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Le poids de la maternité

Désirer rester mince durant la grossesse et sitôt après l’accouchement : pour qui et pourquoi?

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Le poids pèse lourd dans l’esprit — et les discussions — de nombreuses femmes. On déplore son gain, on se félicite de sa perte. Et les femmes enceintes échappent de moins en moins à la règle.

Depuis quelques années, un phénomène s’accentue chez les femmes enceintes : non seulement elles cherchent à contrôler les kilos qui s’accumulent pendant la grossesse, mais elles souhaitent retrouver leur poids initial le plus rapidement possible après l’accouchement. Avec quelques abdos en prime.

Marie Fortier, infirmière périnatale depuis 27 ans et fondatrice de Mes cours prénataux, un portail offrant notamment des forfaits de cours prénataux en ligne, en sait quelque chose. « Il n’est pas rare, désormais, qu’une femme me questionne sur son poids dès le premier rendez-vous postnatal », raconte-t-elle. Elle souligne que ce sont surtout les femmes scolarisées qui semblent se préoccuper de la minceur. « Les jeunes professionnelles veulent rentrer dans leur tailleur rapidement. »

Photographie de Marie Fortier portant un bébé dans ses bras.

« Celles qui montent sur la balance le jour de l’accouchement avaient sûrement la même préoccupation avant la grossesse. »

Marie Fortier, infirmière périnatale depuis 27 ans et fondatrice de Mes cours prénataux

Mais attention, il est tout de même important de surveiller son poids pendant la grossesse, rappelle-t-elle. « L’excès de poids pendant la grossesse peut entraîner divers problèmes : diabète, haute pression, prééclampsie, mauvaise circulation sanguine, troubles endocriniens, etc. », souligne l’infirmière. Selon le guide Mieux vivre avec notre enfant de la grossesse à deux ans, produit par l’Institut national de santé publique du Québec, les femmes ayant un poids santé doivent s’attendre à prendre entre 11,5 et 16 kg (25 et 35 livres) pendant leur grossesse. Un gain qui peut varier grandement d’une femme à l’autre.

Reste que selon une étude publiée en 2003 dans le Journal of the American Dietetic Association, près de 40 % des femmes dont la prise de poids pendant la grossesse respectait les normes s’inquiétaient quand même de leurs nouveaux kilos en fin de grossesse. De plus, 21 % d’entre elles avaient adopté des comportements jugés néfastes, comme ne pas manger avant un suivi de grossesse ou essayer de limiter la prise de poids dans les premiers mois.

Et avec les Kate Middleton et Blake Lively de ce monde (respectivement épouse du prince William au Royaume-Uni et actrice et mannequin états-unienne, qui au lendemain de leurs grossesses semblaient avoir repris une taille de guêpe sous l’œil attentif des médias), la tendance est à la hausse, confirme Fannie Dagenais, nutritionniste et porte-parole de l’organisme ÉquiLibre, qui fait la promotion d’une image corporelle saine. « Avant, quand on tombait enceinte, on était pour ainsi dire dispensée du culte de la minceur, relate-t-elle. Les femmes le verbalisaient en disant : “Je vais en profiter, je vais me gâter.” Maintenant, ce n’est plus du tout ce qu’on voit. Il y a une réelle préoccupation pour le poids pendant la grossesse. »

L’idéal recherché : des kilos ajoutés qui se limitent au ventre, qui doit être bien rond; de dos, la future maman ne doit pas avoir l’air enceinte. Rien de moins.

Un problème né avant la grossesse

La réalité, c’est que cette obsession du poids précède la conception de l’enfant. « Celles qui montent sur la balance le jour de l’accouchement avaient sûrement la même préoccupation avant la grossesse », illustre Marie Fortier.

Il faut dire qu’au Québec, 73 % des femmes souhaitent maigrir. Et pour 40 % d’entre elles, cet objectif devient une source d’anxiété importante, rapporte une étude Ipsos Reid réalisée sur la question en 2008. « C’est devenu une norme d’être préoccupé par son poids. Dans une réunion entre collègues à l’heure du dîner, on parle aisément de nos régimes alimentaires et insécurités corporelles. En fait, c’est quand on affirme qu’on adore son corps qu’on sort du lot! » dit Fannie Dagenais.

Photographie de Lydya Assayag.

« Pendant la grossesse […], la majorité des femmes sont tellement déséquilibrées par rapport à leur alimentation, tellement obsédées par les calories qu’elles ne savent plus reconnaître les signaux de satiété. »

Lydya Assayag, directrice du Réseau québécois d’action pour la santé des femmes

Le hic, c’est que cette constante surveillance pondérale ne s’évapore pas avec un test de grossesse positif. « Pendant la grossesse, on doit écouter son corps et manger sainement, mais la majorité des femmes sont tellement déséquilibrées par rapport à leur alimentation, tellement obsédées par les calories qu’elles ne savent plus reconnaître les signaux de satiété », avance Lydya Assayag, directrice du Réseau québécois d’action pour la santé des femmes.

Pour elle, le problème dépasse la simple question de la santé. « Il y a un enjeu d’égalité hommes-femmes. Plus les femmes accèdent à l’égalité professionnelle, par exemple, plus on leur dit : “Sois belle et tais-toi.” » En réalité, le problème réside dans la faible valorisation du rôle de mère sur le marché du travail. « La maternité n’est pas productive. La parenthèse de la grossesse est considérée comme une “perte de temps” qui chamboule le diktat établi », selon Lydia Assayag.

Médias sociaux : entre motivation et pression

Même si ce n’est pas la seule explication, la surexposition des femmes aux célébrités qui retrouvent vite leur taille fine après l’accouchement joue sur leur subconscient. « Avant Internet et les réseaux sociaux, on ne voyait pas cette partie de la vie des vedettes, fait remarquer Fannie Dagenais. Aujourd’hui, elles exhibent un corps de rêve en bikini quelques semaines après leur accouchement, comme si de rien n’était. »

Certaines vont même plus loin, jouant la provocation. Récemment, Maria Kang, une entraîneuse professionnelle californienne et mère de trois jeunes enfants d’âge rapproché, a semé la controverse en publiant une photo d’elle avec sa progéniture, abdominaux et bras musclés en évidence. Son commentaire accompagnant l’image : « Et vous, quelle est votre excuse? » (comprendre : pour ne pas avoir ce corps?). Plusieurs ont ressenti un malaise devant cette photo, dont Lydya Assayag. « Ça culpabilise les femmes, sans aucun doute. Ça vient rajouter la notion de paresse », analyse-t-elle.

D’autres voient les choses autrement. « Ça dépend de la femme qui observe l’image. Certaines vont réagir par jalousie, d’autres seront inspirées, d’autres encore rouleront des yeux. Personnellement, je trouve ça cool », affirme Karoline Deneault. Cette mère de jumeaux et adepte de mise en forme depuis son congé de maternité a créé sur Facebook un populaire réseau de mères qui se motivent pour perdre du poids et se mettre en forme. En un an, le groupe MOVE! a dépassé les 1 500 membres. Selon son instigatrice, c’est le sentiment de communauté qui fait son succès. « Dans le temps de ma mère, les femmes avaient des enfants à peu près au même moment. Les amies vivaient dans la même rue. Maintenant, on a un an de congé de maternité, mais toutes nos copines ne le vivent pas en même temps. On est souvent seules. »

La forme et le bon sens

Pour la jeune femme, il est essentiel que les femmes soient bien dans leur corps afin d’être bien dans leur tête. « Trop souvent, les mères tombent dans le piège d’accepter un corps qui n’est plus le leur et qui ne leur plaît pas. Je crois qu’on a le droit et le devoir de s’occuper de soi afin de se retrouver pleinement », affirme Karoline Deneault. Pour elle, le déclic s’est fait dans la salle d’essayage d’un magasin, où elle n’a pu retenir ses larmes devant le miroir. Elle avait pris 32 kilos (70 livres) pendant sa grossesse.

Photographie de Karoline Deneault.

« Quand une femme vient me voir pour me demander conseil pour un programme d’entraînement en début de grossesse, je lui dis de tout arrêter. »

Karoline Deneault, adepte de mise en forme et créatrice du groupe MOVE! sur Facebook

Si elle milite pour un mode de vie sain et actif, Karoline Deneault reconnaît son malaise devant les femmes enceintes qui tentent de contrôler leur poids (voire d’en perdre!) pendant les neuf mois de grossesse. « Quand une femme vient me voir pour me demander conseil pour un programme d’entraînement en début de grossesse, je lui dis de tout arrêter. » Après deux fausses couches, elle n’a elle-même voulu prendre aucun risque. « Les jeunes femmes ont tellement de pression pour être parfaites, même enceintes… On a le temps de se remettre en forme après la venue du bébé, même si ça prend un an », croit-elle.

Marie Fortier estime que la grossesse peut même être l’élément déclencheur pour adopter un mode de vie plus sain. « Si on mange bien pendant toute la grossesse, il sera possible de revenir à son poids initial rapidement. Ce n’est pas le temps de commencer un régime, mais si on souhaite faire plus attention à son alimentation, pourquoi pas? » conclut-elle.