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Tours de force

En janvier, la majore Claire Bramma et la lieutenante-colonelle Linda Garand ont pris un aller simple pour Haïti.

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En janvier, la majore Claire Bramma et la lieutenante-colonelle Linda Garand ont pris un aller simple pour Haïti. Et ont réussi l’impossible : mener une mission d’aide humanitaire dans l’un des pays les plus pauvres de la planète.

L’une était en Haïti depuis quelques jours et l’autre avait atterri la veille lorsque le spectre du cauchemar est réapparu. Le 20 janvier 2010, huit jours après le premier séisme ravageur, la lieutenante-colonelle Linda Garand et la majore Claire Bramma ont senti la terre trembler, alors qu’une secousse de 6,1 à l’échelle de Richter ébranlait le pays. « Je me suis dit : “On va tous mourir” », raconte la lieutenante colonelle Garand, médecin-chef au sein des Forces canadiennes.

Que peut-il arriver de pire qu’un autre séisme d’une telle magnitude lorsque tout est en ruine et que les habitants n’ont pas fini de compter leurs morts? «On a entendu les cris de panique de milliers de personnes qui vivaient dans un camp de réfugiés de l’autre côté de l’aéroport. Une clameur horrifique. C’était épouvantable d’entendre ça et de ne pouvoir rien faire », se rappelle celle qui faisait partie de l’Équipe d’intervention en cas de catastrophe (mieux connue sous le sigle anglais DART).

Sans répit, les quelque 60 jours de mission des deux militaires auront été teintés de labeur acharné, de sommeil troublé et de chaleur accablante. Une mission qui n’avait rien à voir avec celle en Afghanistan, où les deux femmes avaient déjà été déployées. « En Haïti, il n’y avait pas de menace ennemie ou violente, explique la majore Bramma, commandante de l’escadron d’ingénieurs de l’opération humanitaire en Haïti. La mission n’était pas nécessairement plus facile, mais nous avions au moins une liberté de mouvement ainsi que la possibilité de distribuer beaucoup d’équipement et de travailler avec un minimum de sécurité. »

Une question de survie

Le jour même du séisme du 12 janvier, la jeune ingénieure de 30 ans a su qu’elle allait être commandante d’un escadron de 105 personnes, dont 5 femmes. Moins d’une semaine plus tard, elle posait le pied à Port-au-Prince avant de partir presque aussitôt pour Léogâne, à quelques kilomètres. Dégager les routes et enlever les débris, purifier l’eau potable et construire des abris transitionnels : les tâches étaient immenses. Au final, son équipe a retiré deux tonnes de débris et libéré 30 espaces publics pour faire place
à la reconstruction. « Mon personnel provenait de tous les régiments. Il comptait aussi des civils. C’était difficile de diriger des gens qui n’avaient pas l’habitude de travailler ensemble », souligne Claire Bramma.

Les deux premières semaines n’ont pas été de tout repos. Faute de tentes, la majore Bramma et son équipe ont dormi à la belle étoile, sous des filets insecticides, et se lavaient à l’aide de bouteilles d’eau. Les rations de nourriture étaient composées de pâtes avec viande ou de poulet en sachet, de patates, de pain et de beurre d’arachide.

Pendant ce temps à Port-au-Prince, la lieutenante-colonelle Linda Garand veillait sans relâche à ce qu’on prodigue les soins d’urgence aux blessés, aux femmes enceintes et aux enfants – 40% des Haïtiens ont moins de 15 ans -, en plus de s’occuper de la santé de son personnel médical. Le soir, elle retournait dans sa petite tente plantée non loin de l’aéroport, dans ce qui s’est avéré un champ de tarentules. « Ce qui était difficile, c’était d’organiser tout ça en négociant constamment.On avait droit à un certain nombre d’atterrissages par jour et on disposait de deux heures [pour charger et décharger] avant que l’avion ne redécolle », raconte cette mère de famille de 52 ans, spécialiste de la médecine aéronautique. « Et alors qu’aucun système de communication ne fonctionnait, on a procédé à une évacuation médicale à l’aide de BlackBerry, qui nous permettaient de communiquer avec la tour de contrôle. » Au total, elle a dirigé une équipe de 150 bénévoles qui ont effectué 4 500 transferts de réfugiés et soigné plus de 16 000 patients. «Quand les machines ne fonctionnent plus et que  l’équipement tarde à arriver, ce sont les êtres humains qui font et feront toujours la différence.»

Des femmes en tête

Dans l’armée comme ailleurs, s’imposer comme femme dans un milieu d’hommes n’est jamais facile. La majore Bramma et la lieutenante-colonelle Garand ont misé sur leur professionnalisme. « Pour garder notre crédibilité, il fallait faire comme tout le monde :manger des rations dures et coucher par terre », raconte Linda Garand. « Mais ça ne m’a pas empêchée de me maquiller le matin et d’être attentive à la condition des femmes dans mon organisation », ajoute-t-elle. Car être féministe n’exclut pas la féminité. La lieutenante-colonelle se dit très privilégiée d’avoir pu bénéficier de la confiance de ses supérieurs de mission. « La reconnaissance que j’ai eue à mon retour d’Haïti a été incroyable. Je dis aux femmes : n’essayez pas d’agir comme un homme, ce que vous n’êtes pas. Les hommes aiment qu’on ait une approche féminine, qu’on n’essaie pas de faire comme eux. »

Claire Bramma rapporte que certains militaires d’autres nations ne sont pas habitués à voir des femmes occuper des postes de commandement. « Je suis restée professionnelle et patiente pour développer de bonnes relations avec mes collègues étrangers. Sur quatre chefs de section,mon équipe comptait deux femmes. Elles devaient travailler avec la population. Il était intéressant de voir l’inspiration qu’elles insufflaient aux Haïtiennes en tant que femmes ingénieures côtoyant leurs collègues masculins sur un même pied d’égalité, ou dirigeant leur travail.Que les Canadiennes disposent d’une telle reconnaissance professionnelle a sans doute constitué une source
d’inspiration pour les femmes d’Haïti »
, conclut-elle.