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La retraite en quatre instantanés

Vaut mieux vieillir en santé, car à la retraite, être une femme malade, ça coûte cher.

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Quatre femmes, quatre parcours, un souhait en commun : vieillir en santé car, à la retraite, être une femme malade, ça coûte cher. Témoignages de Marie, Josette, Diane et Lise.

Marie Brion, la fourmi qui s’est acheté du temps

« Mon revenu de retraite ressemble à l’aide sociale. » Marie Brion, 61 ans, originaire de la banlieue parisienne, est arrivée au Québec il y a 24 ans, avec en poche l’équivalent d’un bac en travail social.

« Mon revenu de retraite ressemble à l’aide sociale. »

Marie Brion

Comme elle a travaillé dans deux pays, elle touche une retraite« hybride ». Ses 12 années d’éducatrice spécialisée en France, avec un bon salaire d’institutrice, lui donnent droit à une somme d’environ 270 $ par mois. Au Québec, ses 22 années de travail communautaire auprès des itinérants, des toxicomanes, puis dans un centre de bénévolat et une maison de la famille, avec un salaire de moitié inférieur à celui qu’elle gagnait en France, lui permettent de recevoir aussi 270 $ de la part de la Régie des rentes.

« Comment je m’en tire? Grâce à mes REER. J’ai placé tout l’héritage de mon père, 75 000 $, dans des REER quand j’avais 54 ans. Et je suis propriétaire de mon logement. » Elle savait qu’elle devrait être prévoyante, avec un salaire dans le milieu communautaire et trois enfants en garde partagée! Son conjoint était ingénieur. « Le temps qu’on a été ensemble, j’ai économisé. » À la séparation, il lui a remboursé la moitié de la maison et elle a pu s’acheter un logement plus petit.

Pour réussir à être propriétaire, il lui a fallu être une consommatrice très sage. « Je n’ai pas besoin de beaucoup, ça ne me fait pas envie… Je m’habille dans les sous-sols d’église, j’achète tout usagé, sauf mes sous-vêtements. »

Elle a pris sa retraite à 60 ans, après avoir bien fait ses calculs, en fourmi consciencieuse. « J’ai compté qu’il me fallait 18 000 $ par année pour vivre. Pour vivre comme je veux. Chaque mois, je retire à peu près 1 000 $ de REER pour avoir 1 500 $ au total. » Il lui reste 200 $ par semaine après toutes ses dépenses obligatoires — électricité, taxes, Bell, voiture. « L’essentiel va dans la nourriture. Je dois faire attention. Surtout que j’essaie de manger bio… »

Globalement, elle est très satisfaite de sa retraite et de ses choix. « J’aurais pu attendre 65 ans, d’autant plus que j’adorais mon travail. Mais je me suis acheté du temps. C’est un beau cadeau que je me suis fait. » Elle choisit librement ses activités… parmi celles qui ne coûtent rien. « Le bénévolat, le militantisme, la marche, le plein air, le vélo, la randonnée, les festivals l’été… Tout ce qui est gratuit! » Elle s’est abonnée au Théâtre de la Ville à Longueuil avec une amie, car c’est moins cher à deux. « Je m’occupe aussi de mon petit-fils de 3 ans, je suis pas mal disponible pour mes trois filles. Je n’ai pas beaucoup d’argent à leur offrir, mais j’ai du temps, ce qui les arrange aussi. »

Est-ce qu’elle pourrait faire face à un coup dur? Un ennui de santé? Une grosse dépense pour son logement? « Ce qui m’inquiète un peu, c’est la santé; s’il fallait que j’aille dans le privé, pour une grosse intervention… Ce qui m’angoisse à plus long terme, c’est d’être handicapée, de ne plus être autonome et de devoir aller en CHSLD. Les résidences privées, c’est hors de prix. Je me souhaite de mourir en bonne santé… »

Quels seraient ses conseils aux générations de femmes suivantes? « En général, je ne donne pas de conseils. Mais voici les trois fils conducteurs qui ont guidé mes décisions : demeurer autonome financièrement pendant toute ma vie adulte, refuser la surconsommation et la spéculation, et lutter collectivement pour un partage équitable des richesses. »

Josette Catellier, le papillon qui a fini par se poser

Josette Catellier, 65 ans, vit seule et est retraitée depuis janvier 2012. Originaire de la Beauce, elle a étudié en sciences économiques, mais n’a jamais pratiqué la profession d’économiste. « De façon générale, j’ai très peu d’ambition. Je ne me suis pas projetée dans une carrière. »

Après un premier emploi au ministère de l’Énergie à Ottawa dans les années 1970, elle a voulu revenir au Québec après la victoire du Parti québécois, et s’est lancée dans une série de petits boulots, entrecoupés de périodes sans emploi. Dans des organismes communautaires ou sans but lucratif, elle a fait du secrétariat, de la comptabilité, de la gestion.

Son mariage avec un fonctionnaire aux relations extérieures a été bref lui aussi. Éprise de liberté, Josette a divorcé au bout de quatre ans. Sa fille, elle a dû l’élever seule. « Le père voyageait beaucoup. La garde partagée était impossible. »

Elle reconnaît ne s’être pas du tout préparée à la retraite. « En approchant de la cinquantaine, je me suis dit : “Ça n’a pas de sens, je ne peux plus papillonner d’un emploi à un autre.” » Elle a trouvé un poste à temps plein qu’elle a gardé 15 ans, au sein du Regroupement provincial des centres de femmes, avec un salaire annuel d’environ 40 000 $.

À présent, elle reçoit une retraite combinée de 1 100 $ par mois de la part des gouvernements provincial et fédéral. « Comme je n’ai pas gagné de gros salaires, je reçois assez peu de la Régie des rentes du Québec. » Et elle doit continuer à travailler quelques heures par semaine à son dernier emploi pour ajouter 500 $ à son revenu. Ça paie le modeste loyer de son 3 et demie. « Sinon, je ne pourrais pas y arriver. »

« Comme je n’ai pas gagné de gros salaires, je reçois assez peu de la Régie des rentes du Québec. »

Josette Catellier

Il y a 20 ans, elle a reçu un petit héritage qu’elle a entièrement mis de côté. Un coussin pour les imprévus. « Mais je suis consciente que ma situation est fragile… Je suis en très bonne forme, mais à la minute où des problèmes de santé surviennent, la vie se complique très vite. » Mais elle n’aime pas se projeter dans l’avenir : « Je fais un peu à la retraite comme j’ai fait au travail… De toute façon, il y a très peu de chances pour que les choses se passent comme prévu. »

Josette s’attend tout de même à devoir réduire son niveau de vie. Dans quoi couper? « La culture, les livres, les concerts, le théâtre. Je suis une grande consommatrice de culture, mais je me contenterai de ce qui est gratuit. » D’ici là, elle en profite encore et gâte sa petite-fille de 4 ans. « C’est une des grandes joies de ma retraite. »

Les bonheurs simples de Diane Goulet

Diane Goulet a beau avoir les cheveux gris, elle aime les samedis soir. « J’invite mes amis à souper. On prépare le repas ensemble, on joue aux dominos et, l’été, on regarde les feux d’artifice depuis mon balcon. De mon 3 et demie qui fait l’angle, j’ai vue sur le fleuve. J’ai une belle vie! » À 69 ans, Diane habite dans une résidence pour personnes âgées à Montréal.

Après avoir travaillé pendant près de 20 ans chez Bell, elle s’est fait offrir une retraite à l’âge de 53 ans, à l’occasion d’une vague de réduction de personnel. Mais pas question d’arrêter de travailler tout de suite. Réceptionniste chez un dentiste pendant un an, elle a ensuite passé sept ans à entrer des données dans une clinique. Ce n’est qu’à partir de 65 ans qu’elle a diminué le nombre de jours de travail dans sa semaine, avant de prendre finalement sa retraite, chose qu’elle n’a jamais regrettée.

Dans son calepin, elle note ses revenus pour savoir exactement sur quel montant mensuel elle peut compter. La pension de la sécurité de la vieillesse du Canada et le supplément de revenu garanti lui assurent 857 $. Le Régime de rentes du Québec : près de 500 $. Le crédit québécois d’impôt pour solidarité : 75 $. Et sa retraite de Bell, depuis qu’elle a 65 ans, plafonne à 150 $. En tout, elle a donc près de 1 600 $ par mois, dont les deux tiers sont engloutis par la résidence.

« J’arrive juste. Et je m’arrange pour ne pas avoir de dettes. » Ou presque. Elle a pu aller au Mexique, mais en puisant dans sa marge de crédit, qu’elle rembourse un peu chaque mois… « Je fais attention. Je vais dans les friperies, je fais partie d’un club d’achats pour l’épicerie et je vais beaucoup moins au restaurant, quasiment plus au cinéma. Je ne peux pas faire de gros cadeaux à mes petites-filles. »

« J’arrive juste. Et je m’arrange pour ne pas avoir de dettes. »

Diane Goulet

Mariée pendant sept ans, Diane a eu un fils dont elle s’est occupée seule après le divorce. Son ex-mari était alcoolique et elle a dû se battre pour obtenir une pension alimentaire. « La retraite, c’était un souci bien lointain pour moi. »

Elle a cotisé à quelques REER. Il lui en reste un peu, mais depuis qu’elle a 65 ans, elle se défend d’y toucher : elle s’est rendu compte que cela viendrait sabrer son supplément de revenu garanti. Une « trappe fiscale » dénoncée par des économistes spécialistes de la retraite. « Je n’y touche pas. Mon fils en héritera. »

L’avenir, la maladie, la perte d’autonomie, la vieillesse? Diane vit le temps présent et croit en sa bonne étoile. Elle est en bonne santé, malgré la fatigue et un début de surdité. À la résidence, elle voit parfois des personnes âgées tirer leur révérence sans crier gare. C’est la meilleure fin qu’elle se souhaite.

Lise Gagné * ou la retraite dorée

« Je me sens privilégiée », lance Lise Gagné. À 67 ans, cette ancienne haute fonctionnaire vit une retraite paisible dans sa maison de Québec avec son mari, son compagnon de vie depuis toujours, qui a lui aussi travaillé dans la fonction publique. Un parcours sans faute vers la retraite idéale, sur le plan financier.

La recette? « D’abord, une bonne formation à la base. J’ai fait des études universitaires. Ensuite, j’ai choisi de travailler dans la fonction publique comme on entre en religion. J’y ai passé 35 ans. J’ai saisi toutes les possibilités de formation et de perfectionnement qui s’offraient, pour monter les échelons. » Elle a eu une carrière intéressante comme gestionnaire dans divers ministères.

Passionnée par son travail, elle pensait rester au bureau jusqu’à l’âge de 65 ans. Elle ne voulait pas entendre parler des séances de préparation à la retraite. Mais le risque d’épuisement professionnel l’a forcée, en quelque sorte, à se résigner à partir un peu plus tôt que prévu.

Résultat : lorsque Lise a pris sa retraite, à 62 ans et demi, elle était cadre supérieure, avec un salaire annuel d’environ 100 000 $. Ses cotisations au fonds de pension lui assuraient de garder un bon revenu annuel situé entre 65 000 et 70 000 $. S’ajoutent des économies sous forme de REER : 50 000 $.

Rester avec le même conjoint toute sa vie s’avère un autre facteur qui permet d’avoir une retraite confortable. « Je suis très privilégiée », dit-elle encore. L’avantage financier est évident pour le partage des dépenses, mais aussi pour la conciliation travail-famille. « On a partagé les responsabilités familiales, on a fait équipe », relate cette mère de deux enfants devenus grands. « Tous les deux, on a une bonne retraite. » Et même, c’est elle qui touche le revenu le plus élevé, car son mari n’était pas cadre supérieur.

« Je ne veux pas être une charge pour mes enfants. C’est ça qui me préoccupe. »

Lise Gagné*

Malgré tout, si elle avait un jour à recevoir des soins importants, elle pense que sa retraite y passerait et ses économies aussi. « Mon père avait une bonne retraite et il a fini ses jours dans des conditions épouvantables, à l’hôpital, sans même avoir une chambre privée. » Lise Gagné avoue son angoisse à ce sujet : « Je ne veux pas être une charge pour mes enfants. C’est ça qui me préoccupe. La morale de l’histoire, c’est qu’il ne faut pas vivre trop vieux! »

  1. *Nom fictif