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La fée des étoiles

Dans notre galaxie : une scientifique médaillée d’or!

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L’astrophysicienne québécoise Victoria Kaspi a reçu la plus haute distinction accordée à un scientifique au Canada. Une première pour une femme! Gravitation, Étoiles à neutrons, Introduction aux vents stellaires… Les titres qui s’alignent sur les rayons des bibliothèques de Victoria Kaspi trahissent ses activités diurnes (et souvent nocturnes). Directrice du nouvel Institut spatial de l’Université McGill, l’astrophysicienne affiche une humble fierté devant l’honneur qui lui a été fait en février dernier : l’attribution de la Médaille d’or Gerhard-Herzberg, assortie d’une généreuse subvention de recherche (jusqu’à un million de dollars). Une première pour une femme! « Oui, je suis fière de recevoir ce prix, dit-elle. Mais j’espère surtout qu’il y aura beaucoup d’autres femmes après moi. »
Photographie de Victoria Kaspi.
© McGill University
« Nous formons des étudiants passionnés qui apprennent à penser avec un esprit critique et, en même temps, dans le respect et la collaboration, tout en se basant sur des preuves. Je crois que si nos politiciens avaient ce type de formation, le monde irait mieux. »
Victoria Kaspi, directrice de l’Institut spatial de l’Université McGill et récipiendaire de la Médaille d’or Gerhard-Herzberg
Remis par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRNSG), le prix existe depuis 25 ans, mais il semblerait que l’on n’avait pas encore trouvé de candidate à la hauteur. « Ce prix couronne une carrière. Or, il y a 30 ans, peu de femmes pouvaient entreprendre une carrière en sciences. » Et aujourd’hui? « C’est un peu différent, mais je crois que le travail scientifique des femmes n’est pas encore reconnu comme celui des hommes. » Pour preuve : seulement 14 % des professeurs titulaires subventionnés par le CRNSG sont des femmes, moins du quart des étudiants universitaires inscrits en sciences appliquées et en sciences pures au Québec sont des filles et, selon Statistique Canada, le salaire médian des femmes dans le domaine des sciences et technologies est de 14,6 % inférieur à celui des hommes. « Je crois malheureusement que ces écarts concernent tous les domaines de la société, estime la professeure à l’Université McGill. En politique ou dans les médias, les femmes sont aussi jugées plus sévèrement que les hommes. » Et doivent, bien souvent, jongler avec des obligations familiales plus contraignantes.

Des mystères de l’univers et de la maternité

Victoria Kaspi en sait quelque chose, elle qui, non contente de faire de remarquables découvertes sur les mystères de l’univers (voir encadré), a aussi bâti, avec son mari cardiologue, une constellation familiale au firmament de laquelle brillent trois étoiles (de 15, 14 et 11 ans). Quand on lui demande comment elle concilie recherche de haut niveau et vie de famille, elle répond par une anecdote qui en dit long. « J’étais enceinte de 9 mois. Mon fils de 2 ans était malade et mon mari était à l’urgence en train de s’occuper d’un patient qui venait de faire une crise cardiaque. Je devais absolument participer à une réunion téléphonique avec une équipe d’astronomes en poste à l’Observatoire Canada-France-Hawaï, au sommet du mont Mauna Kea à Hawaï. Mon fils vomissait sur le plancher de la cuisine et je discutais avec mes collaborateurs en train d’observer une étoile sur le point d’exploser. Nous ne pouvions manquer cette “fenêtre d’opportunité”, comme nous disons dans le jargon, car nous savions que cette occasion ne se reproduirait plus avant 10 ans! » Le temps d’observation sur les grands télescopes internationaux est en effet minutieusement partagé entre les équipes de tous les pays. L’étoile a explosé. Le fils de Victoria a guéri et elle se félicite d’avoir pu mener de front ces deux aspects de sa vie. « Je n’aurais pu renoncer ni à mes enfants ni à ma carrière. »

Les méandres de la vie

Son intérêt pour les mystères de l’univers et les mathématiques ne date pas d’hier. Casse-têtes insolubles, cube Rubik, jeux de stratégie, rien n’était à l’épreuve de cette enfant douée. Fan de science-fiction, elle dévorait aussi les romans Alice détective, où une jeune héroïne résolvait des énigmes impossibles. « J’aime m’attaquer à des problèmes qui nécessitent plusieurs réponses », explique la récipiendaire du prix Marie-Victorin 2009. Peut-être parce que son histoire familiale est elle aussi placée sous le signe de la complexité. Ses grands-parents juifs ont fui la Pologne pour la Palestine avant la Seconde Guerre mondiale pour échapper à la montée du nazisme. La famille a ensuite abandonné son nom pour adopter le patronyme israélite Kaspi. Son père, aujourd’hui âgé de 89 ans, a rencontré sa mère à Montréal avant de s’installer au Texas le temps de terminer son doctorat en littérature. C’est là que Victoria est venue au monde. Alors qu’elle n’avait que 5 ans, la famille est retournée vivre en Israël en pleine guerre du Kippour. « Une expérience très difficile », se souvient-elle.

Façonner des esprits critiques

Aujourd’hui, Victoria Kaspi est non seulement reconnue comme une grande scientifique, elle est aussi une pédagogue appréciée qui a formé des dizaines d’étudiants et d’étudiantes… dont la plupart ont délaissé l’astronomie. Certaines ne pouvaient pas quitter Montréal pour des raisons familiales. Plusieurs voulaient faire de la recherche plus appliquée. L’une travaille dans le domaine médical, une autre est programmeuse informatique, deux autres enseignent la physique au cégep. « Je suis sûre cependant que la formation qu’elles ont reçue les aura marquées pour la vie. Nous formons des étudiants passionnés qui apprennent à penser avec un esprit critique et, en même temps, dans le respect et la collaboration, tout en se basant sur des preuves. Je crois que si nos politiciens avaient ce type de formation, le monde irait mieux. » On ne peut que lui donner raison.

Une carrière exemplaire

Victoria Kaspi est une spécialiste des étoiles à neutrons, plus particulièrement des pulsars, ces petits corps célestes d’une incroyable densité qui tournent sur eux-mêmes à grande vitesse et émettent un rayonnement électromagnétique ultra-puissant. Étudiante brillante, elle a poursuivi ses études doctorales à l’Université Princeton, au New Jersey, sous la direction de l’astrophysicien Joseph Taylor (Prix Nobel 1993). D’abord professeure au MIT, elle accepte un poste à McGill en 1999. Depuis, elle et son équipe enchaînent les découvertes et les publications dans les plus prestigieuses revues savantes. À son actif : la découverte de l’étoile à neutrons ayant la plus grande vitesse de rotation (716 tours par seconde, soit aussi vite qu’un mélangeur), une nouvelle validation de la théorie de la relativité générale d’Einstein, l’observation de magnétars (des étoiles à neutrons très rares produisant des champs magnétiques extrêmement puissants) et, très récemment, l’observation de signaux d’ondes radio répétés (des « sursauts radio ») provenant de l’extérieur de notre galaxie. Autant de découvertes qui ouvrent de nouvelles fenêtres sur notre connaissance de l’être humain et de ses origines.