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Porno et féminisme font-ils bon ménage?

Une « porno féminine », faite pour les femmes. Qu’en disent les spécialistes et les féministes?

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Les films pornos féminins, voire féministes se multiplient, tout comme leurs adeptes… et leurs détracteurs. Examen des deux côtés de la médaille.

Un scénario crédible, de l’érotisme et, s’il vous plaît, moins de plans rapprochés de vagins et de pénis — d’autres parties du corps sont dignes d’être montrées à la caméra. Exit aussi les scènes de violence non consentie où la femme exécute une fellation et reçoit le sperme de son partenaire en plein visage alors qu’il lui tire les cheveux.

Voilà quelques règles qui ont guidé la production de films pornographiques destinés aux femmes de la société Puzzy Power, une filiale de Zentropa, la compagnie de production fondée entre autres par le réalisateur danois Lars von Trier. Si Puzzy Power a cessé ses activités, des initiatives similaires ont vu le jour au cours des dernières années, portant à plusieurs dizaines le nombre d’artisans et surtout d’artisanes de films pornos féminins dans le monde.

Par et pour les femmes

C’est notamment le cas dans le site Web Dorcelle, lancé par le Français Marc Dorcel et dont le contenu X serait réalisé « par et pour les femmes », en réponse à une demande grandissante, dit-on. En 2009, celui qui s’autoproclame le « pape de la porno » dans son pays a été le premier à mener une enquête sur les pratiques sexuelles des Français, qu’il a mise à jour en septembre 2012.

Dans ce dernier coup de sonde de la firme Ifop, on apprend notamment que 82 % des Françaises ont vu une production X dans leur vie et que 18 % consomment régulièrement ce type de matériel (contre 63 % des hommes). Dans des proportions variant entre 70 et 80 %, les femmes de l’Hexagone estiment que les productions pornographiques souffrent d’un manque de professionnalisme, en plus de refléter des fantasmes trop masculins et des pratiques très éloignées de la réalité. Un pourcentage similaire juge que les films X sont dégradants pour l’image de la femme et un peu plus de la moitié affirme les trouver trop violents. Ce que les Françaises sondées aiment? Des productions avec un scénario de qualité, des scènes de sexe réalistes qui mettent en valeur la beauté et l’aspect naturel du physique des acteurs.

Pour David Courbet, auteur de Féminismes et pornographie (La Musardine Éditions), publié l’automne dernier, l’enquête démontre qu’il y a bel et bien une demande de la gent féminine pour les films pornos. Ce jeune journaliste français croit que ces résultats sont les fruits du mouvement féminisme pro-sexe né aux États-Unis dans les années 1980, qui a contribué à l’émancipation sexuelle des femmes et à l’avènement du porno féminin, destiné aux femmes, mais également féministe, un genre volontairement politisé et artistique.

« Ces féministes en avaient marre de voir des productions pornographiques avilissantes, dégradantes et légitimant la société patriarcale », explique-t-il. Elles n’ont pas voulu bannir le porno prédominant, mais bien en inventer un où le plaisir féminin occupe l’avant-scène. Selon M. Courbet, les propos d’Annie Sprinkle, ancienne prostituée et actrice américaine de films X, reflètent bien ce courant de pensée. « La réponse au mauvais porno, ce n’est pas la fin du porno, mais au contraire plus de porno! » a toujours plaidé celle qui est persuadée que l’imaginaire sexuel des femmes peut être transformé positivement.

Une égalité… à peaufiner

Photographie de Mia-Enberg.
Mia Engberg, une productrice suédoise, lançait en 2009 Dirty Diaries, une série de 12 courts métrages pornographiques réalisés par des femmes.

La productrice suédoise Mia Engberg a fait des vagues en 2009 avec Dirty Diaries, qui rassemble 12 courts métrages pornographiques réalisés par des femmes qui s’emploient à démontrer leur « sexualité diverse », non uniquement axée sur le pénis et l’éjaculation. Dans une entrevue accordée au magazine français Causette, Mme Engberg fait valoir la différence entre porno féminin et féministe, le second genre faisant davantage place à des rapports sexuels égalitaires, selon elle.

Foutaises, rétorque Andrée Matteau, sexologue à la retraite et auteure de Dans la cage du lapin. De la pornographie à l’érotisme (Les éditions du CRAM, 2001). « Je ne vois pas pourquoi les féministes se serviraient de la pornographie. On n’y parle que de sexe et non pas de sexualité par rapport à l’humain. » Celle qui a milité pour l’abolition du porno estime que ce genre ne fait que l’apologie du pénis triomphant et de la femme-objet, peu importe si c’est un homme ou une femme qui produit ou réalise le film.

Photographie de Andrée Matteau.
« Je ne vois pas pourquoi les féministes se serviraient de la pornographie. On n’y parle que de sexe et non pas de sexualité par rapport à l’humain. »
 — Andrée Matteau, sexologue à la retraite

Un point de vue que partagent nombre de féministes, selon la professeure Julie Lavigne, du Département de sexologie de l’UQAM. « Beaucoup vont dire que la pornographie est le reflet des inégalités de la société dans laquelle on vit », souligne-t-elle. Conséquemment, puisque la sexualité est construite socialement dans une société où règnent des rapports de force et de domination, difficile de savoir ce qu’est la sexualité des femmes hors du patriarcat.

Photographie de Nengeh Mensah
Maria Nengeh Mensah, professeure de travail social à l’UQAM, estime que le discours de certaines féministes antipornographie mène à des logiques de censure, alors qu’il devrait s’attarder au malaise qui pèse sur les femmes en matière de sexualité.

Sa collègue Maria Nengeh Mensah met cependant en garde contre le discours de certaines féministes antipornographie qui rapproche de façon « simpliste », selon elle, les images crues et les fantasmes mis en scène dans les films et les effets supposément négatifs de la consommation de pornographie dans la vie quotidienne. « Ça mène à des logiques de censure plutôt que de reconnaissance du profond malaise qui pèse sur les femmes et sur les féministes lorsqu’on parle de sexualité », plaide la professeure de travail social à l’UQAM.

Mais le sociologue Richard Poulin, de l’Université d’Ottawa, persiste : la consommation de films pornos à un très jeune âge cristallise des fantasmes dont il est quasi impossible de se débarrasser, affirme-t-il, ce qui influence la sexualisation précoce et entraîne un rajeunissement des agresseurs sexuels.

L’autre discours

Non convaincu que les productions X engendraient des violeurs ou des misogynes, Simon-Louis Lajeunesse, sociologue et professeur associé à l’Université de Montréal, a voulu comprendre la place qu’occupe la pornographie chez une vingtaine d’étudiants universitaires, lors d’une recherche menée en 2009.

Il conclut que, même à 11 ans, les jeunes hommes ne sont pas des pages blanches sur lesquelles la porno écrit ce qu’elle veut : leurs fantasmes, leur orientation sexuelle, leurs désirs et leurs aspirations sont déjà largement construits par la société. M. Lajeunesse a aussi découvert que les participants à son étude sont très critiques devant les images pornographiques qu’ils consomment et que leur volonté de performer avec leur partenaire — un reproche fréquent des féministes — tire plus sa source dans la société que dans la porno.

Mme Nengeh Mensah fait par ailleurs valoir que la pornographie, telle que prônée par des pornographes féministes, peut constituer un outil permettant aux femmes de s’approprier davantage leur sexualité. C’est ce qu’espère l’auteur David Courbet, qui ose même rêver qu’une société plus égalitaire en découlera.

Un souhait irréaliste, répliquent les féministes antipornographie, qui voient dans l’avènement d’une production X plus féminine une simple occasion d’affaires dont certaines femmes voudraient tirer profit.

Page couverture féminismes-et-pornographie - David-Courbet

David Courbet, Féminismes et pornographie, La Musardine, 2012, 276 p.