Aller directement au contenu

La détectrice d’illusion

La caméra de Sophie Bissonnette démasque les reculs importants des femmes dans certains milieux de travail.

Date de publication :

Auteur路e :

La caméra de Sophie Bissonnette démasque les reculs importants des femmes dans certains milieux de travail. « L’opinion publique tient l’égalité des femmes pour acquise, déplore Sophie Bissonnette. On entend souvent dire : « Bon, les femmes, vous avez eu votre tour, maintenant, c’est celui des minorités visibles, des Autochtones et des handicapés. » Les médias relèvent des cas isolés de « discrimination inverse » -que vivent des hommes-et parlent moins de la discrimination à l’égard des femmes. » Dans son dernier documentaire, Le plafond de verre, Sophie Bissonnette a voulu vérifier la situation actuelle des femmes sur le marché du travail, mesurer l’impact concret des programmes d’accès à l’égalité et identifier les obstacles qui entravent encore la route. Cinq femmes d’horizons très différents témoignent. Catherine est secrétaire, Luce, gestionnaire dans la fonction publique, Nicole est directrice de la création dans une agence de publicité, Marie s’est recyclée en électronique et Aline travaillait en usine dans le secteur du meuble. « Au cours de la recherche, commente la réalisatrice, nous avons été étonnées de constater à quel point les choses n’ont pas beaucoup évolué et comment les femmes subissent même des reculs importants dans certains milieux. » Aline, par exemple, était entrée dans une usine de fabrication de meubles à la faveur du programme qui oblige les entreprises sous contrat avec le fédéral à employer une certaine proportion de femmes. Mais la crise économique a fait très mal. Et Aline, qui était une des seules femmes encore en poste dans ce secteur au moment du tournage, a quitté depuis son emploi faute de soutien après une mise à pied temporaire d’un an et une fusion d’entreprises. « Beaucoup de femmes qui ont essayé seules d’entrer dans les métiers non traditionnels n’ont pas tenu le coup parce qu’elles se heurtaient à une résistance terrible, a constaté Sophie Bissonnette. L’arrivée simultanée de plusieurs femmes dans un milieu de travail facilite les choses, parce qu’elle crée un effet de groupe. » La réalisatrice souhaite que son film suscite réflexions et discussions. Car au-delà des progrès réalisés par certaines femmes sur le marché du travail, il faut se demander si elles parviendront à rester en poste et si leur présence demeurera un fait isolé ou provoquera un effet d’entraînement. Avec le témoignage d’une jeune femme atteinte d’un burn-out après la naissance de son enfant, la cinéaste veut remettre en question le mythe de la « superfemme » qui parvient à concilier sans difficulté tous les aspects de sa vie. A l’emploi d’une agence de publicité un secteur qui nécessite une totale disponibilité, Nicole s’est retrouvée totalement épuisée, prête à tout remettre en cause. « Je voulais que ni mon enfant, ni mon chum, ni mes clients ne souffrent de mes multiples responsabilités, confie-t-elle à la caméra. J’avais oublié que moi je pouvais en souffrir. » « Il ne suffit pas d’accéder à des emplois traditionnellement masculins, conclut la réalisatrice, encore faut-il parvenir à changer la structure du marché du travail, qui fonctionne encore selon le vieux modèle homme pourvoyeur-femme à la maison, pour le rendre vivable pour nous. » Sophie Bissonnette a déjà à son actif plusieurs documentaires engagés. Une histoire de femmes, une coréalisation tournée pendant la grève des travailleurs de l’International Nickel Company, à Sudbury, s’intéresse à la participation des femmes à ce conflit de travail. Quel numéro what number? examine l’impact des nouvelles technologies sur les conditions de travail des caissières, téléphonistes, secrétaires. L’amour… à quel prix? porte sur la « féminisation de la pauvreté » et Des lumières dans la grande noirceur donne la parole à la militante Léa Roback, féministe, pacifiste et syndicaliste de la première heure. En promenant depuis quinze ans sa caméra sur la vie de femmes, la réalisatrice a constaté que certaines étapes ont été irrémédiablement franchies. A ses yeux, si beaucoup de chemin reste à parcourir, la prise de parole fait désormais partie des acquis. « Une fois que l’on a vu le monde en tant que femme, observe-t-elle, il se produit un processus irréversible. Après, on ne peut plus analyser les choses et les voir autrement qu’avec ces lunettes-là. »