect à l’égard de ses valeurs en tant que communauté d’accueil. C’est dans ce contexte qu’en février dernier, le premier ministre Jean Charest a créé la Commission de con­sultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles, communément appelée Commission Bouchard-Taylor.

Le Conseil du statut de la femme s’intéresse depuis longtemps à la diversité culturelle et religieuse et aux transformations de la société qui en résultent. Il a publié plusieurs recherches sur le sujet afin de guider le gouvernement dans ses choix politiques et législatifs. En préparant son avis intitulé Droit à l’égalité des hommes et des femmes et liberté religieuse, le Conseil a constaté que les tribunaux du Québec et du Canada interpellés par la question de la religion se sont inspirés des valeurs faisant consensus dans la société pour prendre leurs décisions. Quelles sont-elles ? La séparation entre l’État et la religion, la primauté du français et l’égalité entre les femmes et les hommes, trois valeurs clés de l’identité québécoise qu’a identifiées le premier ministre lorsqu’il a annoncé la création de la Commission Bouchard-Taylor. Outre ces trois valeurs, le Conseil considère également que le choix de l’interculturalisme qu’a fait le Québec pour favoriser l’intégration des immigrants est un élément fondamental qui reflète son identité.

Longtemps à l’ombre du clocher

Pour identifier ces valeurs, le Conseil a fait un long voyage à travers l’histoire du Québec. Comment les Québécoises et les Québécois ont-ils façonné leur société ? À la suite de quels débats ont-ils fait leurs choix ?

En l’absence d’institutions civiles per­manentes, l’Église catholique a long­temps joué tous les rôles et est intervenue sur tous les plans. Si les femmes ne pouvaient accéder à des études universitaires, c’était en raison de la mainmise de l’Église sur le monde de l’éducation, absolue jusqu’à la Révolution tranquille.

La collusion de l’Église et de l’État a aussi fait partie de la réalité du Québec. Ainsi, malgré que les femmes aient obtenu le droit de vote au Canada en 1919, le gouver­nement dirigé par Maurice Duplessis a refusé de le leur accorder à l’échelle provinciale, à la demande de l’Église. Il aura fallu attendre l’arrivée d’Adélard Godbout, en 1940, pour que les suffragettes puissent crier victoire.

La séparation de l’État et de l’Église ne s’est donc véritablement amorcée qu’avec la Révolution tranquille. À preuve, l’événement marquant que fut la création du ministère de l’Éducation en 1964. Ce n’est cependant que l’an prochain, soit en septembre 2008, que l’école québécoise sera complè­tement laïcisée avec le remplacement de l’enseignement catholique et protestant au profit d’un enseignement de l’éthique et de la culture religieuse.

Si elle a pris du temps à s’établir, la laïcité fait aujourd’hui partie des choix et des valeurs du peuple québécois. La décision du ministère de l’Éducation concernant les cours de religion témoigne par ailleurs d’un désir d’adopter un modèle de laïcité convivial et respectueux de la spiritualité des différentes communautés qui composent la société.

Des combats épiques

L’histoire du Québec se caractérise également par une lutte épique pour la survie du français. Par la loi 63, puis par la loi 22 et la loi 101, les gouvernements successifs ont assuré la protection de la langue de la majorité. Les débats qui ont conduit à l’adoption de ces lois ont fait en sorte que les Québécois sont aujourd’hui conscients du lien indéfectible qui unit leur langue à leur identité.

Dans la communauté francophone mondiale, le Québec se distingue par cette farouche détermination à préserver sa langue, mais également par la féminisation de celle-ci. Une ten­dance qui illustre une autre de ses valeurs déterminantes : l’égalité entre les femmes et les hommes. Même si, dans les faits, les Québécoises n’ont pas atteint l’égalité dans tous les do­maines, il est impressionnant de voir à quel point, après les longues années pendant lesquelles l’Église et l’État ont freiné l’émancipation des femmes, l’égalité est maintenant présente dans le discours public du gouvernement. Inscrite dans des textes fondamentaux, elle reflète un profond changement de mentalité au Québec. L’égalité est aujourd’hui à la fois une valeur commune, un droit individuel et un droit collectif que le gouvernement a choisi de protéger et de promouvoir.

Un modèle commun

Laïcité, primauté de la langue française et égalité entre les femmes et les hommes, voilà donc trois valeurs qui sont chères au cœur des Québécoises et des Québécois. Le fait d’avoir tant lutté pour se définir comme so­ciété les a amenés à vouloir partager ce mo­dèle avec les nouveaux arrivants. Leur projet d’accueil et d’adaptation — l’inter­culturalisme ­– diffère cependant de celui qui a cours dans le reste du Canada.

Afin de composer avec la diver­sité ethno­culturelle, le Canada a fait le choix du multiculturalisme dans les années 1970. Cette politique, fondée sur le concept de la mosaïque et dont Pierre Elliott Trudeau a été le principal promoteur, favorise l’individualité et conduit à une sorte de « vivre-dans-la-différence », pour reprendre l’expression de Danic Parenteau, professeur à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Le Canada se pro­pose ainsi comme terre d’immigration où les libertés individuelles priment le devenir collectif.

Ce modèle va à l’encontre de la démarche québécoise de construction d’un projet sociétal. Le Québec se définit plutôt comme une société d’accueil avec une identité et des valeurs communes, une société en mouvance qui sait puiser dans l’apport des cultures étrangères. Les communautés immigrantes sont conviées à y participer afin de mieux « vivre ensemble ». C’est à ce modèle d’intégration, très différent de celui du Canada, que le Québec souhaite que les immigrants adhèrent.

À la lumière de cette longue marche qui a conduit les Québécoises et les Québécois à définir leur identité, on peut mieux comprendre leurs réactions devant les événements rapportés dans les médias. Les nombreuses requêtes pour motif religieux pouvaient laisser croire que certains membres de communautés culturelles minori­taires remettaient en question leurs valeurs longuement mûries et leur projet d’intégration élaboré dans l’espoir de favoriser la cohésion sociale.

Avec la Commission Bouchard-Taylor, l’occasion est belle de remettre les pendules à l’heure. Le CSF en profite pour souligner que le droit à l’éga­lité entre les femmes et les hommes prime la liberté de religion, et qu’en cas de conflit entre ces droits, la liberté de religion ne peut servir à diminuer la portée du droit à l’égalité et doit donc être limitée.