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Briser la glace

Nos hockeyeuses, un phénomène nouveau? Eh non! Elles poussent la rondelle depuis plus de 100 ans.

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Lynda Baril n’est ni une fanatique de hockey, ni une joueuse. C’est pour honorer la mémoire de pionnières de la patinoire qu’elle a publié en novembre Nos Glorieuses. Plus de cent ans de hockey féminin au Québec.

C’est en travaillant sur une série documentaire sur l’histoire du hockey que Lynda Baril voit pour la première fois des images de femmes en jupe longue et patins, un bâton à la main. Il n’en faut pas plus pour piquer la curiosité de cette passionnée d’histoire. « Je me suis dit : “Comment ça se fait que je n’ai jamais vu ça?” C’étaient des images d’archives de Canadiennes de l’Ontario, de la Saskatchewan ou de l’Alberta. Si les femmes jouaient là, elles devaient jouer aussi au Québec! » relate-t-elle lors d’un entretien téléphonique.

Dans son livre regorgeant d’images, d’articles de journaux, de témoignages et de publicités d’époque, l’auteure met en lumière une facette méconnue de l’histoire des Québécoises. « Ce n’est pas juste un ouvrage sur le hockey, c’est plus large que ça. C’est vraiment une histoire inédite. C’est l’histoire des Québécoises vue à travers la lorgnette de notre sport national. » Dans Nos Glorieuses. Plus de cent ans de hockey féminin au Québec, la journaliste survole l’histoire des femmes du Québec de 1890 jusqu’à nos jours. Elle précise que « le hockey, ça parle de tout ce qu’on a été, des industries qui nous ont menés, des guerres qu’on a faites, des crises qu’on a traversées, ça parle de la religion, des rapports hommes-femmes, des rapports entre francophones et anglophones, des immigrants, ça parle de tout ».

Première période

Notre mémoire collective a attribué un rôle passif aux femmes dans l’histoire du hockey. Pourtant, depuis plus de 100 ans, les Québécoises chaussent des patins et vibrent à l’idée de faire glisser la rondelle sur la glace.

Photographie de Lynda Baril.
« Ce n’est pas juste un ouvrage sur le hockey, c’est plus large que ça. […] C’est l’histoire des Québécoises vue à travers la lorgnette de notre sport national. »
 — Lynda Baril, journaliste et auteure de Nos Glorieuses. Plus de cent ans de hockey féminin au Québec

En 1888, le gouverneur du Canada, lord Stanley, débarque d’Angleterre avec sa famille pour s’établir à Ottawa. Après le Carnaval d’hiver de Montréal, où il assiste à un match de hockey, il organise une partie sur la nouvelle glace de Rideau Hall à laquelle femmes, hommes et enfants sont invités à participer. Parmi les braves : Isobel Stanley, sa fille. Lors de ses cinq années passées au Canada, la famille Stanley offre non seulement la première et désormais célèbre coupe Stanley, mais contribue aussi grandement à l’éclosion du hockey féminin, notamment grâce à la jeune et talentueuse Isobel. « [E]n participant au premier match féminin officiellement rapporté par la presse », celle-ci inspire bon nombre de Canadiennes qui sautent à leur tour sur la patinoire.

Les groupes de hockey féminin s’organisent rapidement dans les communautés anglophones. Leurs entraînements se font souvent dans le plus grand secret, derrière les portes closes, loin des regards masculins. En mars 1900, un match opposant pour la première fois des jeunes filles d’Outremont et des femmes mariées de Westmount attire un public composé de 400 femmes. Les hommes sont exclus de la soirée – même les nettoyeurs de glace et les portiers.

Chez les francophones, les débuts du hockey féminin s’avèrent plus timides, notamment parce que la pratique du sport par les femmes est souvent jugée indécente. Malgré les barrières, la passion du jeu enivre rapidement des joueuses de partout au Québec.

La passion contre l’adversité

Si l’engouement pour le hockey n’a pas de sexe, les femmes font fréquemment face à l’adversité, comme dans les autres domaines de leur vie. Comme l’écrit Lynda Baril, « Dieu sait qu’il fallait du cran pour jouer. L’Église catholique interdisait aux femmes de pratiquer notre sport national. Un péché, disait le clergé ». La journaliste précise toutefois lors de notre entretien que la position des curés varie : si certains dénoncent haut et fort la pratique du hockey au féminin, d’autres n’hésitent pas à regarder les filles jouer et à effectuer quelques mises au jeu.

Sur le banc de l’opposition, le clergé n’est pas seul. Dans l’hebdomadaire montréalais Le Petit Journal, on peut lire en 1932 : « La femme demeure le support de l’espèce, le vase sacré. […] [L]es efforts sportifs demandés par le rapide sport du hockey sur glace […] ont une influence déplorable sur la région abdominale et son contenu ». Les jugements dépassent les frontières et Jack Miley, chroniqueur au New York Post, écrit en 1941 : « Un visage de femme rougi par la chaleur du fourneau est non seulement plus joli, mais plus pratique qu’un visage empourpré par l’effort que demande un sport d’hommes pour lequel la nature ne l’a pas destiné. La place des femmes est à la maison et je n’ai jamais vu une fille qui paraissait mieux avec une raquette de tennis qu’avec une poêle à frire à la main. »

Lynda Baril salue la persévérance des Canadiennes françaises qui, malgré les obstacles, ont suivi leur passion. Elle relate certes des histoires de femmes qui ont dû refouler leur désir de s’amuser sur la glace pour répondre aux exigences de la société, mais également des témoignages démontrant l’insoumission de certaines femmes, comme Florence Juneau. Âgée de 22 ans et nouvellement mariée, la jeune Florence se voit poser un ultimatum par son mari Roland : le mariage ou le hockey. « [D’]un air défiant, celle qui s’illustrait depuis des années comme l’une des meilleures joueuses des Canadiennes et des Maroons a tout simplement rendu sa bague de mariage à son Roland et répondu : “C’est le hockey!” » Malgré leur différend, ils se réconcilient rapidement. Mais les conventions sociales et les mentalités de l’époque auront raison des ambitions sportives de la hockeyeuse. À sa première grossesse, Florence remise son bâton.

Hommage aux vétéranes

Photographie Albertine Lapensée et Agnès Vautier.
Albertine Lapensée et Agnès Vautier, les deux as du hockey féminin des années 1910.

Au Québec, on connaît les grands noms et les événements marquants de l’histoire du hockey masculin. Mais qui se souvient des matchs des téléphonistes de Bell Téléphone qui, pendant la Première Guerre mondiale, soulevaient les foules à l’aréna Mont-Royal? Qui se rappelle la rivalité qui opposait Albertine Lapensée et Agnès Vautier lorsqu’elles jouaient au sein du Victoria de Cornwall et des Western de Montréal? La création de la Ligue des As à l’hiver 1965-1966 a aussi été reléguée aux oubliettes. Des femmes comme Paulette Thomas, grande hockeyeuse et mère de deux enfants, sont absentes des livres d’histoire.

L’ouvrage de Lynda Baril permet de se souvenir des France Saint-Louis et Nancy Drolet, qui ont représenté le Canada à Nagano en 1998, lors des premiers Jeux olympiques à inclure le hockey féminin. Bien avant les coups de patin des talentueuses Marie-Philip Poulin et Caroline Ouellette, qui arboreront la feuille d’érable à Sotchi, des pionnières ont vibré pour ce sport nordique. Et plusieurs ont bravé l’adversité pour ouvrir la glace à celles qui suscitent aujourd’hui l’admiration.

Page couverture du livre.

Lynda Baril, Nos Glorieuses. Plus de cent ans de hockey féminin au Québec, Éd. La Presse, 2013, 256 p.