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Au coeur de la violence des villes américaines l’itinéraire de Mère Courage

Dans certains quartiers des grandes villes américaines, les jeunes s’entre-tuent dans des proportions alarmantes, et souvent, pour des broutilles. Les enfants vivent dans la peur d’être atteints d’une balle perdue.

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Dans certains quartiers des grandes villes américaines, les jeunes s’entre-tuent dans des proportions alarmantes, et souvent, pour des broutilles. Les enfants vivent dans la peur d’être atteints d’une balle perdue. Des guerres de gangs se livrent ouvertement pour le trafic de la drogue. Un groupe de mères de Détroit, qui n’en peut plus de pleurer ses morts, a décidé de prendre les choses en main.

Le 25 janvier 1993, Darnell Byrd, âgé de 16 ans, empruntait pour la dernière fois le chemin de l’école. Son blouson de cuir avait suscité la convoitise de deux jeunes de son âge. La rencontre fut fatale. Darnell est mort sous les balles d’un revolver.

Depuis que son fils a été tué, comme Darnell, à l’âge de 16 ans, Clémentine Barfield consacre sa vie à lutter contre l’escalade de la violence. En 1987, elle fondait SOSAD, « Save Our Sons And Daughters » (Sauvons nos fils et nos filles), une association qui compte aujourd’hui 450 membres, dont la plupart sont des femmes. « Après la mort de Derick, raconte Clémentine, je voulais empêcher que d’autres jeunes meurent pour rien et que d’autres mères traversent une telle épreuve » .

En se remémorant ces événements dramatiques, Mme Barfield demeure sereine. Cette femme courageuse dégage une grande force intérieure. Née avec des moyens modestes, l’association qu’elle a fondée détient maintenant une grande crédibilité. Dans son bureau de Détroit, on peut voir des photos qui illustrent les rencontres de Clémentine avec des personnalités prestigieuses. Sur un cliché, on l’aperçoit serrant la main de l’ex-président Reagan.

Un problème de société

Quatre-vingt-trois personnes, en majorité des mères qui avaient perdu un enfant, ont répondu au premier appel de Mme Barfield. « Au début, nous ressentions toutes l’urgence d’agir, mais nous ne savions pas comment » , raconte-t-elle. Ensemble, elles ont opté pour le travail de prévention.

Aux États-Unis, non seulement l’usage de la force est-il valorisé, mais c’est souvent le seul modèle de comportement connu des enfants. Nous sommes tous familiers avec les « héros » du cinéma qui pulvérisent leurs adversaires par la force. « Même le président américain cautionne l’usage de la violence, affirme Rosemary McGhee, coordonnatrice des programmes à SOSAD. En lançant son célèbre Make my day lors de la guerre contre l’Irak, l’ex-président Bush adressait un message très clair à la jeunesse : « si nous voulons régler le problème, allons-y et bombardons le pays! » D’ailleurs, cette expression est devenue très populaire chez les enfants ».

Le problème de la violence atteint son paroxysme auprès des jeunes qui ont peu de chance de réussir socialement. Dans l’entourage des enfants des ghettos, le seul exemple de « réussite » est le vendeur de drogue, la personne la plus riche du quartier. Mais cette voie conduit généralement aux guerres de gang. « Les jeunes auraient besoin d’être encouragés à apprendre un métier ou à créer leurs propres emplois » , explique Mme McGhee.

Même les mineurs peuvent se procurer un fusil sans difficultés. « Tous les jours, des jeunes apportent des armes à l’école, raconte David, un élève du secondaire. Les détecteurs de métal ne donnent rien. Le signal d’alarme s’active, mais les jeunes passent leur chemin » . C’est pourquoi SOSAD est engagé dans une campagne en faveur du contrôle de la vente des armes à feu. L’organisme critique les groupes comme la National Rifle Association qui en font la promotion. « Ces gens nient le problème de la violence », affirme Rosemary McGhee.

Les forces de l’ordre feraient-elles, elles aussi, partie du problème? En tout cas, les jeunes apprennent très tôt à se méfier de la police. Une mère de quatre enfants, Mary Johnson, a vécu une expérience pénible. « Un jour, des agents de police ont battu mon fils Michael sans raison. Je me suis rendue au poste pour porter plainte. A partir de ce moment, les policiers se sont mis à le harceler chaque fois qu’ils le voyaient. Maintenant, tout ce que je veux, c’est sensibiliser les gens à cette réalité » .

Laissés à eux-mêmes, les enfants sont mal outillés pour résoudre les conflits qui surgissent. Souvent, ils ne maîtrisent pas assez le langage pour régler une crise sans brutalité. Les membres de SOSAD ont décidé d’agir directement auprès des jeunes en les rencontrant dans leur milieu scolaire. Par des jeux de rôles, on les initie aux principes de la non-violence. Les enfants apprennent ainsi à mieux gérer leurs sentiments normaux. comme l’agressivité et la colère. Ces interventions diminuent les risques de voir une dispute banale dégénérer en affrontement meurtrier.

Les membres de SOSAD organisent aussi des groupes de discussion qui mettent en contact de jeunes criminels et des gens dont la vie a été bouleversée par la mort d’un proche. « On veut donner un visage aux conséquences de la violence » , soutient Rosemary McGhee. En écoutant les témoignages, les contrevenants prennent conscience de la souffrance qu’ils ont pu provoquer. Au cours de leurs échanges, on découvre que les criminels ont souvent connu eux aussi la mort d’un parent ou d’un ami : « Pour ma famille aussi, c’était horrible lorsque mon frère est mort », reconnaissent-ils.

Femmes pour la paix

Après l’affaire Rodney King, qui avait soulevé l’indignation du monde entier, Malice Green, un autre automobiliste, a été sévèrement battu par des policiers. Seulement, cette fois, il n’y avait pas de caméra pour filmer la scène. Et contrairement à King, Malice Green n’a pas survécu à ses blessures. « Le lendemain de sa mort, la communauté entière s’est soulevée pour demander que justice soit faite, raconte Alice Jennings, membre de SOSAD. Des rassemblements et des marches contre la violence ont été spontanément organisés. La mort de Malice Green aura permis à la population de se rallier contre la violence policière. Maintenant, nous devons continuer notre mobilisation » .

« Si nous voulons redonner l’espoir à nos enfants, poursuit Alice Jennings, nous devons reprendre possession de nos quartiers. Plutôt que de nous camoufler derrière nos portes et fenêtres, nous devons sortir et exiger la fermeture des « piqueries » . Nous devons apporter notre appui à celles et ceux qui ont un problème de drogue. Chaque fois qu’un de nos enfants est tué, nous devons prendre la rue et protester ».

La fondatrice de SOSAD, Clémentine Barfield, pense que le travail accompli ne demeure qu’un premier pas : « Autrefois, nous étions isolées. Maintenant, nous créons des liens avec les femmes et les hommes qui partagent nos préoccupations. Mais le problème ne sera résolu qu’à travers une transformation globale de la société. Si nous, les femmes et les mères n’agissons pas, qui le fera? »