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Florence Montreynaud : une vie féministe

Florence Montreynaud signe un dictionnaire passant au crible les locutions et mots sexistes de la langue française. Entrevue.

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Pionnière du Mouvement de libération des femmes en France dès le début des années 1970, la traductrice et historienne Florence Montreynaud impressionne par son indiscutable sens de la formule. L’autrice de 18 ouvrages vient de faire paraître son dictionnaire Le roi des cons : quand la langue française fait mal aux femmes aux Éditions Le Robert. Elle n’hésite pas à y aborder des sujets chauds et à défendre des positions controversées au sein du mouvement féministe.

Fascinée par la société québécoise, où elle compte beaucoup d’ami·e·s, la militante en était à sa neuvième visite chez nous au printemps dernier. Entrevue avec celle qui cite Nelly Arcan dans son plus récent ouvrage.

À la lecture de votre plus récent livre, on voit que vous vous intéressez au Québec et à ses féministes. Pourquoi?
Dans la première entrevue que j’ai donnée ici, j’affirmais que le Québec est l’endroit le plus proche du paradis féministe dont je rêve. Maintenant il ne faut pas me faire dire ce que je n’ai pas dit, à savoir que le Québec est un paradis féministe. J’estime que c’est un pays en marche, alors que d’autres pays sont bien assis confortablement sur les inégalités. Très souvent, les débats qui vous animent finissent par arriver chez nous. Le Québec est pionnier, et ce, tant en ce qui concerne les féministes que les antiféministes. Par exemple, vous avez eu des masculinistes bien avant nous. Ils sont peu nombreux, mais d’une grande virulence. C’est un mouvement extrêmement violent. Cela dit, au Québec, même le pire des masculinistes, devant une femme juge, va dire la juge. [NDLR : en France, plusieurs noms de fonctions ne sont toujours pas féminisés.]

Vous écrivez : « Employer les mots justes contribue à transformer le monde. » Est-ce que la langue est le nouveau chantier principal du féminisme?
Il y a des dizaines de chantiers en cours. Celui-ci, je l’ai choisi. Je ne vais pas prétendre que c’est le plus important, c’est simplement celui dans lequel je suis compétente. Je suis très fière de mon métier, qui consiste à rendre accessibles les travaux de recherche des universitaires. J’aime beaucoup ce travail de vulgarisation. Je pense que c’est ce qui est le plus difficile, de faire comprendre, de formuler dans la langue des concepts compliqués, qui vont à rebrousse-poil des idées admises. Par exemple, « les hommes ont des besoins sexuels plus importants que les femmes ». Voilà une idée qui repose sur un préjugé récent, datant de deux siècles seulement. Ou lorsqu’on me dit « les excès du féminisme », je demande toujours lesquels et si cela est plus grave que l’excision, les viols et les meurtres. Pour certain·e·s, l’excès, c’est quand une féministe ose ouvrir la bouche…

Comment convaincre la majorité de l’importance de la féminisation de la langue française?
J’évite le terme « féminisation », car cela laisse entendre qu’un processus de modification est imposé de l’extérieur alors qu’il s’agit d’employer, de réintroduire des formes qui existaient déjà. Cela dit, il faut que les choses changent dans le respect des mentalités. On ne peut pas brusquer les gens, il faut les accompagner. Je dis : réfléchissez à ce que vous voulez dire, êtes-vous sûrs que cette forme rend bien compte de votre pensée? L’exemple le plus caractéristique, c’est l’expression « se faire violer ». Il est clair que vous ne voulez pas dire qu’elle y est pour quelque chose, que c’était son fantasme secret… Alors, pourquoi ne pas dire « elle a été violée »? Je suis simplement désolée de voir que des femmes utilisent des expressions qui les desservent. Je propose autre chose. Chaque fois que je critique, j’ai une solution.

Florence Montreynaud.

« Très souvent, les débats qui vous animent [au Québec] finissent par arriver chez nous [en France]. Le Québec est pionnier, et ce, tant en ce qui concerne les féministes que les antiféministes. »

— Florence Montreynaud, historienne et linguiste

Parmi les phrases marquantes du livre, vous dites que « l’endroit le plus dangereux pour les filles et les femmes, c’est la maison ». Ce sont des mots à la fois puissants et véridiques.
On nous apprend à nous méfier de l’ennemi venant de l’extérieur, mais on ne sait pas que dans une maison sur 10, des femmes, des filles subissent des violences. Parfois elles sont symboliques, mais c’est grave le symbole, et parfois les gestes sont très très violents, jusqu’au viol et au meurtre. Or toute notre éducation nous apprend à nous méfier de l’inconnu, de l’autre, de celui qui n’a pas la même couleur de peau que nous.

C’est comment, être une féministe en France aujourd’hui?
Le féminisme y est encore mal vu. Ça va mieux depuis #MoiAussi, ça va mieux aussi grâce au Québec et à la Suède, qui nous donnent des exemples positifs. Mais il reste quelque chose de cette perception machiste faisant croire que les féministes veulent un renversement de la situation actuelle, que tout le pouvoir aille aux femmes, que la fin du patriarcat rime avec matriarcat. Alors qu’évidemment que non, ce n’est pas du tout ça. Être féministe, c’est expliquer inlassablement que nous désirons un autre pouvoir, un autre type de gouvernance, que nous souhaitons changer les règles de vie. Bien sûr que nous voulons la moitié du gâteau, c’est normal après tout, nous sommes la moitié de la population, mais nous imaginons aussi un autre gâteau; pas un monde dans lequel la domination est le principe directeur.

Que pensez-vous des théories du genre et des revendications des femmes trans?
J’ai 70 ans, je n’ai rien à perdre, alors je vais dire ce que je pense. Le genre, ce n’est pas le sexe. Il s’agit d’un anglicisme. En français, le genre n’a pas le même sens que le mot gender en anglais. [NDLR : En français, le mot genre est défini comme une catégorie sexuelle, alors qu’en anglais, le terme gender désigne une construction sociale.] Cela ne fonctionne pas; les gens ne comprennent pas. Avec les études de genre, on ne parle plus des études féministes. On invisibilise les femmes. Je suis très vigilante face à cette question, car il faut nommer les choses pour qu’elles existent. L’intersectionnalité m’a beaucoup apporté pour comprendre ce que sont les multiples oppressions, mais ça existait avant avec le concept des discriminations croisées.