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Décisions environnementales : l’influence des femmes scientifiques

Une place essentielle… à l’importance largement démontrée!

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Les femmes ont fait leur entrée dans les universités et les centres de recherche dans les années , à l’heure des mouvements sociaux pour la paix et l’écologie. Certaines se sont spécialisées dans les sciences de l’environnement. Parmi les plus influentes, Dian Fossey, primatologue américaine, étudie les gorilles au Rwanda; Rachel Carson, biologiste marine et écrivaine, dénonce les conséquences de l’utilisation de certains pesticides, comme le DDT; et Wangari Maathai, professeure d’anatomie vétérinaire au Kenya, s’implique contre la déforestation.

Exposition photographique « On est ensemble »

Vincent Larivière, professeur titulaire à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal

« À l’échelle mondiale, 32 % des auteurs d’articles en sciences de l’environnement et en écologie sont des femmes. Elles sont plus nombreuses qu’en 2008, avec une augmentation de 8 % et de 15 % respectivement », précise Vincent Larivière, professeur titulaire à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal. Le pourcentage d’autrices est à l’image de la proportion de femmes scientifiques dans le monde, qui est de 29 % d’après l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO).

Pourtant, l’importance de la place des femmes en sciences de l’environnement est largement démontrée. Une plus grande diversité dans les équipes de recherche amène des applications pensées pour les femmes ou les autres groupes souvent exclus des réflexions en science et en ingénierie. Puisque les changements climatiques n’affectent pas tout le monde de la même façon, les mesures de lutte doivent tenir compte des besoins spécifiques des femmes et des populations à risque comme les jeunes, les personnes immigrantes ou les communautés autochtones. Il est donc essentiel que les femmes fassent partie non seulement des équipes scientifiques, mais également des processus de décision.

Où étaient les femmes à la COP25?

En décembre dernier se tenait à Madrid la 25e Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, la COP25. Cette réunion annuelle des pays signataires de la convention sur le climat du sommet de Rio (1992) vise à décider de solutions concrètes pour lutter contre le changement climatique. Et les femmes y sont encore sous-représentées, aussi bien parmi les membres des délégations, où elles atteignent 38 %, que parmi les chefs de ces délégations (27 %). Elles sont à peine plus nombreuses à siéger aux différents comités.

Influencer les gouvernements

Pour influer sur les décisions politiques, certaines ont pris la voie du contact direct avec les élu·e·s. C’est le cas de Catherine Potvin, professeure titulaire au Département de biologie de l’Université McGill depuis plus de 25 ans. Spécialisée en écologie tropicale et en atténuation des changements climatiques, elle a longtemps vécu au Panama, où elle est devenue conseillère scientifique et négociatrice pour le gouvernement à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques entre . « Dans les pays en voie de développement, on accueille à bras ouverts les professeur·e·s d’université comme négociateurs. Les savoirs scientifiques y sont reconnus, se réjouit la chercheuse. L’influence que je pouvais avoir était extrêmement directe et réelle. »

« Dans les pays en voie de développement, on accueille à bras ouverts les professeur·e·s d’université comme négociateurs. Les savoirs scientifiques y sont reconnus. »

– Catherine Potvin, professeure titulaire au Département de biologie de l’Université McGill

Cette première expérience l’a incitée à intervenir dans la politique au Canada. Depuis 2014, elle a travaillé avec d’autres chercheur·euse·s bénévoles du pays sur un rapport pour proposer des solutions de lutte contre les changements climatiques. La professeure constate que « la voix de la science est peu, voire pas entendue. Les ONG sont un peu plus écoutées, mais ce sont surtout les lobbys financiers qui influencent les lois. Le gouvernement fédéral s’est tout même inspiré de notre rapport pour mettre au point ses plans d’action ».

Par ailleurs, elle note « une différence dans le sérieux accordé aux femmes de science par rapport aux hommes » qu’elle n’avait pas ressentie au Panama.

Réseauter

Une autre solution pour influencer les décisions en environnement consiste à se regrouper pour s’entraider. C’est ainsi qu’est né le Réseau des femmes en environnement, il y a 20 ans. Près de 400 travailleuses issues de l’industrie, d’associations ou de la recherche en sont membres. « On est dans l’action, les solutions, la mise en place de connaissances scientifiques pour changer les comportements », explique Lise Parent, trésorière du conseil d’administration (CA) du Réseau et professeure en environnement à l’Université TÉLUQ. Celle-ci fait partie de la vingtaine de femmes qui ont fondé le regroupement et se souvient de leur première assemblée générale. Elles étaient une centaine, et il y avait une garderie et des repas faits maison.

« Le Réseau accompagne par exemple celles qui souhaitent faire partie de CA et aide à sensibiliser les gens ou encore à influencer les politiques publiques par des formations. Le tout dans un milieu agréable et sans compétition », précise la professeure.

Poser des questions

Chargée de cours en environnement à l’Université de Sherbrooke, Rosa Ortiz propose de « poser des questions [qui dérangent] et de participer aux congrès internationaux ». Lors d’une conférence à Montréal en novembre dernier, elle a raconté comment elle s’était préparée à demander publiquement quels étaient les risques d’expulsion des peuples autochtones [des futures zones à conserver], faute de droits fonciers sur leurs territoires. Sa question a fait mouche. La réponse était évasive.

Profiter de ses forces

Exposition photographique « On est ensemble »

Sophie Dufour-Beauséjour,
doctorante en sciences de l’eau à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS)

« Les chiffres sur les femmes en science révèlent un prolongement des domaines dans lesquels elles sont historiquement présentes, comme celui du care [“prendre soin de”]. Et l’environnement, c’est comme un care collectif », souligne Vincent Larivière.

La doctorante Sophie Dufour-Beauséjour suppose aussi que « la socialisation des femmes nous a peut-être fait intégrer plus facilement l’aspect humain dans nos recherches et dans nos échanges ». L’étudiante en sciences de l’eau à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), à Québec, mène un projet sur la glace de mer au Nunavik, en partenariat avec les communautés locales. « Ça prend de l’humilité pour faire de la recherche dans le Nord, et de l’introspection », précise-t-elle. Puis elle énumère « l’ouverture, la résilience émotionnelle, l’engagement à faire et non pas juste à dire, la capacité d’être à l’écoute, de réfléchir avant d’intervenir… » comme autant de fruits de la socialisation féminine qui semblent se transformer en atouts pour la recherche multidisciplinaire en environnement.

Des voix multiples

Pour se faire entendre, Dian Fossey avait choisi la voix des médias. Les touristes affluent toujours dans le parc national des Volcans du Rwanda et la population de gorilles ne cesse d’augmenter. Grâce au livre Printemps silencieux de Rachel Carson, l’Agence américaine pour la protection de l’environnement est créée en et le DDT est interdit aux États-Unis en . Quant à Wangari Maathai, elle a reçu le prix Nobel de la paix en pour son engagement dans le développement durable, la paix et la démocratie.