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Mariage et union de fait des engagements différents

Le Conseil du statut de la femme dans son avis sur l’union de fait prend acte du pluralisme social actuel.

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Le Conseil du statut de la femme dans son avis sur l’union de fait prend acte du pluralisme social actuel. Il recommande que les gens soient mieux informés, que leur choix soit respecté et que l’État harmonise ses lois sociales dans un esprit d’équité. En un mot, le Conseil souhaite que l’union de fait reste… une union libre.

Qu’est-ce qu’une union de fait? Une union stable avec enfants? Un « mariage à l’essai »? L’association de deux personnes économiquement indépendantes, sans projet d’enfant? L’union de conjoints encore mariés, qui conservent des obligations envers des enfants issus d’un mariage antérieur? Réalité multiple, l’union de fait c’est un peu tout cela.

Pour une législation adaptée.

Un constat : l’union libre est en hausse. Plusieurs éléments l’expliquent : des facteurs psychosociaux comme le refus des conventions et de l’irréversible, la volonté de baser la réalité du couple davantage sur la relation affective; des facteurs juridiques qui, au fil des années, ont réduit l’écart entre l’union de fait et le mariage, notamment par la reconnaissance de droits égaux pour les enfants; enfin des facteurs économiques, dont la situation précaire des jeunes qui favorise la vie en union libre, et la possibilité pour un nombre sans cesse croissant de femmes d’être financièrement autonomes, ce qui permet d’envisager la vie en commun en dehors du mariage.

L’État doit-il assurer aux conjoints de fait les mêmes droits et obligations qu’aux époux? La législation actuelle est-elle bien adaptée?

Ces questions sont débattues depuis quelques années déjà. En 1979, l’Office de révision du Code civil du Québec proposait que l’union de fait soit clairement définie et qu’on impose certaines obligations aux partenaires. Ces recommandations n’ont pas fait l’unanimité : en 1980, dans sa réforme du droit de la famille, le législateur n’y a pas donné suite. En 1989, le gouvernement rendait public son Plan d’action en matière de politique familiale. Un des objectifs était de rendre uniformes les obligations et les responsabilités parentales dans les lois et les programmes gouvernementaux, et ce sans que l’état matrimonial des parents n’entre en ligne de compte. Par ailleurs, en décembre 1990, le ministère de la Justice déposait le projet de loi 125 sur la réforme du Code civil. Ce projet de loi ne contient pas de disposition susceptible de modifier la nature des liens des conjoints de fait.

Pour sa part, le Conseil du statut de la femme répond à ces questions en appuyant sa position sur les quatre principes suivants :

dans le cas des lois sociales, il est souhaitable d’assurer la neutralité de l’État à l’égard des choix individuels entre le mariage et l’union libre et de viser une plus grande cohérence de ces lois à l’endroit des partenaires de l’union de fait.

Ainsi le Conseil est en faveur de la non-intervention de l’État dans les rapports privés et pour le droit des personnes de conclure des ententes sur certains aspects de leur vie commune.

La liberté de choisir

L’union de fait et le mariage sont des engagements de nature différente. Dans le Code civil, le mariage est un acte public et officiel qui comporte des droits et des obligations. La solidarité affective est doublée d’une solidarité économique qui peut s’étendre au-delà de la rupture. Les conjoints de fait, eux, ne s’engagent l’un envers l’autre que dans la mesure où ils le veulent, et fixent eux-mêmes la portée de leur entente. Le mariage engage le présent et l’avenir, l’union libre se limite au présent.

La différence est fondamentale. Pour le Conseil, une société pluraliste doit préserver cette alternative. Ainsi, il serait difficile d’imposer aux individus des obligations qu’ils ont eux-mêmes écartées. Il serait notamment plus ou moins logique que les conjoints qui ont opté pour le « mariage à l’essai » soient traités comme des époux.

On peut présumer que la majorité des conjoints qui vivent en union libre l’ont pleinement décidé. Parfois, afin d’assurer sa protection économique, une conjointe de fait peut souhaiter se marier alors que son conjoint s’y refuse. Cette position, même si elle est légitime, ne peut à elle seule justifier le fait qu’on force une personne à s’engager malgré elle. Il faut bien se rendre compte que de nos jours, la sécurité économique s’obtient davantage par l’emploi que par le mariage.

Pour que la différence entre le mariage et l’union de fait soit respectée au nom de la liberté de choix des conjointes et des conjoints, le Conseil recommande : Que le Code civil s’abstienne de régir, par des règles particulières et automatiques, les rapports privés entre les partenaires en union libre et qu’il prévoie que ceux-ci puissent conclure des ententes sur certains aspects de leur vie commune.

Pour des choix éclairés et responsables

Les conjoints ne sont pas toujours parfaitement informés des droits et obligations associés au mariage et à l’union libre.

Ainsi, il faut savoir que les conjoints de fait ne deviennent jamais automatiquement des époux, quelle que soit la durée de leur vie à deux. Ils demeurent des « étrangers », légalement parlant, même si leurs devoirs envers leurs enfants sont les mêmes que ceux des gens mariés. Les conjoints doivent être conscients que certaines règles ne s’appliquent qu’en mariage : obligation de contribuer aux charges du ménage, solidarité des dettes pour les besoins du ménage, obligation alimentaire, patrimoine familial, droit d’hériter d’un conjoint décédé sans testament, etc. Le Conseil recommande donc : Que le ministère de la Justice fasse davantage connaître les droits et obligations qui s’appliquent en mariage et en union libre en vertu du Code civil.

Plusieurs conjoints de fait n’aiment pas recourir au contrat, parfois perçu comme la preuve d’un manque de confiance mutuelle. Pourtant, si les conjoints ne veillent pas à se protéger financièrement, il peut en résulter des injustices. Par mesure de prévention, le Conseil recommande : Que le ministère de la Justice fasse connaître les outils que les conjoints de fait peuvent utiliser pour aménager leurs rapports privés.

Ainsi ils sauront qu’ils peuvent, lorsqu’ils le désirent, rédiger des conventions de vie commune, effectuer des achats en copropriété et faire un testament en faveur de l’autre conjoint. Ils connaîtront mieux les règles qui s’appliquent à leurs relations d’affaires et leurs recours en cas de litige de même que l’obligation de subvenir aux besoins de leurs enfants.

Rappelons que la responsabilité des conjoints de fait à l’égard de leurs enfants est la même que celle des conjoints mariés. En cas de séparation, le Tribunal doit tenir compte, en fixant la pension qui sera accordée pour les enfants, des besoins de ces derniers, de la situation de chacun des parents et de leur capacité respective de payer.

Par ailleurs, il faudrait évaluer la possibilité d’accorder un droit d’occupation temporaire de la résidence familiale pour une durée déterminée au parent qui a la garde de l’enfant. Actuellement, seul le mariage accorde des droits quant au lieu de résidence.

Certains observateurs sont alarmés par la hausse des naissances hors mariage à cause d’impacts éventuels sur les enfants des conjoints de fait. C’est pourquoi ils demandent qu’il y ait présomption de paternité pour le conjoint de fait. Or, le pourcentage d’enfants n’ayant pas de père déclaré n’a pas augmenté malgré le plus grand nombre de naissances issues de parents non mariés. Il s’agit d’un phénomène peu répandu si on considère que chaque année, environ 5% des enfants naissent de père inconnu et que le père d’un enfant né hors mariage reconnaît généralement son enfant. Il serait également difficile d’établir une présomption de paternité si on tient compte que les conjoints de fait n’ont pas l’obligation de vivre ensemble et d’être fidèles l’un à l’autre. C’est pourquoi le Conseil recommande : Que la présomption de paternité continue de ne pas s’appliquer dans le cas des naissances hors mariage.

Assurer la neutralité de l’État

Si l’État s’abstient d’assimiler partenaires en union libre à époux dans le Code civil, il tend par contre à les traiter sur un pied d’égalité dans ses lois sociales : régimes de retraite, assurance automobile, sécurité du revenu. Le Conseil approuve cette position principalement parce que ces régimes jouent un rôle important dans la protection des personnes et qu’ils font appel à un financement collectif. C’est pourquoi par souci d’équité et de neutralité, le Conseil recommande : Que lorsque les lois sociales contiennent des dispositions basées sur la famille, les partenaires en union libre, qui correspondent à la définition retenue par chacune de ces lois, soient généralement traités de la même façon que les époux, et ce tant que dure la vie commune et lorsque survient un décès.

Ainsi, en restant neutre, l’État consent les mêmes avantages aux personnes, qu’elles soient mariées ou non.

Il en va cependant différemment au moment de la rupture. Les époux et les conjoints de fait ne sont alors pas considérés de la même façon par l’État. Le Conseil approuve qu’il en soit ainsi. Toutefois, lorsqu’il y a entente de vie commune, c’est-à-dire un contrat entre conjoints de fait, le Conseil estime que certains régimes devraient respecter davantage les dispositions prévues en cas de rupture.

Par exemple, le Conseil souhaiterait que si une le prévoit, l’État étudie la possibilité qu’un tribunal ordonne, à la demande d’un partenaire, un partage des crédits accumulés durant la vie commune dans le régime de rentes et dans les régimes complémentaires de retraite. Dans la Loi sur les régimes complémentaires de retraite, Il est prévu qu’un partage puisse être exercé si les deux conjoints de fait en font la demande par écrit au moment de la rupture ou dans les six mois qui suivent. Le Conseil souhaiterait, par souci de cohérence, qu’il en soit également ainsi dans la Loi sur le régime de rentes.

Pour les lois sociales cohérentes

Les lois sociales prennent de plus en plus appui sur la situation de vie effective : en règle générale, elles étendent aux conjoints de fait les mêmes droits et obligations qu’ont les époux. Cependant, les trois familles de lois (régimes d’assistance, régimes d’assurance, fiscalité) véhiculent chacune leur vision du terme « conjoint » qui n’est pas toujours parfaitement homogène d’une loi à l’autre. Dans les dispositions fiscales générales qui tiennent compte de l’existence d’un conjoint, le terme désigne exclusivement les époux. Dans les régimes d’assurance sociale, il désigne généralement les époux qui cohabitent, mais également les conjoints de fait après trois ans de vie commune, ou après un an s’il y a enfant. Enfin, dans les régimes d’assistance, la Loi sur les normes du travail et quelques dispositions fiscales, la définition est très englobante : certains programmes (Aide financière à la garde, Aide juridique) parlent de « conjoints » dès qu’il y a cohabitation, et d’autres (Soutien financier, APTE, APPORT), dès la cohabitation s’il y a enfant, sinon après un an.

Le Conseil souhaite une meilleure harmonisation entre les grandes familles de lois, en tenant compte toutefois de la nature différente des régimes et de l’objectif d’autonomie des personnes. Certaines distinctions semblent en effet justifiées. Par exemple, une reconnaissance plus hâtive des partenaires en union libre dans les régimes de retraite ne paraît pas souhaitable. A cause de la nature de ces régimes, qui accordent une rente au conjoint survivant, un arbitrage pourrait s’avérer nécessaire entre le conjoint de fait et le conjoint séparé de fait : une reconnaissance plus rapide risquerait de léser les droits d’un ex-conjoint. Par contre, une reconnaissance plus tardive d’un conjoint de fait dans les régimes d’assistance sociale lui accorderait un droit individuel à des prestations sans tenir compte du revenu de l’autre conjoint. Ces régimes pourraient être jugés discriminatoires par les époux qui sont tenus, pour leur part, au soutien mutuel. De plus, comme il s’agit de régimes de dernier recours, on pourrait les accuser de détourner de leurs fins des sommes importantes s’ils venaient en aide à des personnes qui, à cause de leur vie commune, ne sont pas effectivement dans le besoin. Cependant, les régimes d’assurance accident et invalidité pourraient reconnaître plus tôt les conjoints de fait. En effet, puisque la cohabitation est une condition essentielle d’application de ces régimes, cette reconnaissance ne porterait pas atteinte aux droits des ex-conjoints.

Le manque d’harmonisation entre certaines lois devient parfois une source d’incohérence et d’iniquité. Par exemple, la Loi sur la sécurité du revenu reconnaît aux conjoints de fait une obligation d’assistance alors que la Loi sur les impôts ne leur concède pas les droits et déductions qui en découlent. Ainsi, une conjointe de fait n’est plus admissible aux prestations d’aide sociale après un an de cohabitation parce que la loi suppose que son conjoint subvient à ses besoins. La Lois sur les impôts pour sa part ne reconnaît pas l’aide financière d’un conjoint de fait; en effet, ce dernier ne peut se prévaloir de la déduction de personne mariée.

Par ailleurs, le Conseil a toujours considéré important d’établir des mesures fiscales qui encouragent l’autonomie économique des femmes. C’est pourquoi il recommande : Que le crédit d’impôt pour personne mariée soit aboli et que le conjoint sans revenu, légal ou de fait, qui ne peut être admissible à titre personnel à des prestations de sécurité du revenu, ait droit à un crédit d’impôt remboursable.

Il serait par ailleurs essentiel que l’État fasse un effort d’uniformisation au sein même de chacune des grandes familles de lois. Par exemple, en l’absence d’enfant, la Loi sur la sécurité du revenu reconnaît les conjoints de fait après un an, et la Loi sur les services juridiques, dès la cohabitation. Toutes deux font pourtant partie des régimes d’assistance.

Enfin, au chapitre des lois sociales, le Conseil souhaite que l’information sur les droits et obligations des époux et des partenaires en union libre soit accessible à la population.

Qui vit en union libre?

Hier, le phénomène de l’union libre était marginal, voire clandestin. Mais les temps ont changé, et vite : un couple québécois sur douze vivait en union libre en 1981; en 1986, la proportion s’élevait à un sur huit, soit 188 660 couples. Au Québec, le pourcentage de couples non mariés est le plus élevé de toutes les provinces canadiennes.

Les jeunes optent davantage pour l’union de fait : sur l’ensemble des couples dont la conjointe a moins de 35 ans, un sur quatre n’est pas marié; cette proportion passe à un sur dix-huit lorsque la conjointe a 35 ans ou plus.

Les Québécoises en union libre sont, règle générale, plus jeunes que les épouses : plus de 70% ont moins de 35 ans. Elles font moins souvent partie de familles ayant des enfants (37% ). De plus lorsqu’elles ont des enfants, ces derniers sont en général plus jeunes que les enfants de couples mariés : dans 43% des cas, ils ont 5 ans ou moins. Les conjointes de fait de 25 à 44 ans sont également plus scolarisées que les épouses : près de 23% des 25 à 34 ans ont fait des études universitaires.

Les conjointes de fait possèdent une certaine autonomie économique puisque les trois quarts d’entre elles sont sur le marché du travail. Elles travaillent plus souvent à temps plein et disposent d’un revenu d’emploi moyen plus élevé que celui des épouses. Par ailleurs, environ 23 000 femmes (12% ) restent à la maison pour s’occuper des enfants.

Plus des deux tiers des conjoints de fait sont célibataires; à partir de 35 ans, les non-célibataires (divorcés, séparés, veufs) forment la majorité. L’union libre est souvent un prélude au mariage. Une enquête sur l’union libre menée par Statistique Canada en 1984 indique que le tiers des unions se sont terminées par une séparation après une moyenne de trois ans, les deux tiers conduisant à un mariage après un peu plus de deux ans.

« Le Conseil du statut de la femme est un organisme de consultation et d’étude créé en 1973. Il donne son avis sur tout sujet soumis à son analyse relativement à l’égalité et au respect des droits et du statut de la femme. L’Assemblée des membres du Conseil est composée de la présidente et de dix femmes provenant des associations féminines, des milieux universitaires, des groupes socio-économiques et des syndicats » .