Pourrait-on réécrire l’Ancien Testament de manière à éliminer le sexisme
des textes et à redonner aux femmes leur histoire?
Vous connaissez Dinah? Elle est une toute jeune fille, la sœur cadette
de Joseph, celui qui a interprété le songe des sept vaches grasses et des
sept vaches maigres de l’Ancien Testament. Alors que le viol dont Dinah est
victime constitue le déclencheur du récit, on y parle peu d’elle si ce
n’est que pour la nommer. Lors d’une réunion secrète à laquelle elle n’est
pas conviée, ses frères décident, par mesure de vengeance, de massacrer
tout le clan du violeur. Dinah demeure dans l’ombre et nous ne saurons
jamais rien d’elle.
Les femmes sont absentes du monde biblique. Pourtant, elles sont
nombreuses. Certaines nous sont familières : Eve la première, Sara et ses
suivantes nommées les matriarches, Bethsabée la trop belle, Ruth le modèle
d’obéissance; les femmes fortes : Déborah, Esther, Judith; Athalie, la
reine cruelle et méchante… Il y a aussi toutes celles qui sont maintenues
dans l’ombre : les servantes Hagar, Bilha et Zilpa; Hannah, mère de Samuel;
Cippora, femme de Moïse; Tamar, fille de David, Mérab, fille de Saul. Elles
ne sont que les femmes de… , les filles de… , les sœurs de…
S’ajoutent toutes celles qui ne sont même pas nommées : la femme de Loth et
ses deux filles, la mère de Samson, la fille immolée de Jephté, la femme
perverse de Putiphar… La liste est longue. Pourrait-on réécrire l’Ancien
Testament de manière à éliminer le sexisme des textes et à redonner aux
femmes leur histoire?
La Parole désexisée
Bien avant nous, une Américaine courageuse, Elizabeth Cady Stanton,
tente de réécrire la Bible en interprétant tous les passages concernant les
femmes. Elle veut montrer que la Bible est centrée sur l’homme. Pour elle,
ce document ancien n’est pas la Parole de Dieu, mais celle des mâles. Son
projet s’avère très impopulaire à cause de ses conséquences politiques. On
lui refuse toute aide financière. Elle publie malgré tout son
Woman’s
Bible qui n’est en fait que l’histoire de son projet. Elizabeth C.
Stanton prétendait qu’en niant l’inspiration divine des textes sexistes,
elle avait montré plus de respect à l’égard de Dieu que clergé et Église
ensemble. Cela se passait à la fin du siècle dernier. Depuis, maints
analystes ont suivi la trace de E. C. Stanton : reconstruire le texte de
manière à le rendre non sexiste. Effort louable, mais les habitudes sont
fortement ancrées. La récente publication d’Alphonse Maillot démontre cette
difficulté. L’auteur insiste pour parler du couple, non plus de l’homme
seul, ni de la femme seule. Mais il écrit tout de même :
« Il n’y a donc
qu’une race d’hommes, et la femme appartient à cette race. »
Il ajoute
aussi :
«… il existe une misogynie naturelle à chaque mâle
»
.
Les théologiennes féministes joignent à la signification générale du
terme féminisme-égalité de tous les êtres-leur ferme croyance que la
réciprocité
« est le type de relation dont Jésus a donné l’exemple
»
. Ces scientifiques sont des femmes pour qui la Bible revêt une
autorité divine et pour qui seule l’interprétation humaine les femmes.
Elles suggèrent d’adopter des expressions génériques comme « tous les gens
», « des êtres humains », « les personnes ». Elizabeth S. Fiorenza donne
l’exemple du mot « homme » ajouté par des scripteurs postérieurs, puisqu’il
ne figure pas dans le texte original. « Il rendra à chaque homme selon ses
œuvres » se lirait plutôt « Il rendra à chacun selon ses œuvres. » La
critique féministe prend l’allure d’une voie d’interprétation qui offre des
possibilités de changement.
Nombreuses encore sont les personnes qui s’opposent à la féminisation de
la langue (ou au langage inclusif). Elles objectent la lourdeur des textes
ainsi construits. Pourtant, une tournure différente de la phrase suffit
souvent à neutraliser le caractère masculin d’un texte. Une autre objection
vient des milieux spécialisés qui prétendent que le féminisme propose une
grammaire qui s’oppose à la langue des Écritures. Mais si l’exégèse se
propose de réactualiser le sens de la Parole divine pour la rendre
compréhensible aux gens d’aujourd’hui, pourquoi refuser de la désexiser? De
leur côté, les critiques féministes agnostiques (rappelons que beaucoup
d’hommes en sont) n’abordent pas l’Ancien Testament dans le but de le
corriger ni de rétablir des modèles féminins plus valorisants. Refusant
d’adhérer à toute croyance dogmatique et considérant l’Ancien Testament
comme un texte littéraire, elles dénoncent l’ère patriarcale qui débute
avec l’histoire d’Eve et d’Adam. Ayant accès aux Écritures à travers la
lunette des traducteurs, elles étudient cette langue pour voir quelle place
y est faite aux femmes, découvrant que la subjectivité historique est
souvent confondue avec le sexisme.
Donnez-nous des fils!
Dans l’Ancien Testament, la femme se situe à l’arrière-plan ou à la fin
de l’événement et n’a pas de part signifiante au dialogue. Elle se tient
entre le mâle choisi par Dieu et le « monde » et disparaît aussitôt son
rôle accompli : accoucher-d’un fils de préférence-; protéger le héros en
danger, l’aidant à prospérer à travers sa destinée. Un passage du livre
d’Esther (Est 1, 17-22) démontre comment les énoncés de principe
déterminent les rôles féminins :
« La conduite de la reine Vasti filtrera jusqu’à toutes les femmes, les
poussant à mépriser leurs maris. (… ) Que notre roi sorte une
ordonnance (… ) selon laquelle Vasti donnera son titre de reine à une
autre meilleure qu’elle. (… ) Alors toutes les femmes entoureront
d’égards leurs maris, du plus important au plus humble. (… ) Ainsi
tout homme sera maître chez lui. »
On pourrait objecter les cas de Ruth et de Noémi qui sont maîtresses de
leur destin : pas de promesse des dieux ni soutien des hommes. Dans la
première partie du récit, ces femmes assument le dialogue. Mais quand on
passe du privé au public, de la famille à la collectivité, on ne retrouve
que des hommes. Le texte révèle les particularités du patriarcat en donnant
tous les pouvoirs à l’homme bien que la venue de l’enfant soit toujours une
affaire de femme.
La grande majorité des rôles féminins concernent la maternité. Ainsi,
l’épouse stérile est honteuse de sa condition. Le mari prend une autre
femme (sœur ou servante) qui devient une rivale. Cette dernière est fertile
et donne un fils. Survient le conflit inévitable : la vexation par la
rivale. L’épouse stérile en appelle à Dieu, qui lui donne un fils. Nous
retrouvons ce shéma dans l’histoire de Sara et celle de Rachel, pour ne
nommer que les plus connues. La soumission est indispensable à tout pouvoir
de l’un qui cherche à s’ériger sur l’autre. Cette idée de soumission sera
d’abord inculquée aux femmes. Puisque l’homme se donne le droit, par
l’intermédiaire d’un dieu maître de l’univers, de dominer la nature, il
dominera la femme, en l’associant à cette nature (regénérescence,
fertilité… ). Cette soumission est légitimée dès le début de la
Genèse par la faute imputée à Eve. L’obéissance est exigée d’Eve
sous le couvert de l’Arbre défendu, sous peine de mort, et par la suite, de
toutes les femmes. Sara, personnage valorisant la soumission des femmes,
aura droit au titre de « Mère d’Israël ». Soumise à l’homme, donc soumise à
la maternité. L’obéissance est la clé des lois patriarcales, celle qui sert
directement le pouvoir.
Tout désir sexuel n’est raconté que pour la procréation des fils qui
assureront la descendance. Car depuis l’avènement du patriarcat, la
descendance s’énumère en fonction de l’homme. La mère de Samson reçoit par
deux fois la visite d’un ange; il lui annonce qu’elle aura un fils qui
appartiendra à Dieu. Désormais, la matrice appartient à Dieu. De la femme
soumise à la maternité, la maternité devient asservie à la volonté de Dieu.
Quand Rachel se plaint à Jacob de n’avoir pas enfanté, il lui répond dans
un grand rire : « Suis-je Dieu pour… » Et la mère disparaît quand elle a
fini de jouer son rôle de mère.
La langue hébraïque ne s’écrit qu’avec les consonnes. Le lecteur doit
combler par les voyelles selon le sens qu’il comprend. On devine déjà les
problèmes qu’une telle écriture peut poser à la compréhension du texte.
Règle générale, le mot comprend trois consonnes. Ainsi, LBN suggère LaBaN,
frère de Rébecca, mais signifie aussi tout ce qui est blanc. LeBaNa, c’est
la pleine lune; LeBoNa, l’encens blanc. LeBaNon est la montagne blanche,
peut-être le Liban! Pour éviter les sens multiples, les rabbins ont rétabli
les voyelles par un système de points en-dessous ou au-dessus des
consonnes, prétendant respecter le texte consonantique. Ils ont ainsi figé
le sens; et c’est sur ce sens que se sont basées les traductions
subséquentes!
Le sexisme vient-il du texte lui-même ou des traductions traditionnelles
qu’on en a faites? Comment réécrire un texte comme celui qui condamne la
reine Vasti? L’emploi des termes génériques sera-t-il suffisant pour
redonner aux femmes la fierté de leur histoire? Faudra-t-il changer en
profondeur le contenu des textes? Sommes-nous légitimées pour le faire? A
la lumière des nouvelles recherches sur la langue et sur l’histoire, on
peut remettre en question ce texte fixé par les rabbins du temps.