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L’environnement, un nouvel enjeu de charge mentale?

Et si les femmes devaient ajouter à leur liste de tâches… la sauvegarde de la planète!

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Entre une couche lavable à plier et une boîte à lunch zéro déchet à préparer, les femmes doivent‑elles ajouter à leur liste de tâches… la sauvegarde de la planète? Plus sérieusement, à la lumière de la situation sociétale et planétaire actuelle, quelle place la lutte écologiste prend‑elle dans la charge mentale des femmes?

Annie Rochette, professeure en droit de l’environnement à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), s’est beaucoup intéressée aux questions alliant genre et écologie, une réflexion qui n’est pas encore très développée, a‑t‑elle constaté. Approchée par le Regroupement des femmes en environnement, elle a été amenée à approfondir la question en dans le cadre d’un rapport intitulé L’intégration du genre dans la lutte aux changements climatiques au Québec.

Depuis, cet enjeu s’est peu à peu imposé dans le débat. « La perspective genrée, ce n’est pas de dire que les femmes sont mieux que les hommes », souligne la chercheuse. « C’est de tenir compte des différentes réalités dans les plans d’action, afin que la pression ne retombe pas seulement sur les familles… et donc les femmes. »

« Il y a clairement un lien entre genre et lutte aux changements climatiques », confirme Caroline Voyer, directrice générale du Regroupement des femmes en environnement. L’organisation a mené plusieurs projets sur le sujet, en plus d’animer régulièrement des formations et des ateliers de sensibilisation.

« La perspective genrée, ce n’est pas de dire que les femmes sont mieux que les hommes », souligne la chercheuse. « C’est de tenir compte des différentes réalités dans les plans d’action, afin que la pression ne retombe pas seulement sur les familles… et donc les femmes. »

− Annie Rochette, professeure en droit de l’environnement à l’UQAM

« De manière générale, nos comportements ne sont pas les mêmes, nos priorités non plus », explique‑t‑elle. Ainsi, de nombreuses études démontrent que les femmes privilégient en général les changements de comportement et de style de vie (consommation, recyclage, gaspillage alimentaire) au niveau individuel, tandis que les hommes envisagent généralement des solutions plus globales, technologiques.

Madame dans la cuisine, Monsieur au C. A.?

C’est qu’encore aujourd’hui, le partage des rôles dans le domaine environnemental (comme dans plusieurs autres) est encore très traditionnel. « C’est à l’image de la société, tout simplement », confirme Denise Proulx, journaliste et professeure en sociologie de l’environnement à l’UQAM. « Les femmes sont celles qui font fonctionner la machine et les hommes investissent plus le politique. Je me suis d’ailleurs souvent retrouvée seule comme femme dans plusieurs instances. »

Après des années d’implication variée, Denise Proulx a par ailleurs fait le choix de se retirer des organisations devenues trop bureaucratiques. « Ce que je reproche à beaucoup de groupes environnementaux, c’est que tout le monde est derrière un ordinateur. Je me suis retirée de plusieurs d’entre eux, et je m’implique désormais avec ceux qui travaillent sur le terrain », raconte la professeure.

Photographie de Denise Proulx.

« Les femmes sont celles qui font fonctionner la machine et les hommes investissent plus le politique. Je me suis d’ailleurs souvent retrouvée seule comme femme dans plusieurs instances. »

− Denise Proulx, journaliste et professeure en sociologie de l’environnement à l’UQAM

Elle fait d’ailleurs remarquer que ce sont les groupes citoyens qui prennent le relais de la lutte environnementale, organisant des actions, des marches, etc. Et qui est au cœur des mouvements citoyens? Les femmes.

C’est un constat que partage Monique Laberge, présidente du conseil d’administration du Conseil régional de l’environnement et du développement durable du Saguenay–Lac‑Saint‑Jean. Tout comme Denise Proulx, elle s’est souvent retrouvée seule femme aux grandes tables environnementales.

« Je vois les femmes impliquées dans les groupes de citoyens sporadiques, dans des évènements précis, ou dans leur milieu de vie. Mais dans les lieux de réelle décision, elles sont absentes », confirme‑t‑elle. « Est-ce parce que les réunions des C. A. sont souvent le soir? Est-ce qu’elles recherchent un côté plus humain? Il faudrait pousser l’étude là-dessus. Peut-être que les choses devraient se faire autrement pour les inclure », avance la militante de longue date.

Photographie de Monique Laberge.

« Je vois les femmes impliquées dans les groupes de citoyens sporadiques, dans des évènements précis, ou dans leur milieu de vie. Mais dans les lieux de réelle décision, elles sont absentes. »

− Monique Laberge, présidente du conseil d’administration du Conseil régional de l’environnement et du développement durable du Saguenay–Lac‑Saint‑Jean

Il est pourtant primordial que les femmes prennent une part active dans l’élaboration des réflexions, des programmes et des solutions écologiques. Pourquoi?

D’une part parce que les femmes sont les premières touchées par les conséquences des changements climatiques. « Les impacts sont plus grands sur les femmes pour des raisons socioéconomiques », explique Annie Rochette. « Dans les stratégies du gouvernement, on parle des personnes vulnérables, sans parler spécifiquement des femmes. Or, si on regarde qui vit dans la pauvreté, ce sont beaucoup les femmes. Elles n’ont pas les moyens d’acheter un climatiseur et sont donc plus à risque en cas de vague de chaleur. Ça peut être aussi simple que ça. » Des études établissent par ailleurs un lien entre les situations de catastrophes naturelles, comme les inondations ou le verglas, et une montée de la violence conjugale.

Photographie de Caroline Voyer.

« Je dirais qu’on n’a pas vraiment le choix d’assumer cette charge mentale, pour le bien de la planète. La bonne nouvelle, c’est que c’est une charge assez temporaire. Une fois les habitudes acquises, le mode de vie n’est pas perturbé par les changements qu’elles impliquent au quotidien. »

− Caroline Voyer, directrice générale du Regroupement des femmes en environnement

D’autre part, il est important que les questions environnementales soient abordées de toutes sortes de manières afin de sensibiliser un maximum de personnes, ajoute Krystel Papineau, qui travaille dans le milieu de l’environnement depuis une quinzaine d’années. « C’est vraiment un enjeu intersectionnel. Même le spirituel est un aspect à considérer quand on parle d’environnement », illustre‑t‑elle. Denise Proulx renchérit : « Les femmes sont dans l’action. Elles ont une capacité de sentir les choses, une vision, une éducation différente. Comment l’humanité, dans l’état où elle se trouve, peut-elle se priver de 50 % de son intelligence? »

L’écoanxiété, un enjeu à surveiller?

Depuis quelques années, les enjeux de santé mentale et de bien-être psychologique sont de plus en plus reconnus, dans tous les milieux. Or, l’état de détérioration de la planète génère son lot d’anxiété pour les mères. Krystel Papineau l’admet d’emblée : elle se considère écoanxieuse. « C’est une préoccupation constante. J’étais déjà sensibilisée avant mais on dirait que quand tu as des enfants, une sensibilité supplémentaire se rajoute », partage‑t‑elle. « On se pose toujours la question : “Comment puis-je améliorer notre milieu de vie?” C’est une gestion continue. »

Sans vouloir généraliser, elle remarque par ailleurs que même si la famille au complet adhère au projet écologique, ce dernier est bien souvent porté par les mères. Elle l’a d’ailleurs constaté dans son propre foyer, à la suite d’un accident l’ayant clouée au lit quelque temps. « Tout le long de ma convalescence, le zéro déchet a pris le bord. Je croyais que c’était davantage ancré dans la famille », illustre‑t‑elle.

Toute la responsabilité que les individus se mettent sur les épaules est par ailleurs quelque peu disproportionnée par rapport à sa réelle portée, croit Annie Rochette. « La situation du changement climatique ne changera pas seulement par des actions individuelles, c’est impossible. Ça prend de grosses politiques environnementales, ce n’est pas comme faire du recyclage », souligne la chercheuse.

Photographie de Krystel Papineau.

« C’est une préoccupation constante. J’étais déjà sensibilisée avant mais on dirait que quand tu as des enfants, une sensibilité supplémentaire se rajoute. On se pose toujours la question : “Comment puis-je améliorer notre milieu de vie?” C’est une gestion continue. »

− Krystel Papineau, travailleuse en environnement

Cette dernière est un peu excédée du discours qui relègue le sort de la planète entre les mains des individus. « Quand les politiciens disent “chacun peut faire sa part”, c’est une manière de détourner l’attention. Au lieu de parler de sables bitumineux, on parle de la responsabilité des familles. Et la responsabilisation des familles, ça ajoute un fardeau qui tombe beaucoup sur les femmes… »

Une charge mentale nécessaire… mais temporaire

Je dirais qu’on n’a pas vraiment le choix d’assumer cette charge mentale, pour le bien de la planète », avance Caroline Voyer. « La bonne nouvelle, c’est que c’est une charge assez temporaire. Une fois les habitudes acquises, le mode de vie n’est pas perturbé par les changements qu’elles impliquent au quotidien », assure‑t‑elle.

Photographie de Laure Caillot.

« Il y en a pour qui la transition va être très rapide. Dans mon cas, ça a pris un peu plus de deux ans. Je ne me suis pas mis de pression. Il faut s’écouter et se respecter. »

− Laure Caillot, consultante zéro déchet et cofondatrice de la coopérative de services Incita

Laure Caillot, consultante zéro déchet et cofondatrice de la coopérative de services Incita, abonde dans le même sens. Pour elle, ce ne sont pas les tâches liées à l’environnement qui sont une source de charge mentale, mais plutôt le processus de changement qu’elles impliquent. Processus transitoire et donc, temporaire.

« Il y en a pour qui la transition va être très rapide. Dans mon cas, ça a pris un peu plus de deux ans. Je ne me suis pas mis de pression. Il faut s’écouter et se respecter », affirme celle qui organise chaque année le circuit zéro déchet de Rosemont. Elle constate d’ailleurs que les hommes et les pères sont de plus en plus impliqués dans le changement des habitudes de vie.

Malgré tout, Denise Proulx partage l’optimisme de Laure Caillot. Active dans le milieu depuis une trentaine d’années, elle constate à quel point les choses ont évolué. Les gens sont plus sensibilisés, conscients. « Ultimement, oui, nous aurons à traverser de grandes turbulences. Et je crois que les femmes vont beaucoup contribuer à trouver des solutions, à faire preuve de résilience, et à réorganiser la société. »