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Le mouvement féministe dans tous ses états

Forum sur les États généraux de l’action et de l’analyse féministes : compte rendu.

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L’élargissement des luttes et la solidarité entre femmes ont figuré au cœur des préoccupations des féministes réunies à l’UQAM pour le Forum sur les États généraux de l’action et de l’analyse féministes, du 14 au 17 novembre. Les participantes sont reparties avec une trentaine de propositions dont elles peuvent s’inspirer dans leurs milieux respectifs. Faits saillants.

Lors du Forum sur les États généraux de l’action et de l’analyse féministes, plus de 1 000 femmes sont venues de partout au Québec pour discuter des grandes orientations du mouvement féministe pour les 20 prochaines années. Elles ne s’étaient pas réunies à si grande échelle depuis le forum Pour un Québec féminin pluriel en 1992.

Photographie d'Alexa Conradi.
« Nous n’avons pas toutes les mêmes idées sur la façon d’atteindre l’égalité entre les hommes et les femmes, et c’est sain  »
 — Alexa Conradi, présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ)

La présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), Alexa Conradi, a souligné à plusieurs reprises qu’il ne s’agissait pas des États généraux de la FFQ, mais de ceux de tout le mouvement féministe. Si beaucoup de participantes venaient de centres de femmes ou d’associations membres de la Fédération, d’autres appartenaient à des réseaux comme le mouvement RebELLEs, le Réseau d’action pour l’égalité des femmes immigrantes et racisées du Québec et à des associations étudiantes.

« On a vu la pluralité du mouvement féministe dans toute sa splendeur. Il y avait des femmes de tous les âges et de toutes les origines », s’est réjouie la cofondatrice du défunt magazine La vie en rose, Ariane Émond. En animant la soirée d’ouverture, elle a repéré beaucoup de nouvelles têtes. La plupart n’étaient pas là 20 ans plus tôt, car elles étaient trop jeunes ou pas encore intéressées par le féminisme.

Plusieurs organisations ont profité de la fin de semaine pour former leurs membres sur des thèmes comme le féminisme d’État, les publicités sexistes et la place des femmes dans le mouvement étudiant. Mais le Forum sur les États généraux était surtout l’occasion de débattre de propositions pour l’avenir du mouvement féministe. Pendant presque un an, sept tables de travail ont formulé une trentaine de propositions sur des thèmes aussi variés que la santé, l’économie, l’écologie, la solidarité avec les femmes immigrantes et autochtones, la démocratie, l’immigration, le nationalisme et le colonialisme. Il s’agit du fruit d’une réflexion entamée par la FFQ en mai 2011 et qui comprenait aussi une tournée de consultation dans plusieurs régions du Québec.

Phographie d'Ariane Émond.
« [Lors du Forum], on a vu la pluralité du mouvement féministe dans toute sa splendeur. Il y avait des femmes de tous les âges et de toutes les origines. »
 — Ariane Émond, journaliste indépendante, auteure, cofondatrice du magazine féministe d’actualité La Vie en rose et animatrice du Forum

Élargir les luttes

Ce long travail de réflexion a mené le mouvement féministe à élargir ses contours. Plusieurs propositions adoptées vont au-delà des luttes pour les droits des femmes au sens strict. Elles englobent notamment la lutte contre la pauvreté et les inégalités ainsi que la remise en question du système économique actuel.

Pour Delice Mugabo, une des trois porte-parole du Forum, cette vision féministe économique et écologiste s’inscrit dans l’air du temps. « En 1992, le monde était différent, le Québec y compris, explique-t-elle. On essaie de réactualiser nos luttes en tenant compte de la progression du néolibéralisme. » Elle rappelle que les femmes sont les premières victimes des inégalités économiques, car elles sont surreprésentées dans les emplois précaires et mal rémunérés.

L’élargissement des luttes féministes passe aussi par le concept d’« intersection des oppressions », qui tire son origine de l’expérience des Black Feminists aux États-Unis dans les années 1960. Ces femmes étaient alors marginalisées de toutes parts : dans les luttes contre l’esclavagisme parce qu’elles étaient des femmes, et dans le mouvement féministe parce qu’elles étaient noires.

Le mouvement féministe dans tous ses états
À la fin du Forum, les féministes se sont engagées à « combattre tous les systèmes d’oppression à l’œuvre dans la vie des femmes » et à intégrer les préoccupations des féministes marginalisées dans le mouvement.

Les participantes ont reconnu que la couleur de la peau n’est qu’une source d’oppression parmi d’autres, comme la culture, la religion, la classe sociale, l’orientation sexuelle, le handicap, l’âge… Toutes agissent simultanément dans la vie des femmes. À la fin du Forum, les féministes se sont engagées à « combattre tous les systèmes d’oppression à l’œuvre dans la vie des femmes » et à intégrer les préoccupations des féministes marginalisées dans le mouvement.

Solidarité avec les femmes autochtones

C’est en matière de droits autochtones que le mouvement féministe a le plus évolué en 20 ans, croit Ariane Émond. Elle a animé une table ronde au cours de laquelle les présidentes de la FFQ et de Femmes autochtones du Québec sont revenues sur le chemin parcouru depuis leur entente formelle de solidarité en 2004. La présidente de Femmes autochtones du Québec, Viviane Michel, trouvait important que les femmes autochtones montrent leurs couleurs et soient présentes aux tables de travail des États généraux, non seulement à celle sur l’autodétermination des autochtones, mais aussi à celles sur la santé, l’économie et l’écologie, l’intersection des oppressions, la démocratie et le nationalisme.

Alexa Conradi a quant à elle raconté avoir appris à mieux connaître ses consœurs autochtones dans les dernières années. « Même si elles ne viennent pas toujours dans nos événements, elles nous lancent toutes sortes d’invitations. » Elle a convié les féministes à y répondre. « Je suis toujours étonnée de ne pas voir de Québécoises dans les actions contre les femmes autochtones disparues et assassinées. J’aimerais ça vous y voir plus. »

Dissensions sur la prostitution

Malgré l’apparente unité des résolutions adoptées pendant le Forum, les vieux débats ont toujours cours dans le mouvement. Les participantes se sont prononcées en majorité pour une proposition abolitionniste en matière de prostitution, c’est-à-dire que « le mouvement féministe endosse un modèle sociojuridique qui décriminalise les femmes dans la prostitution, mais leur procure des solutions de rechange économiques et du soutien social » pour prévenir l’entrée dans la prostitution et fournir l’occasion à celles qui le souhaitent de s’en sortir. Le modèle proposé prévoit aussi la criminalisation des clients « prostitueurs » et des proxénètes. Fait à noter, il s’agit aussi de la position du Conseil du statut de la femme, formulée dans son avis de 2012 : La prostitution : il est temps d’agir.

Les féministes restent cependant divisées sur cette question. Les résolutions adoptées lors du Forum ont satisfait bon nombre d’organisations, comme la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle, mais quelques murmures se sont élevés dans la salle pendant le vote.

Dans une lettre au Devoir, Maria Nengeh Mensah, porte-parole de l’Alliance féministe solidaire pour les droits des travailleuses(rs) du sexe et professeure en travail social à l’UQAM, s’est plainte que les préoccupations des travailleuses du sexe n’aient pas été prises en compte. « On ne trouve nulle trace, dans les résolutions finales, de leurs voix et des efforts déployés pour se faire entendre à cette tribune. Pire encore : les résolutions les concernant vont dans le sens opposé à leurs demandes séculaires. Pas même une petite miette d’écoute et de solidarité », y lit-on.

Le comité d’orientation des États généraux a jugé que les conditions n’étaient pas réunies pour proposer une approche sur le travail du sexe parce que les tables de travail n’ont pas pu faire aboutir leur travail sur cette question.

Photographie de Michèle Sirois.
La présidente du nouveau regroupement PDF Québec, Michèle Sirois, a déploré que la FFQ ne veuille pas se prononcer sur l’abolition de la prostitution et la question de la laïcité.

Pour sa part, la présidente du nouveau regroupement Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec), Michèle Sirois, a déploré que la FFQ ne veuille pas se prononcer sur l’abolition de la prostitution et la question de la laïcité. « C’est pour cette raison que PDF Québec a été créé. On se prononce pour une laïcité qui protège les droits des femmes et pour l’abolition de la prostitution », a-t-elle affirmé.

Un espace d’échange

Alexa Conradi est consciente que les féministes ne s’entendent pas sur tout. « Nous n’avons pas toutes les mêmes idées sur la façon d’atteindre l’égalité entre les hommes et les femmes, et c’est sain », croit-elle.

Sa collègue Delice Mugabo souligne par ailleurs que le Forum était porté par un vrai désir d’échange. « L’importance de la discussion n’est pas à négliger. Ce n’est pas tous les jours qu’on se retrouve à 1 000 pour débattre de ces enjeux. Ça permet à tout le moins de tenter de comprendre le point de vue des autres. »

Elle reconnaît que les associations qui ont participé aux États généraux risquent de continuer à défendre leurs positions traditionnelles, mais elle croit que le Forum les aura inspirées. « Peut-être que des militantes se seront moins reconnues dans certaines orientations. L’idée, c’est que chacune se soit retrouvée quelque part et poursuive sa réflexion dans son milieu », conclut-elle.