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Beauté désespérée cherche prince charmant

Les personnages féminins du petit écran : des modèles à suivre?

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Malgré l’éradication de nombreux stéréotypes à la télé, le petit écran nous sert encore de vieux schémas en matière de relations amoureuses. Difficile de s’en sortir, croit Pierre Barrette, professeur en théories de la télévision et du cinéma à l’Université du Québec à Montréal.

Mauvais karma, La galère, Unité 9… Les personnages féminins occupent le devant de l’écran dans les téléséries et téléromans québécois. Des rôles forts, aux antipodes de l’image traditionnelle de la mère au foyer. Ces femmes ont-elles pour autant gagné en indépendance vis-à-vis des hommes? Pas sûr, selon Pierre Barrette.

Gazette des femmes : Plus de 40 ans après la révolution féministe, le prince charmant domine-t-il encore à la télévision?

Pierre Barrette : Je vais reprendre un concept élaboré par le chercheur Éric Massé : la télévision, c’est le conformisme provisoire. Ce n’est ni un reflet de la société, ni une contradiction de cette société : la télé représente le compromis de l’époque. Elle est une sorte de radiographie des débats qui ont lieu à un moment donné et s’adresse à une part plutôt conservatrice de la population. La représentation de la femme comme celle des rôles au sein du couple n’échappent pas à cette règle. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui en ce qui concerne les séries télévisées; elles ont trouvé une forme de légitimité et atteignent une énorme partie de la population, à laquelle les annonceurs veulent plaire.

Donc, ce n’est peut-être pas le prince charmant qui domine, mais une figure masculine qui a pour principal attrait d’être protectrice, qui se trouve en situation de leader, y compris au sein du couple. Même si elle est généralement un peu moins frileuse, la production québécoise ne fait pas exception.

Cette persistance des stéréotypes surprend, vu l’anticonformisme de certaines téléséries, notamment aux États-Unis…

C’est vrai qu’on a fait des pas de géant grâce aux séries câblées, qui ont contribué à changer la donne. On voit de moins en moins de stéréotypes ou de contre-stéréotypes à l’écran. En ce qui concerne les femmes, on peut même dire que, depuis 10 ans, le modèle de représentation dans les séries est relativement fidèle à la réalité. Mais quand on évoque l’image véhiculée, il faut se rappeler que ce qui est le plus massivement regardé, ce n’est pas les Homeland, Weeds ou autres, qui récoltent surtout un succès d’estime, mais des séries beaucoup plus traditionalistes (Grey’s Anatomy et compagnie). Et au sommet trônent les télé-réalités, très regardées par les femmes, où les stéréotypes pullulent.

Parmi la production québécoise, l’émission qui a les plus fortes cotes d’écoute est Occupation double. Quel modèle de relation hommes-femmes cette émission véhicule-t-elle?

Occupation double cristallise les modèles les plus traditionnels des rapports hommes-femmes. Elle repose sur les fondements habituels de la télé-réalité : d’une saison à l’autre, les participants sont choisis en fonction de leur correspondance avec les traits dominants pour chacun des sexes. Les hommes sont donc forts, musclés, protecteurs; ils doivent faire preuve de leadership. Les filles sont souvent romantiques, elles aiment la communication. On est en plein dans l’image du prince et de la princesse. Or, c’est l’émission la plus regardée par les très jeunes filles.

Donc, on ne verra jamais une fille de tête, indépendante dans cette émission?

C’est peu probable en effet qu’on y voie une fille de tête, une intellectuelle qui ne prendrait pas les choses sur le plan émotif. Même chose chez les hommes : l’éventail est très minime.

Quelles sont les répercussions sur les jeunes téléspectatrices?

C’est problématique dans la mesure où elles ne regardent pas ce genre d’émissions avec le même recul ou esprit d’analyse que leurs aînées. Elles n’ont pas la distance nécessaire pour considérer ce qu’on leur propose avec un regard critique. Ce qu’on leur dit, c’est que pour être aimée, il faut avoir une grosse poitrine, réagir émotivement en permanence et se laisser diriger par les hommes. Et je vois moi-même, parmi mes étudiantes, des filles qui calquent leur comportement sur ce qu’elles voient dans les télé-réalités.

Au Québec, dans les dernières années, on a vu plusieurs séries (Mauvais karma, La galère, etc.) dans lesquelles dominent des personnages féminins qui rompent avec ces stéréotypes. C’est une avancée?

De manière générale, au Québec, nous sommes plutôt dans une logique de non-stéréotype, même si ces personnages sont typés (l’alcoolique, la mère monoparentale, la femme d’affaires, etc.). C’est vrai qu’on est loin des archétypes d’un téléroman comme Le temps d’une paix. Aujourd’hui, on nous présente des femmes plus libres, qui ont réussi professionnellement. Mais, et c’est là que ça devient vraiment intéressant, tous ces personnages féminins ont un trait commun : ils sont surdéterminés par la présence, ou l’absence, d’un homme. Si ces femmes n’ont pas d’homme dans leur vie, elles sont en perpétuelle quête; si elles en ont un, c’est lui qui leur donne leur identité. D’ailleurs, quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que les personnages de femmes mariées sont les plus inintéressants d’un point de vue télévisuel, alors que les personnages les plus riches et drôles sont les célibataires en manque. Quand elles ont trouvé un homme, que leur manque est comblé, c’est fini, elles perdent tout intérêt sur le plan scénaristique.

Y a-t-il une exception à la règle?

Le téléroman Unité 9 se démarque notamment parce qu’il présente des modèles féminins très différents de ceux auxquels on est habitués, entre autres des femmes homosexuelles. Par exemple, le personnage d’Élise, joué par Micheline Lanctôt, n’est pas du tout déterminé par les hommes. Élise apparaît sans fard, dans toute son humanité, sa cassure. Elle existe en dehors de tous les schémas traditionnels. Mais ça reste très rare.