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Les féministes ont-elles trouvé?

Quand le thème proposé par le Conseil du statut de la femme pour le 8 mars 1994 a été connu, il y a eu de la surprise dans les groupes de femmes.

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Quand le thème proposé par le Conseil du statut de la femme pour le 8 mars 1994 a été connu, il y a eu de la surprise dans les groupes de femmes. « Féministes cherchent partenaires… pour changer le monde », fiou, quel programme!!! Le monde est bien vaste, le féminisme n’est plus à la mode et quant aux partenaires-les hommes-, que viennent-ils faire tout à coup dans la Journée internationale des femmes?

On se méfiait et on se creusait la tête : qu’allait-on pouvoir tirer d’un thème pareil? Bah, faisons au moins venir la documentation : affiche, brochures, textes et sondage sur le féminisme… Et ce fut l’explosion. « C’est parti tranquillement et tout à coup ça a débouché, raconte Micheline Lapointe, du Service de la diffusion du CSF. Il a fallu aller en réimpression pour le sondage, limiter le nombre de textes envoyés, distribuer toutes nos affiches… »

Résultat : le thème a remporté un succès fou, comme on n’avait pas vu encore de mémoire de femmes au CSF. Pas seulement parce que le matériel de la Journée internationale s’est envolé comme des petits pains chauds et était encore en demande après la fête, pas seulement parce que les activités du 8 mars centrées sur le thème ont soulevé l’enthousiasme, mais parce que même après, les commentaires ont continué d’affluer, de femmes ravies, prêtes à recommencer. Pourquoi donc cet engouement? Eh bien, parce qu’il était temps au fond de sortir le féminisme des boules à mites; et puis parce qu’on a terriblement envie que les hommes, nos hommes, se joignent à nous, à nos joies, nos problèmes, nos espoirs; et parce que le monde, ma foi, quand on y va à petits pas, est peut-être bien moins immense qu’on pense… « C’est comme si on était tombées à point nommé! », résume Diane Guilbault, du CSF. Et comme si, dans toutes ces raisons, chacune y avait trouvé son compte.

Ces fameux partenaires

Les syndiquées de Vidéotron, en banlieue de Montréal, en sont un bon exemple. Elles, c’est le mot « féministe » qui les faisait tiquer. Mais le thème néanmoins les accrochait, à cause de l’appel au partenaire qui ne tournait pas à la bataille, mais à l’harmonie. Alors elles ont choisi de contourner la difficulté : on garde le thème, mais on remplace « féministes » par « femmes » et on greffe là-dessus une idée pas compliquée pour souligner la journée. Le Comité de condition féminine (local 2070) du Syndicat canadien de la fonction publique a distribué des faire-part invitant le personnel à célébrer le 8 mars comme une noce, « une union de cœur et de raison » pour « changer le monde ».

« Vous êtes cordialement invités à faire de même », concluait le faire-part. A l’endos étaient brochés deux petits chocolats représentant un garçon et une fille. C’était tout, c’était simple, et « tout le monde a capoté tellement on a trouvé que c’était une bonne idée » , remarque Micheline Régimbald, encore fière de son coup.

Au Centre des femmes de Charlevoix, on avait aussi des réticences, « pas à cause du féminisme, que non! mais de ce fameux « partenaires ». Alors, on a gardé le thème, mais on a organisé des discussions strictement entre femmes et strictement sur leur quotidien ». C’est ainsi que le 8 mars dernier, dans la région, une centaine de femmes sont « parties en voyage », se livrant à des recherches archéologiques de l’Homme rêvé, soupant à bord d’un pseudo-avion et atterrissant finalement dans quatre mondes différents : relations amoureuses, colère, plaisir et famille. Les débats étaient lancés. « Les femmes ont énormément apprécié de pouvoir se parler, note la coordonnatrice Diane Mailloux. Pour la première fois, on a senti que ça répondait à un besoin, peut-être parce que les temps sont si durs pour tous. Elles se sont livrées de façon très personnelle, sur des problèmes de violence par exemple. Même nos animatrices-heureusement bien formées-n’avaient pas prévu le coup » .

En Gaspésie, le thème a plutôt soulevé l’enthousiasme : le féminisme, les hommes, le monde… La fête quoi! C’est du moins le message que Marie-Thérèse Forest, de Femmes en mouvement à Bonaventure, y a lu. « On a décidé de se servir du thème pour réhabiliter le féminisme, ça a fini par être une vraie célébration! » Les 100 participantes, de 20 à 82 ans, ont donc assisté à un sketch parodiant les clichés sur le féminisme, qui a conduit à une discussion, puis au sondage du CSF, puis à un jeu des souvenirs, puis à un spectacle. « Au bout de la soirée, on a eu énormément de commentaires positifs. « Dans le fond, je suis féministe », nous disaient les femmes. Notre ode au féminisme avait réussi », se réjouit encore Marie-Thérèse Forest.

Mieux encore, lors du dîner mensuel du groupe, quelques jours auparavant, des hommes avaient été invités. Quatre sont venus, entourés d’une dizaine de femmes. « Ce fut très sympathique. Les gars qui étaient présents veulent maintenant écrire un article dans notre bulletin pour dénoncer la violence faite aux femmes… Et ça, c’est une très bonne façon de démythifier le féminisme » , lance l’organisatrice.

Nombreuses aussi ont été celles qui ont profité du thème pour se lancer dans la mixité. Le 8 mars, Françoise Richard, du bureau du CSF sur la Côte-Nord, s’est promenée du déjeuner à la soirée pour donner des conférences en milieu hospitalier, étudiant, syndical comptant à chaque fois une dizaine de gars dans son auditoire. « Le thème a été une occasion pour les femmes de dire qu’elles veulent prendre leur place : il a permis des prises de conscience très concrètes. Les femmes étaient contentes aussi de la présence des gars, car après tout, elles vivent et travaillent avec eux ».

Pourvu que ça dure!

Jocelyne Boudreau, du Comité de condition féminine d’Hydro-Québec à Chicoutimi, a dû elle-même mettre un terme à la soirée qu’elle avait organisée : « On y serait encore sinon! » La trentaine de personnes, dont six hommes, qui ont participé à son souper-discussion, avec la gardienne payée par l’employeur, ont à ce point apprécié parler amour, famille, travail, qu’ils ont poursuivi le débat le lendemain dans les corridors, et ont réclamé une suite. Un brunch-conférence a donc eu lieu à la fin avril.

La présence des hommes-« plus ouverts qu’on pense », comme dit Jocelyne Boudreau-semble avoir été un facteur déterminant dans la popularité de l’événement. Une évolution que constate aussi Lucette Proulx-Sammut. Auteure de deux livres sur la ménopause et l’andropause, elle donne beaucoup de conférences où les hommes commencent à pointer le bout du nez. « Moi qui pensais, comme bien d’autres, que les hommes de 50 ans ne peuvent pas changer, je constate au contraire qu’ils ont l’air de trouver le cheminement des femmes intéressant et qu’il y a une certaine ouverture pour apprivoiser à deux les années qui reste », dit-elle en soulignant que le thème du CSF nourrissait sa réflexion.

Emballée par le thème, Françoise David, de la Fédération des femmes du Québec, a pour sa part décidé qu’il devait servir bien plus largement que pour le 8 mars. Dans l’allocution de clôture qu’elle prononçait le 12 mars dernier à Montréal devant le Forum de la solidarité sociale qu’elle coprésidait, elle a parlé spécifiquement du thème, des femmes, de leurs besoins. « J’ai étendu cette solidarité dont on avait parlé toute la journée aux relations hommes-femmes parce que je pense qu’on en est rendu là. Les femmes ne peuvent plus changer le monde toutes seules » .

Elle a donc conclu son laïus par un vivifiant : « Avons-nous des partenaire dans la salle qui ont envie, avec nous, de changer le monde? » Ce fut l’ovation debout de la part du millier de personnes présentes : les femmes d’abord, les gars qui suivent. Pas de huées, que des applaudissements frénétiques.

Le 8 mars dans les syndicats

A la FTQ, on a proposé aux « championnes du patinage de vitesse » que sont les travailleuses de souffler un brin sous le thème « Arrêtons de courir! Pour une meilleure qualité de vie au travail et ailleurs » . Un slogan qui a été extrêmement bien reçu et pour lequel, pour une première fois, on a dû procéder à la réimpression de matériel. Théâtre, sketch, souper, « 5 à 7 », parfois avec des hommes, plus souvent sans, ont été à l’honneur dans des centaines de milieux de travail où les femmes ont discuté de leur course perpétuelle pour arriver à « concilier l’inconciliable ». Épuisées les femmes, mais contentes pour une fois d’avoir le temps d’en parler!

L’intersyndicale, qui regroupe notamment la CEQ, la FIIQ, la CSD et les syndicats de la fonction publique québécoise, a axé le 8 mars sur « Les choix politiques : des attaques aux droits des femmes » . La détérioration des conditions de travail y occupait une place de choix. Une pilule amère qu’on a souvent fait avaler par l’humour, le théâtre et le jeu avant de passer aux discussions sérieuses.

A la CSN, le thème « Attention… femmes au travail » a permis la tenue de tables rondes et de conférences. A Québec, la rencontre a beaucoup porté sur le désengagement de l’État alors qu’à Montréal, un tabloïd a été produit dans lequel les témoignages de travailleuses de différents milieux étaient à l’honneur.