Aller directement au contenu

Droit de vote : elles y étaient!

75e anniversaire du droit de vote des femmes : elles se souviennent

Date de publication :

Auteur路e :

En ce 75e anniversaire du droit de vote féminin au Québec, nous avons recueilli les témoignages de femmes d’action, qui se rappellent avec émotion ce moment clé de notre histoire.

Laurette Champigny-Robillard, 89 ans, première présidente du Conseil du statut de la femme

« J’avais 14 ans. Je me souviens de ce jour parce que ma grand-mère a pleuré toute la journée! C’était un choc pour moi de la voir dans cet état, ça m’a marquée. Ma mère, elle, n’était pas du tout politisée, et ça ne parlait pas beaucoup de politique dans ma famille. Mais ma grand-mère était féministe; elle avait eu “seulement” deux enfants, et j’ai compris qu’elle avait essayé de mener une autre vie que celle de la plupart des femmes de son époque. J’étais très fière d’elle, particulièrement quand on se promenait toutes les deux dans la rue Saint-Hubert : les conseillers municipaux l’arrêtaient pour lui demander ce qu’elle pensait de tel événement ou tel projet… Ça m’impressionnait beaucoup! L’importance du droit de vote m’est apparue plus tard. J’ai contribué à la victoire de Claire Kirkland-Casgrain comme députée libérale dans Jacques-Cartier en 1961, et j’en ai été très fière. »

Photographie de Laurette Champigny-Robillard.

« J’avais 14 ans. Je me souviens de ce jour parce que ma grand-mère a pleuré toute la journée! C’était un choc pour moi de la voir dans cet état, ça m’a marquée. »

Laurette Champigny-Robillard, première présidente du Conseil du statut de la femme

Janine Sutto, 93 ans, comédienne

« J’avais 18 ans! Cet événement me disait quelque chose, bien sûr, surtout parce que mes parents s’intéressaient à tout, y compris à la politique. Je ne peux pas dire que le sujet monopolisait les conversations, mais c’était dans l’air. Je me souviens que ça me faisait plaisir de savoir que l’opinion des femmes importait désormais. Mais il ne faut pas croire que ça faisait tant de vagues… Ce n’était pas le sujet du jour. Et comme je commençais mes cours de théâtre, j’étais loin de ces débats. Ce n’est que 10 ans plus tard que j’ai commencé à réaliser l’impact des inégalités sur la société. Et je le mesure encore aujourd’hui! Je n’en reviens tout simplement pas que les hommes gagnent plus que les femmes au théâtre. J’ai été très chanceuse d’avoir côtoyé des hommes complices dans ma carrière. Par exemple, Gilles Latulippe et Guy Fournier trouvaient injuste que je gagne moins qu’eux, et ils négociaient mes contrats. Ils ont été pour moi des héros. Je n’ai pas eu le temps, dans ma vie, de m’impliquer dans les causes sociales ou dans la politique. Mais devant les inégalités qui persistent, je dis : les filles, vous avez encore beaucoup de boulot! »

Photographie de Janine Sutto.

« Je me souviens de m’être dit que ça me faisait plaisir de savoir que l’opinion des femmes importait désormais. Mais il ne faut pas croire que ça faisait tant de vagues… Ce n’était pas le sujet du jour. »

Janine Sutto, comédienne

Micheline Dumont, 80 ans, historienne et auteure

« La première fois que ma mère a voté, à Québec en 1944, j’avais 9 ans. Je me rappelle qu’elle disait qu’on était chanceux car nos deux familles votaient du même côté. On ne parlait pas souvent de politique chez nous, mais je me souviens des apparitions de Thérèse Casgrain à la télévision. Durant les années 1960, elle abordait souvent l’importance de la voix des femmes, et on parlait d’elle quand elle était candidate. Elle se présentait alors pour la Co-operative Commonwealth Federation (CCF), ancêtre du Nouveau Parti démocratique. Je me souviens d’avoir entendu des commentaires comme : “Elle a beau se présenter, elle ne sera jamais élue!” Et en effet, elle n’a jamais été élue, même si elle s’est présentée une dizaine de fois. C’était la seule femme connue candidate aux élections – il y en a eu d’autres, plus anonymes. Les femmes ont mis du temps à se présenter. Même aujourd’hui, ça reste difficile. On a compris leur importance en politique quand le féminisme a conscientisé les femmes et démontré que, si elles voulaient que le monde change, il leur fallait entrer dans l’arène. J’ai lu énormément de magazines féminins des années 1940 et 1950, mais aucun n’abordait le rôle des femmes en politique, même si on venait d’obtenir le droit de voter en 1940. J’ai lu des textes de la journaliste Françoise Gaudet-Smet, dans la très populaire revue qu’elle avait fondée, Paysana (1938-1949), où elle exprimait son opposition au droit de vote féminin. Elle a toutefois joué un rôle important en 1943, alors qu’elle revendiquait le droit des femmes au travail. »

Paysana
Photographie de Micheline Dumont.

« On a compris l’importance des femmes en politique quand le féminisme a conscientisé les femmes et démontré que, si elles voulaient que le monde change, il leur fallait entrer dans l’arène. »

Micheline Dumont, historienne et auteure

Solange Fernet-Gervais, 85 ans, ex-présidente provinciale de l’Aféas, récipiendaire de l’Ordre national du Québec

« J’avais des enfants en bas âge à cette époque, donc j’avais peu de temps pour militer. Mais je me souviens très bien des discussions sur le sujet. Je me rappelle surtout que beaucoup de femmes n’étaient pas d’accord avec le droit de vote féminin. Depuis plusieurs années, nombreux étaient ceux qui déploraient le fait que des femmes avaient voté au nom de leur mari pendant la Première Guerre mondiale, et que ça leur donnerait la piqûre de la politique. Eh bien, c’est ce qui s’est passé. Et grâce au travail et à la ténacité de Thérèse Casgrain, on a fini par y arriver, à ce fameux droit de vote! J’ai été amie avec Mme Casgrain, et je me souviens de ses allées et venues à Québec pour défendre le droit de vote. Quelle détermination! Toutefois, bien des mariages en ont souffert, parce que les maris n’acceptaient pas que leur femme puisse avoir ses idées et qu’elle ne vote pas pour le même parti qu’eux. Après avoir élevé mes enfants, je me suis engagée auprès des femmes, et aujourd’hui, je suis fière de ce que les Québécoises ont accompli. »

Jeannine Dumouchel, 92 ans, première femme présidente de la Fédération canadienne France-Canada

« L’histoire que je vais raconter semble sortie tout droit du Moyen Âge, mais elle se passe en 1944. J’étais très politisée. Les libéraux de Mackenzie King avaient demandé un renouvellement de mandat, et mon père était organisateur pour le Parti conservateur. Les femmes du Québec allaient voter pour la première fois. Auparavant, nous étions considérées comme inaptes, au même titre que les enfants, les prisonniers et les aliénés. C’est dire si j’étais fébrile, d’autant plus qu’un nouveau parti présentait un programme très intéressant : le Bloc populaire, fondé par André Laurendeau, journaliste au Devoir. J’ai tout de suite adopté sa pensée nationaliste, qui malheureusement ne passait pas dans la population. Mon père faisait sa cabale pour les conservateurs. Je lisais les journaux, je me renseignais et j’en parlais à ma mère. Quelle émotion j’ai ressentie en entrant dans l’isoloir, le jour du scrutin! J’allais enfin décider par moi-même, en votant Bloc populaire, contre le candidat de mon père. C’était la fin de la soumission. Enfin libre! Enfin moi!

Le soir, les résultats arrivent : les libéraux l’emportent, les conservateurs sont battus, le Bloc gagne un siège. Le lendemain, mon père, en homme consciencieux, commence à revoir ses listes. Ô surprise! Dans la rue Principale, où nous habitions à Saint-Urbain, deux votes pour le Bloc populaire, et de notre côté de la rue! Il cherche, cherche encore. Qui est-ce? Je lui réponds : “N’est-ce pas secret, un vote?”

Par la suite, j’ai toujours exercé ce droit fondamental. Dans les années 1970, alors que je faisais partie de l’Association France-Canada, j’ai rencontré Thérèse Casgrain, qui est devenue une bonne amie. Nous parlions beaucoup politique, et elle m’invitait fortement à poser ma candidature. Un jour, je lui ai répondu : “Jamais, madame Casgrain! Car voter contre mes principes pour suivre la ligne du parti, je ne pourrai pas.”

C’est à partir de mon premier X sur un bulletin de vote que je suis devenue ce que je suis : libre, déterminée à suivre ce que me dicte ma raison, et non pas ce que les autres décident pour moi. Voilà ce qui a établi non pas mon orientation dans la vie, mais ma condition de femme. »