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Une laïcité pour l’égalité

En ce début d’année, le Conseil du statut de la femme met la dernière main à un avis sur la laïcité.

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En ce début d’année, le Conseil du statut de la femme met la dernière main à un avis sur la laïcité. Pour connaître les fruits de cette réflexion, la Gazette des femmes s’est entretenue avec la présidente du Conseil, Christiane Pelchat.

Depuis sa fondation en , le Conseil du statut de la femme a activement pris part au débat public québécois, intervenant sur des sujets qui façonnent le paysage socio-politico-économique de l’État. L’un des enjeux de l’heure concerne l’affirmation ou non de la laïcité québécoise. L’expression de ce principe d’aménagement des pouvoirs public et religieux au sein d’un État s’observe de multiples façons dans le monde. Mais la laïcité prônée par le Conseil du statut de la femme se définit d’abord et avant tout à travers la lunette de l’égalité des sexes. Faut-il s’en étonner? Son mandat est justement de s’assurer que les organismes gouvernementaux et les politiques publiques du Québec protègent et promeuvent l’égalité des sexes. La réflexion du Conseil sur la laïcité québécoise a été amorcée durant les travaux ayant mené à la publication de son avis de sur le droit à l’égalité entre les sexes et la liberté religieuse. Avis qui a pour fondement les trois valeurs identitaires et collectives québécoises, énoncées par le premier ministre au moment où il mettait sur pied la commission Bouchard-Taylor : la primauté du fait français, la séparation de l’État et de la religion et l’égalité des sexes. Au fil de ses travaux, le Conseil a constaté qu’à mesure que l’État s’était approprié les responsabilités d’ordre civil, les femmes avaient acquis des droits et une plus grande participation à la sphère publique. De même, il a relevé que lorsque la liberté de religion s’exprimait au Québec au moyen d’un accommodement raisonnable, il y avait un risque réel que l’égalité des sexes soit bafouée.

Et cela s’explique. Car bien que le Québec n’ait jamais officiellement eu de religion d’État, et que la liberté de religion ait été reconnue dans la Proclamation royale de , il n’en demeure pas moins que l’Église catholique a contrôlé des pans entiers des institutions civiles et de la société canadienne-française jusque dans les années . Toutefois, même si on peut affirmer que le Québec d’aujourd’hui est une société où l’Église et l’État sont séparés, en termes juridiques, il n’est pas un État laïque, notait le Conseil dans son avis de , et ce, en dépit de la déconfessionnalisation de son système d’éducation publique, achevée en .

Loin d’être resté lettre morte, cet avis a entraîné des modifications à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (dont l’article 50.1 et le préambule — voir texte sur La réflexion en marge) ainsi qu’au projet de loi 94, non encore adopté par l’Assemblée nationale, qui fait écho à la recommandation du Conseil voulant que le gouvernement se dote d’une politique de gestion de la diversité religieuse dans les institutions de l’État qui respecte l’égalité entre les sexes.

Bien qu’il soit essentiel, le projet de loi 94 est loin de mettre le couvercle sur la marmite de la laïcité. De l’avis du Conseil, il importe d’interpeller la société québécoise pour débattre collectivement de cette question. Et surtout, pour établir quelle forme de laïcité permettra l’expression pleine et entière de l’égalité…

Gazette des femmes : Qu’est-ce que la laïcité pour le Conseil et quelle est son exigence première?

Christiane Pelchat : La laïcité est un mode d’organisation des pouvoirs religieux et civil au sein d’un État.De notre point de vue, la laïcité doit reposer sur trois principes fondamentaux : la liberté de conscience (soit la liberté de croire ou de ne pas croire), la séparation de l’Église et de l’État et l’égalité entre les citoyens. En d’autres mots, l’État ne se mêle pas des affaires religieuses et le religieux ne détermine pas la conduite de l’État. Mais pour que la liberté de religion s’exprime, la liberté de conscience doit préalablement exister : le droit de croire suppose que j’ai aussi la possibilité de ne pas croire. Nous sommes d’avis que les femmes et les hommes naissent avec ce choix et que la religion n’est pas une fatalité de naissance. Et c’est dans cette possibilité de choisir que se matérialise l’égalité des sexes.

Parlez-nous de l’équation entre la laïcité et les droits des femmes.

L’égalité des sexes est une valeur fondatrice de la liberté, de la justice et de la paix. Dans les sociétés où l’indice d’égalité est élevé, la qualité de vie est meilleure et l’indice de développement humain1 est plus haut. On part de là. C’est notre lunette. Avant d’être religieux, noirs ou blancs, nous sommes des femmes et des hommes. Ensuite, on garde toujours à l’esprit que malheureusement, dans toutes les sociétés d’Occident, d’Orient ou d’Afrique, les femmes sont subordonnées aux hommes.Ce sont les prémisses avec lesquelles on travaille tous les jours et qui ont également guidé notre réflexion sur la laïcité.

J’ajouterais qu’au Québec, la démarche de la laïcité est intimement liée à l’atteinte de l’égalité des sexes. Durant toute la période de main mise de l’Église sur l’éducation, par exemple, l’évolution culturelle des Québécois a été guidée et influencée par le dogme religieux catholique. L’Église dictait les lectures. Elle contrôlait plusieurs journaux et mettait à l’Index certaines publications qui osaient la contester. Présent dans tous les villages par ses paroisses, le clergé régnait aussi sur les relations maritales et familiales. Les rôles prédéterminés des femmes et des hommes étaient bien connus : la femme devait obéir au mari et être la gardienne des valeurs catholiques et de la morale chrétienne. L’Église ne prônait pas l’éducation des jeunes filles. Les femmes n’avaient pas de statut, à part si elles étaient mariées; elles étaient alors le « réceptacle de l’héritier ». À mesure que l’État a pris ses responsabilités dans la sphère publique, les femmes y ont été de plus en plus présentes. C’est vrai pour l’obtention du droit de vote, vrai aussi pour l’accès à l’instruction et la liberté de disposer de son corps en ayant recours légalement à la contraception, etc.D’où l’importance pour l’État civil de formuler les conditions pour que s’exprime l’égalité des sexes. Et cela signifie s’approprier tous ses champs de compétence civils et en retirer le religieux, donc affirmer la laïcité dans un texte solennel.

Quel est le champ d’application des recommandations du Conseil en ce qui concerne la laïcité?

La laïcité pensée par le Conseil s’applique aux institutions publiques uniquement. Pour nous, la neutralité de l’État est essentielle à la liberté de conscience. Et les fonctionnaires en sont l’incarnation directe. Les lois de l’État sont des lois civiles et non religieuses. Lorsqu’une décision est prise au gouvernement du Québec, elle ne l’est pas en vertu de la Bible, du Coran ou de la Torah. Et comme fonctionnaire, je n’ai pas à être traitée différemment selon que j’adhère ou non à une religion, ou que je suis athée. Ainsi, je n’ai pas à arborer de signes religieux ostentatoires puisque ce n’est pas le dogme qui guide mon travail comme fonctionnaire, pas plus que je ne peux imposer mes croyances à mes collègues.

Mais les êtres humains sont en permanence teintés de leurs croyances. Peut-on être totalement objectif?

Croire et exprimer sa croyance, ce sont deux choses différentes. Les limites que pose la laïcité de l’État surviennent au moment d’agir selon les croyances. Lorsqu’on se conduit en fonction des lois civiles, dans un cadre démocratique où des lois ont été votées par des gens, on tient compte de ce que le peuple a exprimé. Alors qu’au contraire, lorsqu’on agit selon des lois divines ou un dogme, rien n’est discutable, tout est immuable. La démocratie ne s’exprime pas. En tant que fonctionnaire de l’État, une personne peut avoir à mettre entre parenthèses l’expression de sa croyance, et non pas sa croyance comme telle, au même titre qu’elle est tenue au devoir de réserve en ce qui a trait à son allégeance politique.

Que répondez-vous à l’argument voulant qu’une telle interdiction restreigne, par exemple, l’accès des femmes voilées à la fonction publique en les ostracisant?

Un, travailler dans la fonction publique n’est pas un droit,mais un choix.Deux, je pense plutôt que nous leur donnerons l’option de choisir de porter le voile ou non à l’extérieur de leur milieu de travail. Dans le cas contraire, l’État pourrait participer à l’instauration d’une norme sociale islamiste — les femmes musulmanes sont tenues de porter le voile –, ce que tentent d’imposer les fondamentalistes religieux. En interdisant le voile pour les employées de l’État, on leur donne un choix véritable. Vous savez, il semble qu’en ce moment, à Londres, des femmes sont payées 200 $ par mois pour porter le voile ou le niqab. Pour les fondamentalistes, le voile constitue un outil d’instrumentalisation politique davantage qu’un symbole religieux servant à exprimer sa foi.

Quelles sont les recommandations du Conseil pour affirmer solennellement la laïcité de l’État?

Pour changer l’état de notre droit, il faut modifier la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Nous recommanderons donc au législateur d’amender la Charte pour y inclure le principe de laïcité de l’État, et d’édicter une loi qui en définira l’application dans la fonction publique québécoise. Le Conseil compte proposer des mesures parmi lesquelles figurera l’interdiction aux représentantes, aux représentants et aux fonctionnaires de l’État d’arborer des signes religieux ostentatoires dans le cadre de leur travail, et d’autres qui toucheront le cours d’éthique et culture religieuse ainsi que le financement des écoles privées confessionnelles.

Il est clair que pour y arriver, notre société doit tenir un débat sur la question,et ne pas s’en remettre uniquement au projet de loi 94. Et je suis favorable à la tenue d’une commission parlementaire élargie, itinérante au besoin. Qui dessine les lois et les adopte? Ce sont les parlementaires, et il faut leur faire confiance. Les députés sont élus par le peuple, ils sont aptes à entendre ce débat, à analyser la question, à formuler des recommandations au gouvernement. Faisons-leur confiance et incitons les citoyens à s’exprimer.

Et cette manière de faire sera garante d’un mieux-vivre ensemble?

Tout à fait. Il est de la responsabilité de l’État de protéger l’ordre public. Et pour ce faire, il doit établir les règles d’un vivre ensemble commun.Au Québec, ce sont les trois valeurs collectives. À cela s’ajoutera l’affirmation juridique du principe de laïcité, qui permettra la liberté de conscience tout autant que la liberté religieuse.C’est une laïcité qui va respecter les non-croyants comme les croyants. Par exemple, en interdisant la prière dans les conseils municipaux, on évite de singulariser la personne athée ou d’une autre confession religieuse qui, chaque fois que le rituel est pratiqué, doit se lever et, de fait, se voit contrainte de dévoiler sa croyance ou son incroyance. La laïcité est donc une source de cohésion sociale qui permet à toutes et à tous d’exister. Et ce, en toute égalité.

Indice de développement humain
Indice composé qui mesure la qualité de vie moyenne de la population d’un pays. Théoriquement, l’indice va de 0 à 1. Il tient compte de trois dimensions du développement humain. D’abord, la possibilité d’avoir une vie longue et en santé (selon l’espérance de vie à la naissance). Ensuite, le niveau de scolarisation, évalué à partir du taux d’analphabétisme et de la fréquentation des différents niveaux du système scolaire. Enfin, le niveau de vie, calculé à partir du produit intérieur brut per capita en tenant compte de la parité de pouvoir d’achat. Source provenant du site web Perspective monde de l’Université de Sherbrook.