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Les politiciennes de l’après-Berlusconi

Berlusconi est parti, mais la route menant à la parité au parlement italien sera longue.

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Italie, février 2013 : moment historique lors des élections. La gérontocratie masculine des dernières décennies cède la place à un nombre record de politiciennes jeunes et éduquées. Moins d’un an après, les changements tardent à se faire sentir, mais la flamme de l’espoir brûle.

Elle est déjà loin, l’ère berlusconienne où la femme servait d’appât pour attirer l’électorat masculin. Rappelez-vous Mara Carfagna, ancienne mannequin (de calendriers coquins, entre autres) nommée ministre de la Condition féminine et de l’Égalité des chances par Silvio Berlusconi

En février dernier, le nombre historique de femmes élues a eu raison du machisme patent dans la politique italienne. Avec 31 % des sièges dans les deux chambres, soit la Chambre des députés et le Sénat de la République, les politiciennes du pays n’ont rien à envier à leurs voisines. Ce taux record de représentation féminine supplante ceux de l’Autriche (29,5 %), de la France (25 %) et du Royaume-Uni (22 %), selon les données de l’Union interparlementaire. Du jamais vu dans l’histoire de la République italienne où, il y a quelques années seulement, le nombre de femmes en politique se comptait sur les doigts d’une main. Voilà qu’elles prennent d’assaut le Parlement grâce à des postes clés. Par exemple, le ministère de l’Intégration est tenu par la première ministre noire de l’histoire de l’Italie, Cécile Kyenge, alors que Laura Boldrini préside la Chambre des députés.

Du sexe faible au sexe fort

Vittoria Tola, responsable nationale de l’Union Femmes Italie croit que cette affluence est l’aboutissement de plusieurs années d’une bataille pour la « démocratie paritaire » menée par son organisme et d’autres associations. « Certains partis ont enfin compris le manque de crédibilité des institutions politiques qui demandent le vote des femmes où elles ne sont pas représentées. »

L’un d’entre eux est le nouveau parti ouvertement anti-establishment fondé par l’ex-humoriste Beppe Grillo, Mouvement 5 étoiles (M5S). Giulia Di Vita, parlementaire de ce parti, précise toutefois que le M5S n’a jamais mis le manque de femmes en politique de l’avant. « Nous voulions seulement rassembler l’ensemble des citoyens sans distinction de genre », affirme-t-elle. Sans l’aide de la discrimination positive, communément appelée « les quotas roses », le parti a amené à lui seul 38 % des femmes dans les deux chambres. Un résultat spectaculaire pour une première fois!

Photographie de Giulia Di Vita
Giulia Di Vita, parlementaire du parti M5S, ne croit pas à la discrimination positive pour régler le problème de la représentation féminine en politique. Elle estime qu’il faut plutôt un « changement social de la société italienne ».

Giulia Di Vita estime que le débat des dernières années entourant les femmes en politique a favorisé cette hausse. Pensons aux manifestations contre Berlusconi et au mouvement Si pas maintenant quand?, né en 2011 pour dénoncer l’image de la femme à la télévision et dans la politique italiennes. Des Italiennes de tous âges et classes sociales se sont regroupées pour revendiquer le respect des droits des femmes, surtout après les nombreux scandales sexuels impliquant l’ancien premier ministre Berlusconi.

À mi-chemin vers la démocratie paritaire

Si le nombre de femmes au Parlement italien a augmenté, leur place dans l’arène politique reste précaire. Elles doivent s’imposer et mettre les bouchées doubles, comme le constate Manuela Serra, première femme de la Sardaigne à siéger au Sénat. Malgré une présence féminine accrue, elle ne note aucun changement de mentalités. « La gestion du pouvoir reste très masculine », déplore-t-elle. En plus de son travail de sénatrice, elle doit constamment légitimer ses décisions. « La femme doit en faire plus pour que sa valeur soit reconnue. J’ai dû préparer de longues et exténuantes explications pour appuyer ce que j’avance dans l’exercice de mon travail. »

Prendre sa place en tant que politicienne s’avère une tâche laborieuse. Encore plus pour celles qui décident de fonder une famille. « Les femmes ne sont pas libres de se consacrer à la politique parce que la gestion familiale les concerne à 90 %. Et le faible soutien social entourant la prise en charge des enfants n’aide pas, notamment le manque de garderies. »

Photographie de Vittoria Tola.
« La présence accrue des femmes a engendré de grandes espérances. Elles pourront changer beaucoup de choses si elles sont unies autour d’idées claires. »
 — Vittoria Tola, responsable nationale de l’Union Femmes Italie

Appuyant les propos de la sénatrice, Vittoria Tola remarque que cette situation ne s’applique pas qu’au monde politique, mais s’étend à l’ensemble du marché du travail. Ce n’est pas un hasard si plusieurs Italiennes hésitent à avoir des enfants ou préfèrent les avoir plus tard, voire jamais. « Dans le contexte de la crise économique, les femmes sont plus licenciées que les hommes, car plusieurs employeurs considèrent les congés de maternité comme un luxe à éliminer. » Ils sont d’ailleurs nombreux à faire signer aux femmes des démissions en blanc. Une pratique qui donne le droit à l’employeur de renvoyer une employée quand bon lui semble, sans raison valable. Par manque de travail décent et payant, les femmes n’ont généralement pas le choix de signer leur future fausse défection.

D’un autre côté, selon Vittoria Tola, la classe politique et les entreprises persistent à croire que le rôle de la femme est de rester à la maison à faire des enfants, afin de contrer la dénatalité. « Or, cette pensée crée l’effet contraire, car les femmes sans travail et facilement congédiables n’ont pas d’enfants puisqu’elles n’ont aucune sécurité pour leur avenir. C’est pour cette raison que notre association répète depuis des années que la précarité rend stérile. » Faire carrière ou avoir des enfants : le choix est déchirant pour les Italiennes. Certaines optent pour la famille, car elles considèrent injuste d’accepter de piètres conditions de travail qui les obligeront à négliger leur famille.

Ce n’est que le début

La route vers la démocratie paritaire s’annonce longue et cahoteuse, mais nos trois interviewées avouent qu’il est trop tôt pour dresser un réel état des lieux et voir un changement de mentalités chez la classe dirigeante. « Il faudra une rééducation à large spectre où tous devront mettre la main à la pâte, politiciens et citoyens », précise Giulia Di Vita. Pendant ce temps, « il ne faut pas baisser la garde, ni s’habituer aux comportements discriminatoires ou sexistes qui peuvent ensuite légitimer beaucoup d’autres gestes ». Elle dit se faire la porte-parole d’une vision innovatrice sur la question féminine. La preuve : elle ne croit pas à la discrimination positive pour régler le problème de la représentation féminine en politique. Sa solution s’oriente vers un « changement social de la société italienne ».

Vittoria Tola pense pour sa part que la condition des femmes en Italie s’améliorera si les partis travaillent à l’unisson, en laissant de côté leurs différends. « La présence accrue des femmes a engendré de grandes espérances. Elles pourront changer beaucoup de choses si elles sont unies autour d’idées claires et si elles se montrent capables d’écouter les autres femmes et la société civile. »