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Un clitoris en 3D pour expliquer le plaisir féminin

Mal représenté ou carrément absent des manuels scolaires, le clitoris serait-il le plus grand tabou des cours de biologie?

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En France, le clitoris a fait son entrée dans certaines salles de classe, à l’initiative d’une chercheuse indépendante et d’un groupe d’enseignant•e•s de biologie qui prône l’égalité. L’organe responsable du plaisir sexuel féminin aura-t-il sa place dans l’enseignement au Québec?

« Beaucoup d’élèves ne savent pas que cet organe existe », déplore Virginie Bordes. Lorsque l’enseignante de Perpignan laisse traîner son nouveau clitoris en 3D sur son bureau, l’objet d’une dizaine de centimètres suscite la curiosité de sa classe. À 15 ou 16 ans, la majorité ne peut pas identifier ce que c’est.

Photographie de Virginie Bordes.

« [Enseigner le clitoris relève] d’une présentation rigoureuse des faits scientifiques. Il y a vraiment une censure, un tabou. Quand on enseigne la respiration aux élèves, on ne va pas leur cacher les poumons. »

Virginie Bordes, enseignante du cours de sciences de la vie et de la Terre à Perpignan

Ses élèves du cours de sciences de la vie et de la Terre peuvent le retourner dans tous les sens, palper ses différentes parties. Car, contrairement à ce que plusieurs croient, le clitoris n’est pas qu’un bouton rose à l’extrémité de la vulve. Ce qui est visible n’est que son gland. Avec ses piliers et ses bulbes internes, l’organe fonctionne de la même manière qu’un pénis. Il est d’ailleurs composé des mêmes tissus érectiles, spongieux et caverneux, et recouvert des mêmes muscles.

Mais comment le savoir quand personne ne le dit?

Absent des manuels

Au Québec, le clitoris figure-t-il au programme scolaire? « L’étude du système reproducteur est abordée aux premier et deuxième cycles du secondaire en science et technologie, indique par courriel la responsable des relations de presse du ministère de l’Éducation, Esther Chouinard. Le clitoris ne fait pas partie des concepts prescrits. »

Il n’est en tout cas pas représenté adéquatement dans la plupart des manuels scolaires, a documenté une enquête de La Presse à l’été 2017. Il est parfois illustré à la manière d’un petit pois ou d’un haricot de quelques millimètres, sans mention de ses piliers ni de ses corps caverneux. Dans certains ouvrages de science et technologie, il est carrément absent.

En France, il n’a été représenté correctement dans un manuel scolaire qu’à la rentrée… 2017, aux Éditions Magnard.

Faire connaître l’organe du plaisir féminin

C’est pour pallier les lacunes des outils pédagogiques que la chercheuse indépendante française Odile Fillod a développé une version imprimable du clitoris, à partir d’une revue de la littérature scientifique réalisée en 2016.

Photographie de Odile Fillod.

« [Les] dimensions [du clitoris] sont assez variables d’une étude à l’autre, et sa forme diffère également selon qu’on regarde des images de dissection ou d’IRM. À partir de tout cela, il a fallu faire une sorte de compromis. »

Odile Fillod, chercheuse indépendante française ayant développé une version imprimable en 3D du clitoris

Mais le clitoris était connu depuis longtemps, précise-t-elle sur son blogue. L’organe responsable du plaisir sexuel féminin a été évoqué dans la poésie grecque au 6e siècle avant Jésus-Christ. L’une des premières descriptions de son anatomie a été faite au 16e siècle par l’Italien Gabriele Falloppio, qui a aussi étudié l’anatomie des trompes de Fallope.

L’anatomiste allemand Georg Ludwig Kobelt l’a également dessiné en 1844, à partir de dissections de la région pubienne. « Les dizaines de pages qu’il lui a consacrées dans son livre destiné à la description de “l’organe de l’excitation sexuelle des mâles et des femelles” constituent un sommet dans l’histoire de la littérature médicale sur le clitoris », souligne Odile Fillod.

Le clitoris a aussi été représenté dans la littérature plus récente, entre autres par l’urologue australienne Helen O’Connell en 1998.

« Ses dimensions sont assez variables d’une étude à l’autre, et sa forme diffère également selon qu’on regarde des images de dissection ou d’IRM. À partir de tout cela, il a fallu faire une sorte de compromis », explique Mme Fillod. Résultat : un modèle « stylisé » et « simplifié », imprimable en 3D.

Ce clitoris grandeur nature est apparu dans la classe de Virginie Bordes à la rentrée 2017. Un apport de taille pour celle qui, depuis plusieurs années, encourage ses élèves à ajouter eux-mêmes ce qui manque au système génital dans leurs manuels scolaires. « Je leur demande d’essayer de représenter le clitoris, qui est absent sur le schéma. »

Enseigner le clitoris ne relève pas tant du féminisme que d’une « présentation rigoureuse des faits scientifiques », selon elle. « Il y a vraiment une censure, un tabou. Quand on enseigne la respiration aux élèves, on ne va pas leur cacher les poumons », compare-t-elle.

L’éducation à la sexualité… sans clitoris?

À l’initiative de la chercheuse Odile Fillod et d’un groupe d’enseignant•e•s de biologie qui prône l’égalité, un clitoris en 3D a fait son entrée dans certaines salles de classe françaises, pour pallier les lacunes des outils pédagogiques.

Au Québec, il est difficile de dire si le retour de l’éducation à la sexualité obligatoire redonnera ou non ses lettres de noblesse à l’organe du plaisir féminin. Les élèves devront identifier pénis, scrotum, vagin et trompes de Fallope, mais il n’y a pour l’instant aucune mention du clitoris dans la grille des apprentissages fournie par le ministère de l’Éducation.

« Différents contenus d’apprentissage reliés au thème Agir sexuel (3e, 4e et 5e secondaires) abordent le plaisir sexuel physique, la réponse sexuelle humaine et les manifestations physiques de l’excitation sexuelle », souligne toutefois Mme Chouinard. Elle ajoute que les enseignant•e•s « auront toute la latitude requise » pour en discuter.

« Il me semble impossible pour les femmes de comprendre comment fonctionne leur plaisir sexuel sans connaître l’anatomie du clitoris, son positionnement dans la région génitale, son fonctionnement et son rôle aussi central que l’est celui du pénis pour le plaisir sexuel masculin », croit Odile Fillod.

À quand des clitoris en 3D dans les écoles secondaires du Québec?

Un projet québécois

Établie à Montréal, l’intervenante en éducation et en santé sexuelle Magaly Pirotte teste depuis six mois des outils qui permettent de montrer où se trouve le clitoris dans la vulve. En mars 2017, elle a conçu une version souple du clitoris en silicone, en collaboration avec Odile Fillod.

Selon elle, l’absence de représentation adéquate des organes génitaux est un obstacle à la culture du consentement. « Comment peut-on parler de plaisir, de désir et de sexualité si on n’a pas les mots pour décrire nos organes et savoir comment ils fonctionnent? », demande-t-elle.

Avec le projet Sex Ed +, elle veut mettre à la disposition des professionnel•le•s de la santé et de l’éducation des outils pour parler de sexualité de manière plus positive. « Il y a un tabou qui reste dans l’éducation sexuelle, qui tourne beaucoup autour de la reproduction. On ne cherche pas à savoir pourquoi les gens s’engagent dans des activités sexuelles, on n’aborde pas la question du désir ni du plaisir. »

Un clitoris dans une valise

Comme plusieurs Françaises de son âge, Fanny Prudhomme a appris sur le tard l’existence de son clitoris. « Il manque d’information sur le sexe féminin, affirme-t-elle. Moi-même, je me suis rendu compte qu’à 25 ans, je savais très mal représenter mon sexe. »

L’an dernier, dans le cadre de son projet de fin d’études à l’École nationale supérieure de création industrielle, à Paris, elle a conçu une valise qui regroupe les organes sexuels et reproducteurs féminins. Plus grand que nature, le clitoris est un gant rempli de ouate. « Ce que j’ai décidé de montrer, c’est sa capacité à être érectile, comme un pénis. » Elle le fait s’emboîter avec les lèvres et le vagin, qui mène vers l’utérus et les trompes de Fallope.

Si le kit « Les Parleuses » n’a pas encore fait son entrée dans les salles de classe, il a été testé par des professionnel•le•s, comme des enseignant•e•s, des conseillères en planification familiale et des sages-femmes.

Reste à voir comment il sera reçu par les jeunes.