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À qui est ce sein?

Organe nourricier, objet de désir, mais aussi agent de propagande à une autre époque, le sein n’appartient vraiment aux femmes que depuis peu de temps.

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Organe nourricier, objet de désir, mais aussi agent de propagande à une autre époque, le sein n’appartient vraiment aux femmes que depuis peu de temps. C’est ce que révèle l’universitaire féministe Marilyn Yalom dans Le sein. Une histoire.

Gazette des femmes : Qu’est-ce qui vous a incitée à écrire sur les seins?

Marilyn Yalom : Mon livre précédent portait sur la Révolution française vue à travers des mémoires de femmes. J’ai remarqué que dans ces textes, beaucoup insistaient sur le fait qu’elles avaient allaité leurs enfants et en étaient toutes fières. Pourquoi parlaient-elles tant de l’allaitement et en tiraient-elles une si grande satisfaction? Ces questions m’ont poussée dans la direction du sein et de son importance politique au 18e siècle et pendant la Révolution.

Vous dites que les démocraties occidentales modernes ont inventé le sein politisé puisque c’est au milieu du 18e siècle que l’allaitement maternel est devenu l’un des principes de la politique égalitariste.

Oui.On montrait la nouvelle nation [la France] comme une femme qui offre ses seins à tous les citoyens, car les seins sont d’une grande beauté. Ils ont un côté attrayant et nourricier. C’était une façon d’attirer les gens, en particulier la population masculine, et de montrer le meilleur côté du nouveau pays. L’importance politique du sein avait une sous-couche érotique.

Au fil des époques, les seins ont rarement appartenu aux femmes. Par exemple, selon les textes bibliques, ils appartenaient à leur mari et à leurs enfants par décret divin. Ce n’est véritablement qu’à partir des années 1960-1970 qu’elles ont revendiqué le droit de régner sur leur corps. Comment expliquez-vous que ça ait pris si longtemps?

En fait, il y avait eu des tentatives au Moyen Âge, mais c’est surtout depuis qu’elles ont le droit de voter que les femmes ont progressé vers leur émancipation et se sont mises à revendiquer la propriété de leurs seins. Le fait qu’elles gagnent leur vie a aussi eu énormément d’importance. En contribuant à l’économie familiale, les femmes ont pu prendre des décisions par rapport à la gestion du logis et, par extension, à leur propre corps.

Le cancer du sein occupe une grande place dans votre livre…

Oui, car cette maladie n’est plus une sentence de mort ni un sujet tabou, et elle a permis aux femmes de se réapproprier leur poitrine. Depuis environ 25 ans, on en parle beaucoup. On en parle en fait tellement que l’aspect médical du sein semble l’emporter sur tous les autres [sein nourricier, sexuel, politique, etc.].

Pensez-vous que le sein cessera un jour d’être tiraillé entre le devoir d’allaiter et celui d’émoustiller?

Non.C’est d’ailleurs une incarnation de l’éternel conflit entre la femme et la mère. Nous voulons être les deux. Ces deux aspects sont intrinsèques à la nature du sein et au rôle de la femme. Mais parce que les seins font partie de son corps, qu’ils sont à elle, c’est à elle de décider de leur application : soit pour le bébé, soit pour le plaisir, le sien autant que celui des hommes, etc. Se plier aux exigences des hommes, des médecins, des psychiatres ou des prêtres ne devrait plus avoir lieu d’être.

Marilyn Yalom, Le sein. Une histoire (préface d’Élisabeth Badinter), Galaade Éditions, 2010, 416 p.