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La traite humaine : dans un quartier près de chez vous

La traite humaine : une lucrative exploitation de nos filles.

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Elles sont nombreuses, les femmes qui se prostituent au profit d’un homme, et qui ne reçoivent que des miettes de leurs revenus astronomiques. Cette lucrative exploitation a cours partout dans le monde. Même près de chez vous.

Vancouver, Winnipeg, Toronto et Montréal figurent parmi les villes considérées comme des plaques tournantes pour la traite des femmes à des fins de prostitution au pays, révèle-t-on dans L’esclavage moderne : la traite des femmes, un guide d’animation à l’usage des écoles et des groupes publié par le Comité d’action contre la traite humaine interne et internationale (CATHII) de Trois-Rivières.« Ça existe aussi à Trois-Rivières, à Québec… » confirme Louise Dionne, coordonnatrice de l’OSBL formé d’une quinzaine de congrégations religieuses, basé à Montréal et actif au Québec et au Canada.

Photographie de Louise Dionne.
La traite humaine touche nos petites filles, soutient Louise Dionne, coordonnatrice du CATHII, et les mineures autochtones dans plus de 90 % des cas.

Dans les salons de massage, les bars de danseuses, les agences d’escortes, les maisons closes, les bars, les motels, la rue, l’exploitation par la prostitution prospère. Ce type de commerce aurait littéralement explosé au cours des dernières années, selon Louise Dionne. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) estime à 1 500 le nombre de victimes de traite humaine au pays. Mais plusieurs cas non déclarés échappent aux statistiques. À l’heure actuelle, les tribunaux du pays s’occupent de 55 dossiers de traite humaine.

Proxénètes cherchent jeunes filles vulnérables

Photographie de l'insigne lumineuse d'un bar de danseuses nues

Au Québec comme ailleurs au Canada, les principales victimes, toutes proportions gardées, sont les mineures autochtones. Bien qu’elles ne représentent que 3 à 5 % de la population canadienne, elles constituent 90 % des victimes du trafic sexuel dans certaines localités.

À la suite de l’abolition des permis temporaires pour les danseuses exotiques en juillet dernier — de la prostitution déguisée —, la traite internationale a décliné en faveur de la traite interne, selon Louise Dionne. Ce sont donc surtout « nos petites filles » qui se prostituent ici désormais…

Elles peuvent avoir aussi peu que 12 ans, mais ont généralement entre 14 et 16 ans. On en dénombre aussi dans la vingtaine, plus rarement dans la trentaine. Nombreuses sont celles qui proviennent de milieux défavorisés. Mais on trouve aussi parmi les victimes des filles de diplomates, des étudiantes à l’université ou de jeunes professionnelles. Aucune classe sociale n’est épargnée. Ce qu’elles ont en commun? Une vulnérabilité, une naïveté et un urgent besoin à combler, qu’il soit d’ordre affectif ou financier.

Photographie d'une jeune femme qui fait du pouce

Les plus vulnérables : les jeunes fugueuses. Elles se font très vite repérer lorsqu’elles font de l’autostop ou flânent près des terminus d’autobus, des stations de métro ou des gares de train. Un quidam les aborde, leur demande si elles savent où dormir, si elles ont de quoi manger. Il propose de les prendre sous son aile.

Souvent membres de gangs de rue ou de motards, les proxénètes sont passés maîtres dans l’art de la manipulation : ils détectent les faiblesses des jeunes filles pour mieux les exploiter. En moins de deux, ces rois de la drague les séduisent, puis les ont sous leur emprise.

Le rituel classique d’initiation consiste en un gang bang, sorte de viol collectif qui vise à « casser » la jeune fille en la désensibilisant à la sexualité forcée, peut-on lire dans l’article de Marie-Claude Roy, Jeunes filles sous influence de gangs de rue (Parents Ados, ). Puis, le Don Juan en vient à lui demander de l’aider à faire un peu d’argent pour financer leurs projets communs… en se prostituant, au nom de l’amour. Le cercle infernal se referme sur la jeune fille, l’entraînant vers plus d’une dizaine de clients par nuit.

Plusieurs sont séquestrées, battues, violées, mal nourries, droguées… mais lorsqu’elles « travaillent », toutes sont embellies par des tenues sexy et des soins esthétiques (bronzage, manucure, maquillage, coiffure). Des gages de rendement : certaines filles rapportent jusqu’à 2 000 $ par soir. Au bout de l’année, leur proxénète empoche de 70 000 à 100 000 $ en moyenne, et jusqu’à 250 000 $ pour les plus jeunes. Pour les filles, il ne reste que des miettes. Quand on leur en laisse.

Lutter de concert

Sensibiliser la population, surtout les victimes potentielles, aux risques de traite humaine est le premier pas pour freiner le fléau. Le CATHII, la GRC et le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), entre autres, s’y affairent.

En , le Conseil du statut de la femme a publié l’avis La prostitution : il est temps d’agir, dans lequel il propose au gouvernement du Québec d’adopter une loi, à l’instar de la Suède, qui dépénalise les prostituées et criminalise tous ceux qui les exploitent. Après tout, la dignité des femmes et le respect de leurs droits fondamentaux sont en jeu. Le Conseil recommande en outre d’inscrire cette loi dans une politique globale axée sur la sensibilisation de la population et la responsabilisation de tous les acteurs sociaux.

Photographie de Marie-Claude-Arsenault
« Les policiers doivent en venir à percevoir les prostituées comme des victimes potentielles. »
 — Marie-Claude Arsenault, sergente de la GRC

Car une prise de conscience est également nécessaire chez les intervenants. Dans l’article Traite humaine : les combattants de l’ombre (Présence magazine, ), la sergente Marie-Claude Arsenault de la GRC mentionnait l’importance d’organiser des formations pour sensibiliser les policiers au Canada et à l’étranger (Asie, Europe de l’Est, etc.), afin qu’ils puissent mieux déceler le phénomène et agir de manière plus efficace. « Les policiers doivent en venir à percevoir les prostituées comme des victimes potentielles. »

« Il faut arriver à changer la culture policière : on doit travailler avec des réseaux élargis, ce qui demande à nos agents de collaborer avec divers intervenants. Il y a un changement de mentalité qui doit se faire, c’est relativement nouveau comme manière d’opérer », poursuivait-elle.

En avait lieu la quatrième rencontre de la Table de concertation sur la traite humaine, une initiative du CATHII. Ce regroupement rassemble près d’une vingtaine d’organismes clés, dont plusieurs paliers de la GRC, le SPVM, des centres jeunesse et communautaires, des maisons d’hébergement, des organismes soutenant les jeunes et les femmes, etc. Mieux comprendre le rôle de chacun, ses forces et ses limites, pour mieux venir en aide aux victimes, tel est le but de la démarche.

Louise Dionne rêve du jour où le Canada aura sa première maison d’hébergement réservée aux victimes de traite humaine. Pour le moment, les gouvernements refusent de soutenir le projet. Mme Dionne veille donc à ce que des centres, tels des centres pour femmes violentées, élargissent leur mandat pour accueillir aussi des victimes de traite humaine.

La lutte de Maria Mourani

Photographie de Maria Mourani.
La députée du Bloc québécois Maria Mourani soutient que le projet de loi C-452 viendrait colmater des failles dans loi, comme des sentences trop clémentes pour les trafiquants de femmes.

Le , Maria Mourani, députée du Bloc québécois dans Ahuntsic, déposait le projet de loi C-452 visant à lutter contre la traite des personnes et l’exploitation sexuelle. « On a beaucoup travaillé avec des policiers et des groupes de femmes dans ce dossier, précise la députée d’un ton vif. Quand il est question de faire des accusations de traite, il y a des failles dans la loi. Avec ce projet de loi, on vient les colmater. »

Selon la politicienne, les sentences sont trop clémentes pour les trafiquants de femmes. Voici que, au lieu de peines minimales, l’accusé pourrait recevoir des peines consécutives.

« Si tout va bien, c’est en février ou mars qu’aura lieu le vote pour ce projet de loi. On fait de la sensibilisation en ce moment »,indique Mme Mourani. Selon elle, le projet de loi devrait recevoir l’aval des élus : « Voter contre ça, c’est voter contre la vertu! »

La députée, qui fait de ce combat « l’engagement d’une vie », encourage les citoyens à appuyer son initiative  : ils peuvent télécharger une pétition sur son site Web, puis l’envoyer à la Chambre des communes.

Le pays des espoirs déçus

Quand on entend parler de la Moldavie, pays d’ex-URSS coincé entre la Roumanie et l’Ukraine, il est souvent question de drames liés à la traite humaine. Avec un revenu moyen de 250 à 300 $ par mois, 65 % des 3,8 millions d’habitants vivent sous le seuil de la pauvreté; le quart de la population active travaille à l’étranger, le tiers fuit dans l’illégalité. La plupart des habitants désirent gagner plus, parfois coûte que coûte…

Quand circulent des offres de travail au salaire 10 fois supérieur au salaire moyen, beaucoup de jeunes femmes sautent sur l’occasion. Les plus à risque ont moins de 25 ans, sont sans emploi, résident en zone rurale, ont connu la violence et la pauvreté. Alors qu’elles pensent partir pour devenir serveuses ou gardiennes d’enfants à l’étranger, notamment en Europe de l’Ouest et en Turquie, elles déchantent une fois arrivées à destination : on leur confisque leurs papiers et on les oblige à se prostituer.

Parfois, en Moldavie, de « faux » petits amis vendent leur copine pour 400 $, une transaction pouvant grimper à 5 000 $ quand elle est conclue ailleurs en Europe, en Italie par exemple.

En , une vaste offensive était lancée au pays : on a resserré le contrôle douanier dans les aéroports. Les critères pour intercepter les jeunes femmes jugées à risque : voyager en direction de la Turquie — là où va le tiers des victimes moldaves —, ignorer son lieu exact de travail et ne pas avoir de personne-contact fiable.

Les OSBL et la police — avec son Unité nationale antitraite — constituent les principales forces de frappe en Moldavie. Comme au Québec, on mise sur des ateliers de sensibilisation à grande échelle. Les victimes en détresse peuvent appeler un service téléphonique d’urgence, qui renseigne aussi la population sur la traite humaine.

Religieuses catholiques en renfort

En , les supérieures catholiques entamaient une vaste campagne de sensibilisation auprès des membres de leurs congrégations. Elles venaient de participer à la première rencontre, à Rome, de l’Union internationale des supérieures générales (UISG), un regroupement de mères supérieures catholiques orientant les priorités d’action des communautés partout dans le monde. Le sujet à l’ordre du jour : la traite humaine.

Ces 800 supérieures représentaient près d’un million de religieuses. S’en est suivi un effet monstre : des religieuses catholiques aux quatre coins de la planète, ainsi que les communautés qu’elles côtoient, se sont mobilisées.

Cette entrave à la dignité humaine a fait réagir sœur Nicole Rivard, une religieuse originaire de Portneuf qui tient les rênes de la congrégation des Sœurs missionnaires de Notre-Dame des Apôtres, à Rome. La septuagénaire a été l’une des personnes clés dans la mise sur pied d’un centre d’hébergement pour jeunes femmes victimes de traite, aménagé dans un couvent en banlieue de Rome.

Douze ans plus tard, en Italie seulement, les religieuses catholiques gèrent des centaines de centres d’hébergement pour jeunes femmes victimes de traite humaine, dont la majorité provient du Nigeria, de l’Europe de l’Est et de l’Asie. On estime à 70 000 le nombre de victimes d’exploitation en Europe chaque année, selon un rapport sur les droits de la personne publié en par le département d’État américain.