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Maltraitances gynécologiques : parlons-en!

À quand des soins gynéco bienveillants et exempts de jugement?

Date de publication :

Personne n’aime aller chez le ou la gynécologue, je le sais bien. Mais pour certaines femmes, cette méfiance dépasse de beaucoup l’ennui d’avoir à se rendre à la clinique : elles anticipent profondément les visites chez ces spécialistes, de peur d’être maltraitées. « Maltraitance, quel mot intense! » direz-vous peut-être. C’est pourtant bien de cela qu’il s’agit.

J’ai vécu mon lot de rencontres traumatisantes avec le corps médical, dont une en particulier qui m’a longtemps hantée1. Mais en avril dernier, il m’est arrivé ceci.

J’ai pris rendez-vous dans une clinique montréalaise que l’on m’avait recommandée. J’espérais tomber sur une personne à l’écoute et compréhensive. Ce fut tout l’inverse. Le gynécologue ne m’a jamais regardée, il roulait des yeux et soupirait à chaque question que je lui posais et a ridiculisé les peurs (fondées et documentées) que j’avais concernant certains contraceptifs. Je me sentais comme la dernière des connes. J’étais si mal à l’aise que j’ai refusé l’examen gynécologique et suis partie, non sans avoir signalé mon mécontentement sur place, la voix chancelante et la confiance à zéro.

Dès mon retour à la maison, j’ai formulé une plainte par courriel. Plusieurs jours plus tard, j’ai reçu un appel du responsable de la clinique : j’étais la troisième personne, dans un court laps de temps, à déposer une plainte. S’excusant du comportement inacceptable du gynéco, il a ajouté : « Il aime juste faire de la chirurgie. » « Alors pourquoi lui permet-on encore de faire de la consultation? » ai-je demandé. Pas de réponse. J’ai partagé l’information sur Facebook, afin d’éviter à d’autres de se retrouver avec cet incompétent. En quelques minutes, j’apprenais qu’il avait été odieux avec plusieurs autres personnes. Parmi celles-ci, une journaliste qui a découvert que, par le passé, il a déjà été suspendu de ses fonctions. Pourtant, il pratique toujours. Allez comprendre quelque chose.

La loi du silence

En fait, on pourrait en déduire que les « problèmes de femmes » sont, depuis longtemps, balayés du revers de la main. C’est tout récent qu’on parle enfin menstruations et qu’on s’intéresse à leur impact sur notre vie. Pensons seulement à la gestion de la douleur. Selon Québec Science, les douleurs menstruelles sont considérées comme la première cause d’absentéisme au travail chez les femmes; 5 à 10 % d’entre elles doivent manquer l’école ou le travail pour cette raison2. Ce n’est pas rien! Sans parler de l’endométriose, encore mal diagnostiquée. Pourtant, combien de fois avons-nous été traitées de douillettes, alors qu’on se tordait de douleur?

À l’heure actuelle, des milliers de femmes en Europe, mais aussi aux États-Unis et au Canada, dénoncent en masse les effets secondaires du stérilet Mirena de la compagnie pharmaceutique Bayer. Les médias commencent à en parler – en France surtout. Pourtant, ça fait des années que celles qui utilisent ce contraceptif vivent avec des effets secondaires importants, voire débilitants. Dans L’Obs3, une journaliste a interrogé la responsable des communications de Bayer pour comprendre le lien entre dépression et stérilet avec hormones. Bien que des centaines de femmes aient rapporté des problèmes allant de crises d’angoisse à une perte complète de libido, en passant par la dépression sévère, son interlocutrice lui a fortement suggéré de « relativiser » les témoignages de ces dernières. Et ce, même si une récente (et très sérieuse) étude danoise confirme que « le risque de prendre des antidépresseurs augmentait de 40 % chez les femmes utilisant une contraception hormonale ». Chez les adolescentes, le chiffre double : 80 %. Rien que ça. Mais qui croit-on? Pas ces femmes, en tout cas. Certaines ont pratiquement été traitées de folles…

Dénonciation et solidarité

Quand même, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer les différents types de maltraitance gynécologique. Au Québec, le terme violences obstétricales revient fréquemment, en lien avec les suivis médicaux des femmes enceintes. Le 28 mai dernier, lors de la Journée internationale d’action pour la santé des femmes, des initiatives ont été lancées pour dénoncer ces violences qui ont lieu tant sur la table d’examen que dans la salle d’accouchement. Entre autres, un tumblr du Regroupement Naissance-Renaissance, sur lequel on trouve des témoignages de plusieurs femmes qui ont été maltraitées4. Le mot-clic suggéré, #AccouchementNonDénoncé, a surtout été relayé par les femmes elles-mêmes ou des organismes pour la santé des femmes; peu de médias en ont parlé.

On trouve aussi en ligne les archives5 du magazine Planète F, qui a fait un dossier complet sur le sujet en 2014. C’est cette même année que des Françaises ont commencé à utiliser le mot-clic #PayeTonUtérus pour raconter les violences subies. Ajoutons aussi toutes celles qui prennent de plus en plus la parole pour dénoncer la façon dont elles sont traitées par les médecins grossophobes, dont plusieurs proviennent du domaine de la gynécologie. À ce sujet, la Lettre ouverte d’une fille grosse aux toubibs d’une certaine Anouch, publiée en mai dernier sur le site Streetvox6, est parlante : « Ces consultations, très intimes, sont celles que je redoute le plus. […] Un jour, l’un d’eux m’a signifié par ses mots et ses gestes que mon corps le dégoûtait, littéralement. » D’autres témoignages – qui ratissent plus large que la gynécologie – sur le blogue taille plus Dix Octobre7 sont assez rageants aussi.

Pourtant, ces lieux de soins devraient être exempts de tout jugement. De ces médecins, on est en droit d’attendre professionnalisme, ouverture et bienveillance. Pour quiconque va consulter. Il demeure que, trop fréquemment, j’entends, lis et vois autour de moi des femmes qui compilent les histoires d’horreur et les types de maltraitances gynécologiques qu’elles ont subies. Pour que ça cesse, il faut en parler. Beaucoup. Souvent. Dénoncer et exiger d’être traitée comme il se doit, c’est-à-dire humainement. Je sais que ce n’est pas toujours facile, surtout devant le corps médical, qui se cache souvent derrière une posture d’autorité indiscutable, mais il faut le faire. Et il faut être solidaires. Car les voix qui s’élèvent déjà, sur les médias sociaux, les blogues, les statuts Facebook personnels, permettent de rassembler celles qui sont isolées et de faire écho, ensemble. Et on doit continuer à les faire résonner fort. Il en va de la santé de chacune.

Myriam Daguzan Bernier est autrice de Tout nu! Le dictionnaire bienveillant de la sexualité (Éditions Cardinal, ), créatrice du blogue La tête dans le cul, collaboratrice à Moteur de recherche sur ICI Radio-Canada Première et journaliste indépendante. Elle est également formatrice et spécialiste Web et médias sociaux à l’INIS (Institut national de l’image et du son). Actuellement aux études à temps plein en sexologie à l’Université du Québec à Montréal, elle prévoit devenir, dans un avenir rapproché, une sexologue misant sur une approche humaine, féministe et inclusive.