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Les oubliées du Plan Nord

Le mot femme n’apparaît qu’une fois dans le document Faire le Nord ensemble qui décrit le Plan Nord en détail.

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Le document Faire le Nord ensemble, qui décrit le Plan Nord en détail, compte 120 pages, sans les annexes. Le mot femme n’y apparaît qu’une fois, page 38. Difficile de ne pas se demander si on veut que les femmes jouent un rôle dans ce vaste projet…

Aucun groupe de femmes québécois n’a été consulté dans le cadre des pourparlers ayant mené à la création du Plan Nord. Certes, six femmes, sans compter la ministre responsable du Plan Nord de l’époque, Nathalie Normandeau, ont siégé à la Table des partenaires, composée de représentants chargés d’élaborer le projet. Mais le gouvernement n’a pas jugé bon de faire appel à l’expertise des groupes de femmes, ni dans l’élaboration du Plan, ni dans son suivi.

Il n’a pas non plus jugé bon de produire une analyse différenciée selon les sexes (ADS), cet outil permettant de prévoir de quelle façon une politique ou un programme gouvernemental pourrait affecter différemment les femmes, les enfants et les hommes.

Christian Dubois, sous-ministre associé au Plan Nord et au Territoire, nous dira que les problèmes touchant les femmes ont été abordés « de façon horizontale », c’est-à-dire que les différents groupes de travail ont pu en discuter, mais qu’ils n’ont pas fait l’objet d’un groupe de travail en soi. Il n’en reste pas moins que personne n’a parlé au nom des femmes. La question se pose donc dans son entièreté : le Plan Nord est-il réservé aux hommes?

Au boulot, messieurs!

Les 80 milliards de dollars que l’on prévoit dépenser dans le cadre de ce vaste chantier de 25 ans sont censés « créer ou consolider » 20 000 emplois par an. Il est vrai qu’un certain nombre d’emplois qui seront créés dans le Nord-du-Québec touchent la prestation de services de santé et de services sociaux, secteur à forte concentration féminine. « Dans la région de Port-Cartier — Sept-Îles, on cherche notamment une cinquantaine d’infirmières, d’infirmières auxiliaires, de préposées aux bénéficiaires et d’orthophonistes », relate Nadine Lapierre, responsable des ressources humaines du Centre de santé et services sociaux de cette région.

Reste que la grande majorité des emplois dans les secteurs de la construction (98,8 %) et des mines (environ 7 % selon une estimation du Comité sectoriel de main-d’œuvre de l’industrie des mines) sont occupés par des hommes. Sans démarche sérieuse visant à favoriser l’accès des femmes aux emplois traditionnellement masculins, le Plan Nord risque d’accentuer les écarts salariaux entre les sexes, prévient Anick Druelle, coordonnatrice au Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT). C’est d’autant plus inquiétant que c’est dans les régions de la Côte-Nord et du Nord-du-Québec que ces écarts sont les plus grands. « La discussion doit être approfondie. Des programmes d’accès existent; c’est dans leur application qu’ils échouent », analyse-t-elle. Dommage que le CIAFT, qui a cultivé 30 ans de réflexion, de recherche et d’intervention sur le sujet, n’ait pas été consulté, lance-t-elle, déçue.

L’industrie minière clame haut et fort qu’elle veut recruter plus de femmes. Et elle forme un nombre accru de chauffeuses de camion, de conductrices de train de minerai, de soudeuses, etc. À cause de la pénurie de main-d’œuvre, elle ne peut plus les ignorer. « À compétences égales, il nous arrive de favoriser les femmes », affirme Éric Tétrault, porte-parole de la multinationale ArcelorMittal Mines Canada.

Mais les compagnies minières ont encore un énorme chemin à parcourir pour adapter leurs conditions de travail à l’arrivée des femmes, notamment en matière de conciliation travail-famille, fait valoir la coordonnatrice du CIAFT. À Fermont, première ville minière où le Plan Nord s’est concrétisé, les cas témoignant de cette lacune se multiplient. ArcelorMittal Mines Canada y a annoncé l’expansion de son complexe minier au Mont-Wright, juste à côté de la ville, où travaillent un millier d’employés (ils seront près de 2 000 en 2014). Toutefois, la compagnie n’offre pas de garderie en milieu de travail, alors qu’une grave pénurie de places en garderie sévit dans la municipalité, à cause du boum minier qui a fait doubler sa population en moins de deux ans. Au mieux, elle attend que la province bouge.

Pourtant, ArcelorMittal vient de perdre la candidate de son choix à un poste de direction parce que cette dernière n’a pas trouvé de garderie pour ses enfants, a appris la Gazette des femmes. Et un de ses employés, Josué Saint-Amant, songe à prendre un congé sans solde pour la même raison. Sa conjointe et lui cherchent des places en garderie depuis cinq ans. Leur troisième enfant naîtra ce printemps. Sa conjointe a sacrifié son travail pour élever les deux premiers. Maintenant qu’elle vient d’obtenir un poste de gestionnaire à Fermont, elle estime que c’est au tour de papa de rester au foyer.

La pénurie de places en garderie fait partie des problèmes qui nuisent à l’égalité des femmes en emploi. Le cas de Josué Saint-Amant illustre aussi que les mentalités évoluent. Et qu’apporter des solutions concrètes aux préoccupations liées à la famille peut avoir un impact positif sur l’ensemble de la force de travail.

Mais cet enjeu n’a été placé en priorité ni des entreprises minières, ni du gouvernement dans son Plan Nord, qui mise d’abord sur l’attraction de projets miniers. On s’occupera du social plus tard. À preuve : dans le premier plan quinquennal du Plan Nord, moins de 400 millions de dollars sont destinés à des programmes sociaux (non détaillés), tandis que 1,2 milliard sont consacrés à des infrastructures (précisées).

Logements rares, sécurité compromise

Le seul investissement concret du Plan Nord qui répond à des préoccupations avancées par des femmes concerne le logement au Nunavik. Québec s’engage à financer la construction de 300 logements sociaux additionnels et de 200 logements privés. Mais le besoin est trois fois plus élevé et il aurait pu être pris en compte indépendamment du Plan Nord : l’accès au logement est sous la responsabilité du gouvernement fédéral et de Québec en vertu de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. Avec le boum minier, l’accès au logement est devenu un problème criant partout au nord du 49e parallèle. Et encore davantage pour les femmes.

Dans les villes minières comme Fermont, les travailleurs sont logés par la compagnie. Les femmes qui ne travaillent pas dans les mines n’ont donc pas ce privilège. Leurs emplois sont généralement moins bien rémunérés que ceux des employés de la mine. Le prix des logements, lui, grimpe à cause de la rareté. La réalité, c’est qu’elles s’appauvrissent si elles n’ont pas accès à du logement abordable. Et si une femme vit avec un employé de la mine et que le couple se sépare, elle se retrouve sans logis. En temps normal, le parc de roulottes de la ville sert à pallier ce genre de situation, mais en ce moment, toutes les roulottes sont louées à gros prix à des sous-traitants de l’extérieur… Y a-t-on pensé?

Et a-t-on réfléchi à l’impact de l’arrivée massive de travailleurs occasionnels masculins — sans leur famille — sur les résidantes des villes touchées? Guilaine Lévesque, présidente du Regroupement des femmes de la Côte-Nord, observe une recrudescence du harcèlement sexuel à Fermont et dans les villages isolés de la Basse-Côte-Nord où ont lieu des travaux de développement hydroélectrique. « Les femmes hésitent à sortir le soir », dit-elle. Les preuves ne sont plus à faire à propos des liens entre l’augmentation des activités industrielles et celle de la prostitution et des agressions sexuelles, quand des hommes seuls débarquent en région éloignée.

Sans parler de la hausse de la toxicomanie. Selon Constance Vollant, porte-parole d’un groupe de parents de la communauté innue d’Uashat-Maliotenam, à Sept-Îles, l’arrivée de travailleurs de l’extérieur s’accompagne d’une hausse du trafic de drogue. Les ressources d’aide manquent, les programmes de prévention sont déficients, et les arrestations, trop peu nombreuses, déplore-t-elle. Les groupes de parents ont alerté le conseil de bande, sans succès. Ce genre de problèmes n’a pas été soulevé dans le Plan Nord non plus.

Le silence des femmes et des autochtones

Revenons sur le processus de consultation qui a mené au Plan Nord. La professeure à l’Institut national de la recherche scientifique, Centre Urbanisation Culture Société, Carole Lévesque, croit que « la parole et le savoir » des femmes n’ont tout simplement pas été entendus. « Certaines ont été invitées à participer à des réunions, mais elles n’étaient pas préparées, faute de soutien et de documentation contenant une réflexion sur le sujet de la réunion, et il n’y a pas eu de suivi », note l’anthropologue spécialisée dans les communautés autochtones du Nord-du-Québec.

Photographie de Lisa Koperqualuk.
Pour la nouvelle présidente de l’Association des femmes inuites du Nunavik, Lisa Koperqualuk, le Plan Nord ne tient pas compte des drames qui affectent la population au nord du 49e parallèle, comme l’abandon d’enfants.

Il semble en outre que les groupes de femmes autochtones ne se soient pas sentis interpellés par la démarche. Lisa Koperqualuk, nouvelle présidente de l’Association des femmes inuites du Nunavik (Saturviit), se souvient que sa prédécesseure a participé à une réunion sur le Plan Nord en 2010, mais que rien n’est ressorti de cette rencontre. Elle promet de regarder cela de plus près pendant son mandat.

Au Nunavik, dit-elle, les priorités ne sont pas celles du Plan Nord, mais plutôt celles du Plan Nunavik, qui priorise l’accès au logement, une réduction du coût de la vie, des investissements massifs en santé et en éducation, la protection de la jeunesse. Des objectifs auxquels le Plan Nord ne répond que très partiellement avec la création de logements, souligne la présidente de l’Administration régionale Kativik, Maggie Emudluk.

Lisa Koperqualuk renchérit : « Notre priorité chez Saturviit, c’est d’établir un centre de services pour les enfants laissés à eux-mêmes. » Les problèmes de violence et de toxicomanie, plus fréquents au nord du 49e parallèle, se traduisent en effet trop souvent par l’abandon d’enfants. Le Plan Nord est à mille lieues de ces drames.

Pour Michèle Audette, présidente de l’Association des femmes autochtones du Québec, l’arrivée de mégaprojets comme ceux liés au Plan Nord dans des communautés où les indicateurs sociosanitaires sont faibles peut être positive, à condition que « les bonnes structures soient mises en place dans les communautés touchées et qu’elles soient financées adéquatement ». Ceux qui voient le Klondike dans le Plan Nord oublient souvent qu’il risque de « se faire sur le dos des femmes ». Surtout si les programmes sociaux ne suivent pas, prévient-elle.

Photographie de Mme Carole Lévesque.
L’anthropologue Carole Lévesque est catégorique : pour être un succès économique, le Plan Nord doit d’abord être un succès social.

À ce compte-là, se pourrait-il que les mesures sociales éventuellement adoptées dans le cadre du Plan Nord ne visent qu’à réparer des torts causés par le Plan lui-même, plutôt qu’à favoriser l’action communautaire et le développement social? L’anthropologue Carole Lévesque craint que oui. « Je ne vois pas, dans ce projet, la couleur de programmes sociaux répondant aux problèmes vécus par les femmes. Pourtant, si on veut que le Plan Nord soit un succès économique, il faut d’abord qu’il soit un succès social. Sinon, on va régresser. » D’autant plus que « c’est dans ces secteurs qu’elles œuvrent, que ce soit de façon rémunérée ou bénévole. Les femmes sont au cœur des réseaux et des liens sociaux qui nourrissent les communautés ».

Mais ces réseaux font rarement partie de ceux qui profitent des retombées économiques, déplorent des groupes de femmes autochtones de la Basse-Côte-Nord. Les ententes entre Hydro-Québec et les Innus de la Basse-Côte-Nord, par exemple, sont négociées avec les membres masculins des conseils de bande, qui décident où ira l’argent des retombées. Avec pour résultat que les femmes en bénéficient peu. « Ce qu’il faut se demander, c’est est-ce qu’on souhaite que les femmes jouent un rôle dans le Plan Nord et quel serait ce rôle, affirme Mme Lévesque. Il faut aussi reconnaître qu’il y a plusieurs visions de développement — pas juste celle des compagnies minières — et que le Plan Nord doit les conjuguer. »

L’urgence de se retrousser les manches

Les féministes québécoises ont peut-être été écartées de la consultation menant au Plan Nord, mais elles peuvent rattraper le train. Depuis un an, il y a eu plusieurs changements à la tête d’organismes et de groupes de femmes. Michèle Audette (Femmes autochtones du Québec), Lisa Koperqualuk (Saturviit) et Julie Miville-Dechêne (Conseil du statut de la femme) viennent d’arriver en poste et promettent d’intervenir dans le Plan Nord. Au Conseil du statut de la femme, une étude sur le sujet est en cours; elle devrait se traduire par des recommandations ce printemps. « Il est clair, avance Julie Miville-Dechêne, que ce vaste projet affectera différemment les femmes et les hommes. Ce qu’il faut prévenir, notamment, c’est l’effet des disparités salariales qui existent entre les emplois dans le secteur primaire, occupés par les hommes, et les emplois dans le secteur tertiaire, occupés par les femmes, qui pourrait décourager les femmes d’aller sur le marché du travail. »

Du côté gouvernemental, le sous-ministre associé au Plan Nord et au Territoire, Christian Dubois, signale que le Plan Nord est un « dispositif à l’écoute »,« perfectible », et que ses auteurs « restent alertes ». « Je m’attends à ce qu’il y ait des mesures ciblées pour les femmes dans le Plan Nord », a-t-il déclaré à la Gazette des femmes. Pourquoi ne pas commencer maintenant?