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Le défi de Michaëlle Jean

Tout juste après avoir retiré son chapeau de représentante de la reine, Michaëlle Jean en a coiffé un nouveau : celui d’envoyée spéciale de l’UNESCO pour Haïti.

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Tout juste après avoir retiré son chapeau de représentante de la reine, Michaëlle Jean en a coiffé un nouveau : celui d’envoyée spéciale de l’UNESCO pour Haïti. Responsable des questions d’éducation, de culture et de patrimoine, elle entreprend ce colossal mandat portée par une vision inspirante.

L’offre lui est venue de la bouche même de la nouvelle directrice générale de l’UNESCO, Irina Bokova. Michaëlle Jean n’a pas réfléchi longtemps avant d’accepter ce mandat de quatre ans, renouvelable, qu’elle exécutera à partir d’Ottawa. « Le tremblement de terre fut un grand malheur. J’y ai perdu une amie proche [NDLR : la militante Magalie Marcelin était la marraine de sa fille].Mais la reconstruction est une belle occasion de relancer ce pays meurtri, principalement par la refonte de l’éducation nationale. Mettons les choses au clair : je ne m’en vais pas sauver Haïti! Et je n’ai pas d’ambition politique non plus. Haïti est mon pays de naissance. Si je peux lui procurer plus d’outils pour se sauver lui-même, je le ferai! »

Gazette des femmes : Quelle est votre priorité en tant qu’envoyée spéciale de l’UNESCO?

Michaëlle Jean : Contribuer à mettre en place un bon système d’éducation publique. Et y associer les Haïtiens. Pour qu’Haïti cesse d’être perçu comme un pays foutu ou un pays de la désespérance, ce qu’il n’est pas. Je connais ses forces et ses faiblesses. Parmi ses forces, il y a sa population, et les femmes qui en sont le poto mitan [le « pilier central »]. Et les jeunes! Soixante pour cent de la population a moins de 20 ans. Si on les écarte, y compris pour rebâtir l’éducation, on échouera. Les Haïtiens veulent être consultés. Ils ont une foi inébranlable en l’éducation.Ce n’est pas pour rien qu’ils se crèvent pour envoyer leurs enfants à l’école, même si l’instruction est souvent inférieure à ce qu’elle devrait être.

Par quoi commencer?

Comme gouverneure générale du Canada, j’ai fait quelque 40 missions à l’étranger où j’ai très souvent parlé d’Haïti. J’ai établi de bons contacts que je vais réactiver, par exemple au Fonds monétaire international (avec Dominique Strauss-Kahn), ainsi qu’auprès des dirigeants des pays africains, latino-américains et de la communauté européenne qui ont tant reçu d’Haïti,notamment des ressources intellectuelles. Il faudra trouver des fonds et des partenaires déterminés à fournir des expertises, des ressources pour que ça fonctionne. Je veux m’asseoir avec Bill Clinton, qui copréside la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti, pour qu’on s’entende sur un pourcentage de l’aide internationale qui sera consacré à la restructuration de l’éducation.

Mobiliser des partenaires est la première chose à faire. Coordonner leur apport sera la deuxième. Malheureusement, depuis 50 ans, en matière d’aide humanitaire, Haïti est le laboratoire de tous les essais et erreurs. Il y a un tel éparpillement des ressources! Il faut arrêter cela. Le saupoudrage favorise la corruption, bien sûr. Agir sans véritable coordination ne sert qu’une minorité de donneurs de services, jamais le développement durable.

L’éducation nationale est à repenser de fond en comble. Qui va planifier sa refonte?

L’UNESCO pourra assister la mise en oeuvre du nouveau Plan d’éducation
nationale. Le président Préval a confié sa conception au recteur de l’Université Quisqueya, Jacky Lumarque, un homme remarquable. Tous les programmes d’éducation sont à revoir, du primaire à l’université. Il faut implanter – enfin! – une formation technique et professionnelle, revoir la formation des maîtres et les normes, en se collant aux besoins du pays. L’étape suivante : planifier le déploiement et la construction des infrastructures. Le maître mot, c’est la décentralisation. Qu’on enseigne les techniques d’agriculture dans l’Artibonite (au centre du pays), par exemple, la gestion administrative dans le Sud-Ouest, les sciences de la santé ailleurs…

Et quand ce plan sera accepté, il faudra le mettre en route. Je veux consacrer toutes mes énergies afin que les Haïtiens se l’approprient comme un projet d’avenir et qu’ils y travaillent, y gagnent leur vie. Je veux que les ressources – architectes, artisans… – proviennent du pays, et qu’on mette à contribution les personnes de la diaspora comme formatrices, mentors, accompagnatrices. Et que l’on sorte de la logique d’assistance!

Quelle place les femmes pourront-elles occuper dans ce chantier de l’éducation?

Le mouvement des femmes haïtien est une force vive qui pense le développement humain et durable d’Haïti depuis 20 ans. Elles doivent être au coeur du processus; sans elles, on ne va nulle part. J’aime le concept des villages de vie (voir l’article: Ce qu’elles proposent), qui structurent des façons de mousser la valorisation et l’autonomie des femmes dans les localités. Il y a beaucoup de leaders féminines à accompagner. Elles seront intéressées par des formations en gouvernance, en entrepreneuriat, en administration, en génie… Je vais chercher par tous les moyens à augmenter leur leadership. Tout cela ne se fera pas en 4 ans – sans doute
en 20! –, mais l’important, c’est de bien lancer les choses. Au bout du compte, c’est le travail accompli qui importe, non?