Hélène est paraplégique. Elle a quitté un conjoint que l’alcool rendait violent et habite maintenant seule une résidence adaptée. « Je commençais à peine à me remettre
de cette séparation, raconte-t-elle, lorsque mon préposé de soins à domicile a commencé à devenir de plus en plus familier et à me tenir des propos « cochons ». J’ai été
prise de panique. Dans mon enfance, j’ai été violée par mon frère et mon père. Ma mère ne m’a pas crue et m’a même battue pour que je cesse de « mentir ». Il a fallu qu’elle
surprenne mon père « à l’œuvre » pour que cela cesse. Mais on dirait qu’elle m’en a toujours voulu comme si j’avais été responsable de sa séparation. Les attouchements du
préposé faisaient remonter toute cette angoisse et aussi le souvenir de la brutalité de mon ex-chum. Dénoncer cet homme au CLSC? Je m’en faisais un drame. Je savais que d’autres femmes handicapées avaient été privées d’aide à domicile à la suite
d’une plainte contre leur préposé. Heureusement, une femme de ma résidence a fait les démarches pour moi. J’ai eu un autre préposé bien correct. Mais je reste sur la
défensive… »
Un tel témoignage laisse incrédule. On imagine mal que la violence puisse s’exercer à l’égard des femmes handicapées. Et pourtant…
« Ne nous a-t-on pas dit et répété que le désir n’était provoqué que par des femmes excitantes et que les handicapées ne pouvaient l’être? »
, explique Linda Blais
du
Collectif Femme et handicap de la ville de Québec. Nous n’avons aucune crédibilité. On nous « asexue » pour mieux ignorer les agressions sexuelles que nous
subissons. Peu de gens savent que les enfants et les femmes handicapées sont deux fois plus victimes de violence physique que les autres… . .
Une étude réalisée en Ontario par le
Réseau d’action des femmes handicapées (
RAFH) du Canada le démontre amplement : chez les Canadiennes, 67% des handicapées ont
subi des abus physiques commis par leurs mères, pères, frères, professeurs, préposés aux soins (contre 33% des femmes non handicapées) et 50% ont subi des abus sexuels des
membres masculins de leur entourage pendant leur enfance et leur jeunesse. La violence familiale et l’inceste éclatent ici dans toute leur ampleur, s’exerçant sur des êtres
placés dans des situations de dépendance qui semblent déclencher l’agressivité et la perversité de leurs proches.
« J’ai entendu dire, ajoute Linda Blais, que les primates supérieurs aussi maltraitent leurs petits malformés… C’est une forme de rejet qui est aussi générateur de
déficiences : 10% des femmes handicapées le sont devenues des suites de mauvais traitements physiques dans leur enfance. Sur le plan de la violence conjugale, poursuit Linda
Blais, le mécanisme est diabolique. On nous a tellement dit qu’on n’était pas faites pour l’amour qu’on s’attache au premier venu et qu’on s’y accroche même s’il nous rudoie.
On a tellement peur qu’il n’y en ait plus d’autre! Et on tombe souvent sur des gars à problèmes d’alcool ou de drogue, ce qui n’arrange rien. »
Aussi y a-t-il peu de plaintes déposées. Diane Lemieux, coordonnatrice du Regroupement québécois des Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel
(
CALACS), siège à la Commission d’enquête fédérale sur la violence faite aux femmes, dont le rapport devrait être déposé en décembre 1992.
« Il y a 3600 plaintes
annuellement au Canada. A la Commission, explique-t-elle, on évalue que seulement un cinquième des femmes victimes de violence physique ou sexuelle portent plainte. La plupart
des conjoints violents ou des pères incestueux isolent leur femme ou leur fille pour éviter la dénonciation. Le handicap renforce cet isolement. Le premier pas vers l’accès
aux ressources d’aide en est entravé. »
Quelles ressources?
Nicole Ladouceur, intervenante au
CALACS de Châteauguay, le constate aussi :
« Il y a un an nous avons fait un tour de table sur les demandes peu fréquentes
qui nous proviennent de femmes handicapées. Nous avons contacté des associations de personnes handicapées pour nous rendre compte qu’elles-mêmes n’étaient pas très
sensibilisées à cette problématique. L’an prochain, notre priorité sera de transmettre l’information sur les ressources existantes. »
La grande difficulté est d’atteindre ces femmes isolées non seulement par leur environnement ou un milieu humain hostile, mais par des déficiences qui entravent leur accès
à l’information écrite-pour celles qui ont des limitations motrices, visuelles ou intellectuelles-ou à l’information radiophonique, télévisée ou téléphonique-si elles ont des
limitations auditives ou intellectuelles.
Camille Dubuc, directrice de la ligne S. O. S. Violence conjugale, dit ne pas recevoir beaucoup d’appels de femmes handicapées :
« Pourtant, nous avons fait beaucoup de
publicité, en 1987, lors du lancement de la ligne d’urgence, dans l’envoi des chèques d’allocation familiale et par les médias. Cette année, nous nous sommes occupées de deux
femmes atteintes de paralysie cérébrale et d’une autre de cécité partielle. Nous n’avons pas eu d’appels de femmes en fauteuil roulant. Sans doute savent-elles qu’il n’y a pas
de ressources pour elles et n’appellent-elles pas pour cette raison? »
S. O. S. Violence conjugale n’a pas de système
ATS pour recevoir les communications des femmes sourdes.
« Cela demanderait, outre l’appareil spécial, une
autre ligne et une autre téléphoniste : nous n’avons pas le budget nécessaire. Nous avons fait des démarches auprès du ministère de la Justice, qui nous subventionne, mais en
vain. Par contre, les femmes malentendantes peuvent appeler Bell qui nous transmet les demandes. »
A la Fédération des ressources d’hébergement pour femmes victimes de violence, la présidente, Patricia Rossi, constate elle aussi que les femmes handicapées appellent
rarement.
« Nos maisons sont mal ou pas du tout adaptées. Nos ressources en hébergement sont très faiblement subventionnées. L’adaptation architecturale coûte cher et nous
n’avons pas les moyens de faire ces travaux. Cependant, si on nous réfère des femmes handicapées, nous essayons de les placer dans les maisons qui sont les plus adaptées à
leurs besoins. »
En avril 1992 s’est tenu à Vancouver un congrès du
Réseau d’action des femmes handicapées du Canada, où cette question du manque de services spécifiques aux femmes
handicapées a été plus particulièrement cernée. Mais déjà en 1990, le
RAFH avait publié un gros manuel sur l’accessibilité aux maisons de transition et
d’hébergement,
A la rencontre de nos besoins, qui explique clairement le problème et les façons de le résoudre.
Maria Barile, coprésidente d’
Action des femmes handicapées de Montréal, en veut beaucoup à l’Office des personnes handicapées du Québec (
OPHQ).
«
Lorsque la politique d’ensemble A part égale a été élaborée et mise en place (entre 1985 et 1988), nous avions réclamé que la problématique des femmes soit
considérée, mais personne n’a accepté. Ainsi, on nous refuse des subventions pour faire adapter des maisons d’hébergement. De temps à autre, on nous donne un petit 1000 $ pour
publier un dépliant, c’est tout. Pour moi. un organisme gouvernemental qui ne veut pas tenir compte de cette situation spécifique commet une grave injustice. Tout le monde se
renvoie la balle. »
Reconnaissant implicitement la chose, le président de l’
OPHQ ne peut répondre à nos questions et son
conseiller juridique, Benoît Coulombe, admet que la situation des femmes handicapées
« est peut-être un peu plus pointue que les autres, mais n’est pas distincte de celle
des personnes handicapées dans leur ensemble. »
La seule intervention qu’il puisse nous signaler, c’est l’exposé de l’ Office des personnes handicapées du Québec, au
Sommet de la Justice, sur les difficultés que rencontrent les personnes handicapées face au système pénal :
« On sait qu’elles se heurtent à un manque de sensibilisation et
de connaissances à leur égard, donc à un manque d’adaptation à leurs besoins. Elles bénéficieront des recommandations que l’ Office des personnes handicapées du Québec a
présentées au Sommet. »
Muriel Larivière, conseillère en ressources à l’Office, illustre la méconnaissance que la « Justice » peut avoir des femmes handicapées :
« J’ai dirigé il y a quelques
années un projet de réinsertion sociale de détenus qui, au cours de leur dernière année de détention, faisaient des travaux communautaires. Le Centre Champagneur de
réadaptation en avait embauché quelques-uns pour donner des services à des étudiantes handicapées. Quelques semaines plus tard, des jeunes femmes arrivent en larmes. Elles
expliquent que l’un d’entre eux s’était introduit chez elles pour soi-disant les aider à faire leurs courses ou leur rangement et avait fini par se mettre au lit avec elles et
plus tard, vider leur compte en banque. « Malheureusement, ce programme existe encore : il procure une main-d’œuvre bon marché là où on manque cruellement de ressources »
, déplore Muriel Larivière. Ainsi, les femmes ne sont pas davantage à l’abri dans les institutions. Maria Barile signale maints témoignages de victimes d’abus sexuels ou
d’agressions verbales ou physiques de médecins, infirmiers ou préposés aux soins.
Agression sexuelle, abus de confiance, manipulation, c’est le lot de plusieurs femmes handicapées, enfants ou adultes, chez elles, dans les institutions, les résidences
adaptées, les transports adaptés,
« plus particulièrement, dit Muriel Larivière, si elles ont des troubles de parole ou d’élocution. Le chauffeur se fie sans doute à leur
difficulté d’appeler à l’aide. »
Pour les femmes handicapées, la part est loin d’être égale. Et ce n’est pas qu’une question de gros sous.
Rampes d’accès, salles de bains aménagées, portes et couloirs plus larges, poignées de portes et robinetterie en bec-de-cane, alarmes d’incendie visuelles. Cela suppose
aussi qu’il y ait du personnel spécialisé et une personne qui puisse traduire en langage gestuel pour les malentendantes. D’après Maria Barile, il en coûterait 25 000 $ par
maison.
Isolées mais déterminées
« L’histoire de la Côte-Nord, c’est celle de quelques grandes villes construites par des grandes entreprises, des villes construites par des hommes pour les hommes. Les
femmes sont venues s’y installer plus tard. »
Guylaine Levesque, du centre de femmes
L’Étincelle de Baie-Comeau, décrit ainsi la deuxième plus grande région du
Québec. Une région où 89% des emplois sont concentrés dans moins de dix établissements reliés surtout à l’exploitation des ressources naturelles. Une région isolée où vivent
des femmes isolées sur 1 300 kilomètres de littoral, entre Tadoussac et Blanc-Sablon auxquelles s’ajoutent les villes nordiques de Fermont et de Schefferville.
« A cause de
ce double isolement, souligne Guylaine Lévesque, les femmes sont très solidaires et déterminées. »
Selon des statistiques de 1986 compilées par Françoise Richard du
Conseil du statut de la femme, les Nord-côtières étaient peu nombreuses dans les secteurs économiquement forts de la région tels l’extraction et la transformation des
ressources primaires, la construction et le transport. Elles étaient davantage touchées par le chômage que les autres Québécoises et leur revenu représentait 55% de celui des
hommes de la région. Cependant, même s’il n’y a toujours pas d’université autonome sur la Côte-Nord, les femmes sont plus nombreuses à détenir un diplôme universitaire que les
hommes, soit 46, 5% contre 44, 6% .
Ces dernières années cependant, virage important pour l’avenir des femmes de la Côte-Nord : trois grandes entreprises leur ouvrent leurs portes. La Société canadienne des
métaux Reynolds embauche 55 femmes dans des emplois non traditionnels; des 14 électriciennes nouvellement formées, 7 décrochent un emploi et 7 sont sur appel à Hydro-Québec et
l’aluminerie Alouette engage des femmes à la nouvelle usine de Sept-Iles.
« Avec ces quelques percées, souligne Micheline Simard du Centre Émersion, organisme de
réintégration au travail, on espère que les prochaines statistiques indiqueront que les femmes commencent à prendre leur place dans les secteurs d’emplois les mieux rémunérés.
»
Au nord du Nord
A l’image de leur région, les femmes cries, inuit et non autochtones du Nord-du-Québec, quant à elles, se démarquent fortement. Il y a davantage de jeunes (60, 7% ont entre
15 et 34 ans comparativement à 42, 9% dans l’ensemble du Québec) et peu de 55 ans et plus (9, 1% contre 25, 1% ). Par rapport aux taux du Québec, on y trouve plus de femmes
mariées (10% de plus), plus de conjointes ayant des enfants (16% de plus) et aussi beaucoup moins de veuves, de divorcées et de femmes séparées.
Les femmes de cette région, qui englobe les territoires de la Baie James et de Kativik, participent moins à la main d’œuvre que l’ensemble des Québécoises (42, 8% contre
51, 3% ). Elles travaillent en plus grand nombre dans les écoles primaires et secondaires, les hôpitaux, la restauration, l’administration publique et les magasins de
marchandises diverses.