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Mexique : un pas devant, deux pas derrière

Le Mexique avance lentement sur la route de la condition féminine. Et ce n’est pas le mouvement féministe, fragmenté, qui lui donnera de l’élan…

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Entre une première candidate aux élections présidentielles et des féminicides qui perdurent dans le nord du pays, le Mexique avance lentement sur la route de la condition féminine. Et ce n’est pas le mouvement féministe, fragmenté, qui lui donnera de l’élan…

« Quel mouvement? » C’est par cette question que me répond la spécialiste du Mexique Marie France Labrecque lorsque je lui demande de me décrire le mouvement féministe mexicain actuel. L’interrogation de la professeure émérite du Département d’anthropologie de l’Université Laval trouve écho dans les propos de Marta Lamas, l’une des leaders féministes les plus importantes du pays de Frida Kahlo. « Non, il n’existe pas de mouvement uni. La fragmentation entre les divers groupes est très présente. Une fracture divise notamment les organisations non gouvernementales et les féministes radicales, qui refusent de collaborer avec les gouvernements et les partis politiques. Notre plus grand échec, c’est le manque de coordination », déplore celle qui dirige la publication bisannuelle Debate Feminista.

Et pourtant, dans ce pays de plus de 112 millions d’habitants où l’indice de développement humain (IDH) — qui mesure le développement économique et social — varie énormément du sud au nord, la lutte contre les inégalités saurait tirer avantage de stratégies communes.

Une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publiée à la fin de 2011 révèle que les 10 % de Mexicains les plus riches ont des revenus 26 fois supérieurs à ceux des 10 % de Mexicains les plus pauvres. Une statistique qui place ce pays en deuxième position de ce triste palmarès des inégalités des pays de l’OCDE, derrière le Chili.

« Le Mexique est un pays aux multiples inégalités, et elles affectent davantage les femmes », affirme Celia Aguilar, directrice des programmes au bureau régional d’ONU Femmes à Mexico. En 2009, un rapport de la Commission économique pour l’Amérique latine soulignait que pour 100 hommes de cette région du monde qui vivaient dans la pauvreté, on comptait 115 femmes.

Une femme en politique : à quel prix?

La politique au féminin pourrait-elle changer les choses? À la Chambre des députés, les élues n’occupent que 138 sièges sur un total de 500. Mais, petite révolution politique s’il en est une : le 5 février dernier, la politicienne Josefina Vázquez Mota a été choisie, avec 55 % des voix, comme représentante du Parti d’action nationale (PAN) — le parti de droite présentement au pouvoir — à l’élection présidentielle du 1er juillet prochain. « Au moins cinq candidates ont déjà brigué la présidence mexicaine sans jamais avoir de véritables chances de l’emporter, car elles représentaient de petits partis, plus marginaux. La candidature de Vázquez Mota est une bonne chose : sa présence dans les débats mettra de l’avant le thème du rôle politique des femmes », analyse la fonctionnaire onusienne Celia Aguilar.

Photographie de Malú Mícher.
Selon Malú Mícher, directrice de l’Institu des femmes de Mexico jusqu’en février dernier, la présence d’une femme en politique ne garantit pas la conscience des genres, surtout si celle-ci souhaite mettre en prison ses consœurs qui choisissent d’intterompre leur grossesse.

Marta Lamas, professeure de sciences politiques et fondatrice d’une organisation pro-choix, n’est pas d’accord. « Josefina Vázquez Mota représente un parti très conservateur. Son image est celle d’une femme traditionnelle. » La féministe et politicienne de gauche Malú Mícher, qui dirigeait l’Institut des femmes de Mexico jusqu’en février dernier, s’inquiète : « Quelle femme élisons-nous? Celle qui souhaite mettre en prison ses consœurs lorsqu’elles interrompent leur grossesse? On doit faire très attention : la présence des femmes ne garantit en rien la conscience des genres. »

En avril 2007, le District fédéral, qui englobe la ville de Mexico, est devenu l’unique territoire mexicain à légaliser l’avortement. L’activiste et féministe Pilar Muriedas raconte que cette avancée pour la capitale a divisé les féministes du pays. « Des groupes de femmes de plusieurs autres États ont exprimé leur colère, leur désaccord vis-à-vis de cette lutte qu’elles considèrent celle des étrangers. Elles sont emportées par une vague conservatrice. » Cette même vague qui, à la suite de la législation de 2007, a entraîné plus de la moitié des États mexicains — dont plusieurs sont gouvernés par le PAN — à renforcer leurs sanctions anti-avortement, allant même jusqu’à punir le recours à l’acte de peines de prison.

Mais si on se fie aux plus récents sondages, le PAN et sa candidate ne marqueront pas l’histoire politique mexicaine en 2012. Le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), qui a dirigé le pays pendant plus de 70 ans, est pour le moment bon meneur avec son candidat chouchou des caméras, le beau gosse de la politique mexicaine, Enrique Peña Nieto. Celui qui, lorsqu’il a été questionné sur le prix du kilo de tortillas (denrée de base et produit alimentaire mexicain essentiel à l’économie du pays), a répondu : « Je ne sais pas. Je ne suis pas la femme de la maison. » Une déclaration qui démontre, selon Malú Micher, que le machisme est encore bien présent au sein d’une certaine classe politique. « Il a illustré sa grande ignorance et son total manque de respect envers l’importance du travail domestique et la contribution des femmes à l’économie mondiale. »

L’horreur des féminicides

Le Mexique, c’est aussi une société aux prises avec un problème endémique : la violence. En 2006, un sondage effectué par l’Institut national de statistique et de géographie du Mexique établissait que la moitié des femmes mariées ou en union libre avaient connu de la violence au cours de leur relation conjugale. Sans parler de la très médiatisée brutalité liée aux narcotrafiquants, des nombreuses victimes de la guerre des cartels… et des féminicides perpétrés depuis 20 ans dans le nord du pays.

Photographie de Marie France Labrecque.
La principale cause de la violence à l’égard des femmes au Mexique est l’impunité, affirme l’anthropologue québécoise Marie France Labrecque.

Dans son livre Féminicides et impunité. Le cas de Ciudad Juárez, paru le 8 mars dernier chez Écosociété, Marie France Labrecque retrace les origines de ce phénomène qui, depuis 1993, a entraîné la mort de plus d’un millier de femmes dans cette ville de l’État de Chihuahua. « Le féminicide, c’est l’assassinat de femmes motivé par le simple fait qu’elles sont des femmes. C’est un crime contre leur essence même », explique l’anthropologue qui dénonce l’irresponsabilité de l’État mexicain dans son essai.

Le temps passe et les corps mutilés s’empilent. Une douzaine d’années après une exposition itinérante de photos prises par des photographes de faits divers, qui avait montré aux yeux du monde des cadavres de femmes de Ciudad Juárez, on ne sait toujours pas précisément pourquoi elles meurent. « Ce qu’on comprend, c’est que les féminicides n’ont pas une seule cause, mais un ensemble de causes. La principale, c’est l’impunité. Le fait que ces crimes ne soient pas punis, qu’il y ait de la négligence de la part des autorités, ça envoie le message que tuer des femmes, ce n’est pas grave parce qu’on va s’en tirer. »

L’activiste Pilar Muriedas s’inquiète d’une nouvelle tendance observée dans cette ville frontalière du nord du pays : l’assassinat de celles qui manifestent pour demander justice. « Qu’une mère qui exige réparation pour l’assassinat de sa fille se fasse tuer à son tour, c’est un immense recul », clame-t-elle en faisant notamment allusion au cas de Marisela Escobedo, tuée en décembre 2010 alors qu’elle se battait pour que le meurtrier de sa fille soit traduit en justice. Marie France Labrecque renchérit : « Ce système de terreur marque un tournant. Avant, les activistes étaient protégées par leur visibilité. Aujourd’hui, on ne craint même plus de les assassiner. »

La féministe mexicaine Marta Lamas croit pour sa part qu’il est important de faire connaître cette réalité, qui représente une facette particulièrement macabre de la situation des Mexicaines. « Mais pour brosser un tableau global, il faut aussi parler de la nouvelle génération de leaders féministes : des trentenaires qui ont étudié, qui parlent anglais, qui sont indigènes et qui revendiquent leurs origines. Elles travaillent davantage à la base et apportent une perspective beaucoup plus internationale au mouvement. » Celle qui milite pour les droits des femmes depuis plus de 40 ans décrit ainsi ce fragment d’un mouvement disparate : une parcelle qui lui donne de l’espoir.

Photographie du rassemblement.

À l’occasion de la Journée internationale des femmes 2012, un rassemblement a été organisé devant la cathédrale de la ville de San Cristóbal de Las Casas, au Chiapas, pour demander plus de justice et la fin de la violence faite aux femmes.