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En affaires et solidaires

Pour plus de femmes dans les C.A. : Catalyst fidèle à sa mission.

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Elles travaillent dans les affaires, mais croient que l’ambition seule ne suffit pas à changer le système. Catherine Corley, de Catalyst, Caroline Codsi, de La Gouvernance au féminin, et Dana Ades-Landy, de l’Association des femmes en finance du Québec, pressent le milieu économique d’agir afin de féminiser les conseils d’administration et les lieux décisionnels.

Photographie de Catherine Corley.
Catherine Corley, vice-présidente principale responsable des opérations mondiales de Catalyst, déplore que, 50 ans après la fondation de son organisme, les choses n’aient pas tant changé que cela. La raison? « Parce que les biais sexistes sont encore très présents dans la grande entreprise. On dirait que c’est ce qui est le plus difficile à changer ».

En 1962, une mère de famille hautement scolarisée du Massachusetts, Felice N. Schwartz, jetait un pavé dans la mare de la vie universitaire des Américains : serait-il possible, demanda-t-elle au directeur de son alma mater, le Smith College, de mettre à profit les talents et capacités de toutes les femmes éduquées qui peuplent le pays et qui souhaitent se réaliser en dehors de leur foyer? Quelques mois plus tard, Catalyst était fondée.

Le premier conseil d’administration de cette nouvelle organisation est alors formé de cinq directeurs d’université, dont une femme. L’initiative vise d’abord les milieux scolaires, mais a touché depuis tous les milieux de travail. Aujourd’hui, Catalyst compte des chapitres en Europe, au Canada, en Inde et au Japon, et poursuit la même mission depuis le début : sensibiliser les organisations au manque de femmes dans les instances des grandes compagnies, de l’industrie automobile aux banques en passant par les médias et tant d’autres employeurs, afin que leurs conseils d’administration se féminisent.

Nous sommes 54 ans plus tard, le 14 septembre 2016, à l’édifice Jacques-Parizeau à Montréal. Le prestigieux gala de l’organisme La Gouvernance au féminin réunit le gratin de la finance du Québec, et rend hommage à des hommes alliés des femmes ainsi qu’à Kathleen Taylor, présidente du conseil d’administration de la Banque Royale. Parmi les invités, Catherine Corley, vice-présidente principale responsable des opérations mondiales de Catalyst. Elle déplore que, 50 ans après la fondation de son organisme, les choses n’aient pas tellement changé. Encore aujourd’hui, les conseils d’administration des entreprises canadiennes cotées en Bourse comptent moins de 20 % de femmes, selon un rapport de 2015 du Conseil canadien pour la diversité administrative. « Pourquoi? Parce que les biais sexistes sont encore très présents dans la grande entreprise, affirme-t-elle. On dirait que c’est ce qui est le plus difficile à changer. En revanche, nous avons abattu, je crois, le mythe de la reine abeille : les femmes sont plus ouvertement solidaires et la rivalité féminine n’est plus brandie comme l’obstacle à leur avancement. »

Les grands moyens

D’ailleurs, au Québec, plusieurs femmes d’affaires ont pris le taureau par les cornes et travaillent à aider leurs consœurs. Le but? Entrer en plus grand nombre dans les conseils d’administration, lieux de décisions cruciaux. En 2014, Monique Jérôme-Forget s’est prononcée pour l’imposition de quotas afin de réaliser la mixité de genres dans les C.A. Elle était alors la seule des 10 membres de la Table des partenaires influents (initiative de la ministre de la Condition féminine en 2012 Christine St-Pierre, relayée à sa successeure, Agnès Maltais) à plaider pour une législation.

Photographie de Caroline Codsi.

« Nous avons trop attendu et la solution qui s’impose est claire : il faut se donner des règles pour que plus de femmes soient présentes dans les C.A. et qu’elles en dirigent davantage. Ça n’arrivera jamais tout seul. »

Caroline Codsi, présidente fondatrice de la Gouvernance au féminin

Depuis, d’autres femmes ont réclamé des quotas. Anne-Marie Hubert, associée chez Ernst & Young, connue dans les milieux financiers pour sa lutte en faveur des femmes, ainsi que Dana Ades-Landy, qui a fondé et qui préside l’Association des femmes en finance du Québec (AFFQ) (elle est également présidente de la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC). Celle-ci a réuni des organisations au sein de l’AFFQ et, avec d’autres, a formé le groupe Ensemble vers la parité. Parmi les membres de cette coalition, Caroline Codsi préside La Gouvernance au féminin, instance qui, elle aussi, regroupe des entreprises.

Bref, il y a ralliement autour d’une cause, c’est le moins qu’on puisse dire. « Aujourd’hui, il est impensable de ne pas se mobiliser, plaide Caroline Codsi. Nous avons trop attendu et la solution qui s’impose est claire : il faut se donner des règles pour que plus de femmes soient présentes dans les C.A. et qu’elles en dirigent davantage. Ça n’arrivera jamais tout seul. »

On croyait les femmes d’affaires réfractaires à la législation, mais c’est de moins en moins le cas. « Par le passé, nous avons invité les entreprises à se discipliner elles-mêmes et à changer de l’intérieur, poursuit Caroline Codsi. C’est ce que préconise le principe “se conformer ou s’expliquer”, qui laisse aux dirigeants la liberté de faire les choses à leur façon. »

« Nous avons même créé des outils, comme une banque de noms de femmes hautement qualifiées prêtes à siéger à des C.A, ajoute Dana Ades-Landy. On ne pourra plus nous répondre qu’il n’existe pas assez de femmes compétentes. Mais même avec le principe du “se conformer ou s’expliquer” et tout le travail que nous faisons pour présenter des candidatures de haut niveau, rien n’avance. J’en conclus que c’est la culture qui doit changer. »

Un système, ça se change

Cette culture, nous la connaissons. Une suite d’obstacles systémiques bloquent la voie des femmes en entreprise, obstacles qui se comparent à ceux que rencontrent celles qui souhaitent aller en politique : difficulté à concilier le travail et la famille, persistance des directions à invoquer le manque de femmes compétentes, réseaux traditionnels où les hommes se choisissent entre eux… La routine habituelle.

Lors du colloque « Femmes en finance, femmes en action », tenu le 13 septembre dernier à Québec, Dana Ades-Landy a été très claire : « Nous nous sommes contentées de l’engagement moral des directions d’entreprise d’emboîter le pas et de féminiser les C.A., mais en 10 ans, ça n’a pas évolué. Faudra-t-il des quotas? »

Photographie de Dana Adès-Landry

« Nous nous sommes contentées de l’engagement moral des directions d’entreprise d’emboîter le pas et de féminiser les C.A., mais en 10 ans, ça n’a pas évolué. Faudra-t-il des quotas? »

Dana Adès-Landy, fondatrice et présidente de l’Association des femmes en finances du Québec et présidente de la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC

Mme Ades-Landy ne croit pas si bien dire. En Norvège, le gouvernement a voté le Women on Boards Act, une loi mise en application en 2006 qui a enjoint aux C.A. de compagnies publiques d’intégrer 40 % de femmes en deux ans, sous peine de dissolution des compagnies. C’est ce qu’on appelle une loi qui a des dents! Dans ce pays, les C.A. de ces sociétés et entreprises sont passés de 6 % à 40 % de femmes membres. Au début de la mise en application de la loi, on a craint la faillite du pays, des administratrices peu qualifiées, bref, l’apocalypse… Résultat des courses : l’économie norvégienne se porte très bien.

On n’en demande pas tant chez nous, mais Dana Ades-Landy tout comme Caroline Codsi souhaiteraient que les gouvernements canadien et québécois adoptent les mêmes mécanismes, à savoir une obligation d’agir. « Comment faire autrement lorsqu’on voit que la culture ne change pas? À un moment donné, il faut intervenir », dit Mme Ades-Landy.

L’éléphant dans la pièce, dans le monde des affaires comme en politique, c’est l’imposition de mesures de correction, aussi appelées quotas de genre. L’idée d’obliger des instances à « imposer » une règle, comme l’a fait le gouvernement norvégien, met tout le monde mal à l’aise.

De son côté, Catalyst travaille très fort à éduquer, outiller, dénoncer, mais ne va pas jusqu’à exiger des quotas. « Nous collaborons avec les gouvernements et les entreprises pour que le changement vienne de l’intérieur, explique Catherine Corley. Il faut apprendre aux dirigeants que dans notre système, les hommes sont privilégiés. Et qu’avec les privilèges viennent des devoirs et des responsabilités. Or nous constatons, malheureusement, que peu d’entre eux comprennent ce que sont des privilèges. »

Parfois, il est vrai, il faut de l’aide pour comprendre… En Europe, en plus de la Norvège, l’Allemagne, la France, l’Italie et la Belgique ont légiféré sur les quotas, un moyen de plus en plus reconnu comme la seule manière de forcer les directions à changer la culture de l’intérieur.

Cette solution, selon Caroline Codsi, est la clé du changement. « Nous sommes loin derrière les pays d’Europe qui, pour certains, étaient réputés réfractaires à ce genre de législation. Ils ont prouvé que pour être concurrentiels sur le plan économique, il fallait qu’ils se dotent de programmes d’égalité. » Selon elle, les entreprises aux C.A. paritaires sont plus rentables. C’est aussi l’argument des principales partisanes des quotas.

La rentabilité financière doit-elle constituer la principale raison pour contraindre à changer les règles? « Bien sûr que non, mais j’ai tendance à penser que, malheureusement, il faut user de stratégie », lance Mme Codsi. Cela dit, pour elle comme pour Catherine Corley ou Dana Ades-Landy, il est crucial que les femmes contribuent en grand nombre à façonner notre société et son économie. Nous devons connaître leurs idées, leurs propositions et leurs inventions, et savoir comment elles pourraient influencer la vie économique, politique et sociale. La vision des femmes : en voilà un argument de taille. Peut-être le meilleur?