Sur la rue d’Amours à Matane, une grande maison de trois étages, bourdonne d’activités : le magasin Les Chiffonnières vend des vêtements « préportés », l’atelier «
toutous », tabliers et mitaines matelassées; dans le garage attenant à la maison, une maître-imprimeuse fait tourner la presse de l’imprimerie L’Encrage, alors qu’au
centre de documentation, des femmes discutent du projet S’enrichir au lieu de s’appauvrir. Le Regroupement des femmes de la région de Matane est propriétaire
et principal occupant de la maison, mis à part les deux logements qu’il loue au troisième étage.
Créé en 1977, l’organisme oriente son action vers l’autonomie financière des femmes : les rendre aptes à occuper un emploi et créer de petites entreprises. En dépit d’une
situation économique lamentable dans la région-fort taux de chômage, coupures dans les services, pauvreté des femmes et des familles monoparentales, Micheline Laroche demande
à qui veut l’entendre : « A-t-on les moyens, en argent et en capital humain, de marginaliser ainsi une grande partie de la population? »
Selon la coordonnatrice du
Regroupement, les nombreux programmes de formation professionnelle offerts aux femmes de la région ne conviennent pas toujours en raison surtout de leur durée, soit deux ou
trois ans pour celles qui doivent d’abord obtenir un diplôme de 5e secondaire. Les femmes ont de la difficulté à faire garder les enfants pour une aussi longue
période et, de plus, elles ont besoin d’un revenu rapidement.
C’est à partir de l’analyse de cette réalité qu’est né le projet de l’imprimerie. En 1987, le Regroupement se fait offrir gratuitement une presse offset et une caméra
graphique par Opération Dignité, vaste mouvement de mobilisation populaire du Bas-Saint-Laurent. Apprenant qu’il y a 250 postes à combler dans l’industrie de l’imprimerie au
Québec, les femmes du Regroupement décident de se lancer dans l’aventure de l’imprimerie-école. Elles bâtissent un plan de cours en consultant le cégep Ahuntsic-le seul
établissement au Québec à donner une formation en imprimerie-, les imprimeurs de la place et les professeurs de photographie du cégep de Matane. Elles achètent un ordinateur,
des logiciels de montage, une imprimante à laser. Dans le garage aménagé, elles installent L’Encrage, une imprimerie où les deux premières étudiantes apprendront,
huit mois durant, le montage, la photolithographie, le pelliculage, le travail de pressière, bref tout ce qu’il faut pour devenir maîtres-imprimeuses. Les formateurs sont les
imprimeurs et professeurs du cégep qui font réaliser des travaux pratiques à partir de vrais contrats.
Quinze autres femmes sont maintenant prêtes à recevoir leur formation des deux nouvelles maîtres-imprimeuses. Mais avant de procéder, le Regroupement attend une réponse du
ministère de l’Éducation. Le dossier de l’imprimerie-école sort vraiment des normes et conditions établies en matière de formation professionnelle. Pour ces femmes de terrain,
percevant mal la logique des exigences et des contraintes du système d’enseignement, ce qui importe, c’est de soutenir les femmes dans leur besoin d’être moins dépendantes en
les formant et en leur donnant du travail à court terme. « Dans les centres femmes, on est souvent à contre-courant, explique Micheline Laroche, mais on ne lâchera pas. Les
femmes que nous formerons en imprimerie ne seront pas pénalisées. »
Entre temps, l’imprimerie fonctionne, recrutant sa principale clientèle chez les organismes à but non
lucratif.
Le projet S’enrichir au lieu de s’appauvrir, lancé l’automne dernier, veut habiliter les femmes des villages de la région à créer leur propre emploi en fonction de
leurs intérêts et de leurs compétences. Parmi les seize petits villages s’étendant de Baie-des-Sables à Les Méchins, on en a sélectionné trois pour donner de l’information
préalable aux femmes intéressées. Lorsque des projets concrets naîtront, des personnes-ressources offriront des services de formation et de gestion pour le démarrage de
petites entreprises et commerces. « Mais nous nous assurons que ces personnes adapteront leur contenu à cette clientèle spécifique, ajoute Micheline Laroche. Notre démarche
est avant tout féministe. »