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Le retour du hidjab

Officiellement interdit sous la dictature de Ben Ali, le hidjab fait un retour en force chez les Tunisiennes.

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Officiellement interdit sous la dictature de Ben Ali, le hidjab fait un retour en force chez les Tunisiennes. Certaines y voient une affirmation de leur foi et de leur identité, d’autres une soumission à la pression des islamistes.

« Mes amies et moi avons peur désormais de nous promener au centre-ville de Tunis parce que des islamistes nous accostent pour que nous portions le voile, raconte Amel Ben Abdallah, 19 ans, étudiante en médecine à l’Université de Tunis. D’ailleurs, plusieurs filles de mon université qui ne s’étaient jamais voilées ont commencé à porter le hidjab après la révolution. »

Depuis la chute du dictateur Zine el-Abidine Ben Ali, le , la place de la femme en Tunisie est remise en question. En plus des Tunisiennes qui se sont voilé les cheveux, nombreuses sont celles qui ont enfilé la burqa, voile intégral typique de l’Afghanistan. Des islamistes suggèrent que les femmes devraient rester à la maison pour s’occuper des enfants. Plus étonnant, au lendemain de l’élection du parti islamiste Ennahda en octobre, la députée Souad Abderrahim a affirmé que les mères célibataires étaient une « infamie pour la société tunisienne » et qu’« éthiquement, elles n’ont pas le droit d’exister ».

Cette montée du conservatisme ne manque pas de surprendre dans un pays reconnu comme le plus libéral des pays musulmans. Dès , Habib Bourguiba (premier président de la République tunisienne de à ) a voulu faire de la nouvelle Tunisie indépendante un modèle en matière de droits des femmes. Le Code du statut personnel et les réformes successives ont notamment entraîné l’abolition de la polygamie, le droit de choisir son époux ainsi que la légalisation du divorce, de la contraception et de l’avortement – les Tunisiennes ont obtenu le droit à l’avortement en , tandis que les Québécoises ont dû patienter jusqu’en . Cette politique en faveur des droits des femmes s’est poursuivie sous Ben Ali (président de à ), qui souhaitait contrer la popularité des islamistes.

Pour Zied Mhirsi, la montée des valeurs musulmanes était prévisible. Ce médecin formé à l’Université de Washington a lancé un site d’information, Tunisia Live, après la chute de la dictature. Depuis la révolution, il agit également à titre de guide auprès des journalistes occidentaux, dont les représentants de CNN. « Les gens ne sont pas plus religieux qu’avant, affirme-t-il. C’est simplement qu’aujourd’hui, ils sont libres de l’exprimer. » En effet, malgré l’interdiction officielle, plusieurs Tunisiennes portaient déjà le voile sous le régime de Ben Ali. Et les policiers faisaient preuve de laxisme dans l’application du règlement. Lors du passage de la Gazette des femmes en Tunisie en avril dernier, Najoua Troudi, une jeune femme dans la vingtaine rencontrée pendant un débat sur l’avenue Habib-Bourguiba, au centre de Tunis, ne cachait pas sa joie de pouvoir enfin sortir voilée. « Le hidjab, c’est mon identité, disait-elle. Aujourd’hui, je suis libre de le porter. »

Pour beaucoup de Tunisiennes, le port du voile s’inscrit dans un retour en force de la religion au cœur de la vie quotidienne depuis le début des années . « L’arrivée des chaînes satellitaires arabes a modifié les mœurs dans le pays », explique Lotfi Azzouz, directeur général d’Amnistie internationale Tunisie. Alors que leurs parents regardaient les chaînes françaises dans leur jeunesse, les jeunes Tunisiens sont branchés sur Al Jazeera, sur la chaîne islamiste Iqraa ou sur les feuilletons égyptiens. « Ces chaînes ont propagé la religion dans la vie tunisienne », ajoute-t-il.

Le voile, objet de contestation

Mais le voile n’est pas qu’affaire de religion. Étonnamment, en Tunisie, il a été un moyen de contester le pouvoir politique, jugé trop près des intérêts occidentaux. Dès , le pays a connu une hausse du port du hidjab, parfois remplacé par le safsari, un long voile blanc traditionnel qui recouvre tout le corps. Cette année-là, le début de la guerre en Irak a provoqué « une révolte identitaire contre l’Occident oppresseur qui s’est révélée dans le port du voile », confiait au site Afrik.com Souhayr Belhassen, vice-présidente de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’homme. D’autres, comme l’avocate et militante islamiste Saïda Al Akrami, le portaient pour défier ouvertement le gouvernement de Ben Ali.

Sur un mode moins revendicateur, plusieurs jeunes filles enfilaient le hidjab sous la dictature pour rassurer leurs parents. «  Parce qu’elles étaient voilées, et donc pieuses, leurs parents les laissaient sortir entre copines en se disant qu’elles ne feraient pas de bêtises, explique Amel Ben Abdallah. Mais une fois hors de chez elles, certaines retiraient leur voile, allaient rejoindre leur copain ou sortaient en boîte. »

Autre stratagème : des femmes mariées l’utilisaient pour contrarier leur mari jusqu’à ce que celui-ci cède à leurs revendications. « À la maison, l’homme musulman a pratiquement tous les pouvoirs, explique Raoudha Kammoun, chercheuse en sociolinguistique à l’Université de la Manouba, en banlieue de Tunis. Mais aucun ne peut exiger que son épouse retire son voile. » Le hidjab devenait ainsi un moyen de négociation avec un mari opposé au port du voile, ou qui souhaitait éviter des problèmes avec les autorités.

Faut-il craindre Ennahda?

Au-delà des pratiques religieuses, c’est la montée de l’islamisme politique qui fait redouter le pire aux Tunisiens les plus libéraux. Le , le parti islamiste modéré Ennahda a remporté 41,5 % des voix lors de l’élection à l’assemblée constituante, qui sera chargée d’écrire la nouvelle Constitution. Toutefois, Zied Mhirsi affirme qu’il faut faire une distinction entre l’islamisme de la rue, plus radical, et Ennahda. « Et il existe divers courants au sein même d’Ennahda. Certains sont plus radicaux, d’autres plus près des valeurs occidentales. » Il ne craint pas que le parti revienne sur les acquis constitutionnels des Tunisiennes. Pour lui, le véritable défi relève plutôt d’une certaine hypocrisie entretenue sous la dictature. « Sous Ben Ali, les droits des femmes étaient dictés par le gouvernement. Mais en réalité, ces lois avaient peu d’impact. » Il cite en exemple le nombre de femmes battues. « On dit que c’est un phénomène très répandu. Mais il n’y a aucune statistique fiable sur le sujet. » Pour ce médecin devenu éditeur, la société civile doit s’organiser pour aider les femmes sur le terrain, particulièrement en zone rurale.

Malgré tout, plusieurs jeunes Tunisiennes sont surprises de voir que la révolution démocratique a donné naissance à un mouvement islamiste.« Pour nous, dit Amel Ben Abdallah, la situation est pire qu’avant. »

Égales dans la famille

Photographie de Bourguiba avec un groupe de femmes.
Même après l’accession du pays à l’indépendance sous Habib Bourguiba, les Tunisiennes ont conservé leurs tenues occidentales. Le hidjab et la burqa n’étaient pas communs en Tunisie jusqu’à la révolution de .

En août dernier, le gouvernement tunisien a levé les réserves sur son adhésion à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Bien qu’elle soit signataire de cette convention de l’ONU, la Tunisie n’appliquait pas les mesures concernant l’égalité dans les affaires familiales. Ainsi, le mari conservait la plupart des droits relatifs aux enfants, au lieu de résidence et à la propriété des biens. « Plusieurs des réserves limitaient l’égalité des femmes au sein de leur famille, et leur suppression reconnaît enfin les femmes comme des partenaires égales dans le mariage et dans la prise de décisions relatives à leurs enfants », explique Nadya Khalife, chercheuse sur les droits des femmes au sein de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.