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Et tombent les filles

Le Y des femmes de Montréal a conçu un programme de sensibilisation pour prévenir la prostitution chez les jeunes filles recrutées par les gangs de rue.

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Les gangs de rue recrutent leurs futures prostituées jusque dans les écoles primaires. Pour s’attaquer à ce fléau, le Y des femmes de Montréal a conçu un programme de sensibilisation, incluant un documentaire qui donne la parole aux jeunes qui règnent dans la rue.

« Le plus haut qu’une fille peut monter, c’est prostituée. Ou alors, elle fait danser les autres », raconte un jeune membre d’un gang de rue dans le documentaire bilingue Histoires de rue : filles, gangs et réalités, réalisé par le Y des femmes de Montréal. Dans ce court métrage de 35 minutes, réalisé en collaboration avec Ramz Media, Sarah Bromby et Lucy Anacleto, réalisatrices et agentes de projet, mettent en lumière la dure réalité des filles membres de gangs de rue. Une douzaine d’ados, filles et garçons, y racontent ce qu’ils ont vécu… ou vivent encore. « Ce documentaire doit être suivi d’une discussion avec les jeunes pour bien expliquer les enjeux », préciser Amélie Proulx, agente de projet au Y des femmes.

Le film a été réalisé dans le cadre du programme Choisis ta voie, créé par le Service de leadership du Y des femmes, qui vise à prévenir le recrutement des jeunes filles par les gangs de rue à des fins sexuelles. Destiné aux intervenants des centres communautaires, il comprend également deux guides d’animation. Déjà, 109 filles de 11 à 20 ans, provenant principalement de milieux défavorisés, en ont bénéficié lors de sa phase pilote. L’idée tire son origine d’une rencontre avec un policier qui œuvre dans ce milieu. « Il avait les larmes aux yeux en nous racontant que les gangs de rue recrutent maintenant les filles pour la prostitution dans les écoles primaires, dit Sarah Bromby. Les plus jeunes ont 11 ans! » L’âge moyen des prostituées dans les gangs de rue est de 14 ans.

La spirale infernale

Pour attirer les jeunes filles dans leur groupe, les membres de gangs utilisent leurs charmes. « Souvent, un garçon va séduire une fille en lui offrant beaucoup de cadeaux ou en la bombardant de compliments, explique Lucy Anacleto. Ils misent sur son sentiment d’insécurité ou sur un besoin affectif qui n’est pas comblé par sa famille. » Sans le savoir, l’adolescente est entrée dans une spirale dont elle pourra difficilement sortir. « Éventuellement, le copain demandera à la fille de coucher avec un ami pour lui faire plaisir ou pour rembourser une dette. Sans s’en apercevoir, elle a commencé à se prostituer, et son copain est devenu son proxénète. » Si la jeune fille refuse, la relation peut devenir violente.

Mais pour les dirigeants des gangs de rue, les jeunes femmes perdent rapidement leur « valeur ». « Un des garçons que nous avons interviewés nous a dit : “Quand une fille a déjà couché avec plusieurs membres du groupe, elle ne vaut plus rien”, relate Sarah Bromby. En tant que femme, ce sont des propos difficiles à entendre. » Dans plusieurs cas, les jeunes filles sont alors envoyées dans une autre ville où on les forcera à danser nues ou à se prostituer.

Les filles membres de gangs de rue ont parfois des rôles autres que sexuels, mais ils sont limités. Certaines sont chargées de transporter ou de cacher de la drogue, particulièrement les mineures. « Les policiers sont plus gênés de fouiller une jeune fille », résume candidement un initié dans le documentaire. D’autres doivent recruter de nouvelles prostituées. « Souvent, elles le font pour éviter d’avoir à se prostituer elles-mêmes », dit Amélie Proulx. Une des techniques consiste à intimider ou à tabasser une fille. Un membre d’un gang de rue vient à sa rescousse et lui promet de l’aide si elle intègre son groupe…

Lueur d’espoir

Prostitution, passage à tabac, drogues… Les propos tenus dans Histoires de rue peuvent sembler inappropriés pour un public d’adolescents. Mais les intervenantes du Y des femmes affirment que le documentaire est volontairement cru. « Plusieurs jeunes de 13 ans sont déjà familiers avec cette réalité, souligne Amélie Proulx. De plus, ce sont ces jeunes qui sont ciblés par les gangs de rue. »

Ayant refusé de censurer les propos des intervenants, les réalisatrices espèrent aussi mieux rejoindre les adolescentes visées par le programme. « Les jeunes sont trop habitués d’entendre des adultes leur dire quoi faire et ne pas faire, lance Sarah Bromby. Avec ce film, ils voient la réalité brute. »

Malgré son propos sombre, le documentaire apporte quelques notes d’espoir. Certaines jeunes filles (qui demeurent anonymes en raison de leur âge) ont fait le choix de quitter les gangs de rue après « avoir vu des choses qu’elles ne veulent plus jamais voir ».

Un des garçons interviewés est même confronté à ses propres contradictions : quand on lui demande s’il laisserait sa petite sœur se faire recruter par un gang de rue, il jure qu’il ferait tout pour l’en empêcher. Jusque-là, il affichait une sorte d’arrogance de petit criminel. Pour la première fois de l’entrevue, il semble mal à l’aise. 

À risque ou pas?

Comment savoir si une jeune fille est à risque d’être recrutée par un gang de rue? Bien sûr, la présence de ces groupes dans un quartier rend les jeunes plus vulnérables. Toutefois, les intervenantes du Y des femmes insistent pour dire que même les enfants « de bonne famille » peuvent se faire embobiner.

Facteurs à surveiller

  • Faible estime de soi
  • Manque de relations significatives avec des adultes (parents ou autres)
  • Antécédents d’agression sexuelle
  • Difficultés à l’école
  • Absence de projet d’avenir
  • Membre de la famille impliqué dans un gang

Pour diminuer le risque de leurre, il est important de développer l’estime de soi des jeunes filles. « La majorité de celles que nous rencontrons nous disent qu’elles ne se trouvent pas belles, qu’elles ne s’aiment pas, note Lucy Anacleto. Alors quand un garçon plus âgé les bombarde de compliments et de cadeaux, elles deviennent des proies faciles. » Même chose pour les intérêts personnels. « Beaucoup d’adolescentes ne se sont jamais demandé ce qu’elles souhaitent faire plus tard ou ce qu’elles aiment vraiment », rapporte Sarah Bromby.

Finalement, il faut aussi aiguiser le sens critique des adolescentes. « Notre société définit tellement les femmes par leur potentiel sexuel, dit Amélie Proulx, que les adolescentes se sentent valorisées quand elles entrent dans un gang où tout le monde les désire. »

Visuel du programme de sensibilisation.

Le documentaire Histoires de rue : filles, gangs et réalités est conçu pour être diffusé dans un contexte pédagogique de prévention des violences. Des ateliers et des modules de formation complètent ce court métrage. Pour vous procurer ces outils, communiquez avec le Service de leadership du Y des femmes de Montréal au 514 866-9941.