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Que serait l’école sans les mères?

A défaut de pouvoir compter sur un système d’éducation plus généreux, les écoles sollicitent de plus en plus souvent les mères pour y «bénévoler».

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Article non sign茅

A défaut de pouvoir compter sur un système d’éducation plus généreux, les écoles sollicitent de plus en plus souvent les mères pour y « bénévoler ». Réunion de parents, mercredi 19 heures, école du quartier : les femmes constituent la majorité des participants et les membres du comité d’école qui leur font face sont, en grande partie, des mères. Visite de jeunes à la bibliothèque de l’école : la « bibliothécaire » n’est nulle autre qu’une mère. Sortie éducative un vendredi : les parents qui accompagnent la classe sont des mères.

Désengagement de l’État

A la Fédération des comités de parents, on ne possède pas de chiffres précis quant à la répartition des hommes et des femmes dans les comités d’école. En revanche, à la dernière assemblée générale, sur 1000 délégués présents, 77 % étaient des femmes. Majoritaires aux comités d’école, les femmes semblent être encore plus présentes quand il s’agit de donner un coup de main à l’école pour accomplir diverses tâches et compenser des services que l’État n’est plus en mesure d’offrir. Ce désengagement de l’État, Diane Guilbault, mère de trois enfants de 8, 11 et 14 ans, le déplore. En plus de ses activités professionnelles, elle fait du bénévolat à l’école Rabeau de Saint-Lambert depuis neuf ans : comité d’école, journal étudiant, sorties éducatives et levées de fonds. Dans son cas-et pour d’autres mères aussi, précise-t-elle-, les congés de maternité ont été très fructueux, bénévolat aidant. Si la composition du comité d’école varie selon les années, le partage égal entre pères et mères n’y est pas chose courante. « De plus, s’il n’y avait pas de mères bénévoles dans les écoles primaires, soutient Diane Guilbault, il y aurait beaucoup moins d’activités et pas de bibliothèque scolaire » . Pour cette bénévole de longue date, il est inconcevable que le bénévolat des mères ne soit comptabilisé nulle part. « Le travail qu’effectuent les femmes en aidant à faire fonctionner l’école, en particulier la bibliothèque, est essentiel, constate Mme Guilbault, mais cette main-d’œuvre à bon marché est « exploitée » , sans que nul ne s’en préoccupe ». Selon elle, le bénévolat des mères à l’école consiste tout simplement en un élargissement de la tâche domestique. « Le piège dans tout ça, conclut-elle, ironiquement, c’est qu’on prend plaisir à accompagner nos enfants et à aider à l’école ». Danièle Aubut est mère de trois enfants, dont le plus jeune fréquente maintenant l’école secondaire. « Les quelques fois où j’ai fait du bénévolat à l’école Désormeaux que fréquentaient mes enfants à Laval, j’ai considéré que c’était une contribution positive. Je m’y sentais utile » . Avec d’autres mères, Danièle Aubut a mis sur pied la bibliothèque de l’école voilà cinq ans. Bien qu’elle se défende d’avoir été exploitée, Danièle Aubut note que le bénévolat à l’école primaire est surtout le fait des femmes et qu’au secondaire, déjà plus de pères sont présents. Elle nourrit toutefois quelques inquiétudes pour l’avenir : le bénévolat des parents-particulièrement celui des mères-peut devenir problématique en raison de la double tâche des femmes. Elle croit que le travail à temps partagé du père et de la mère sera la solution qui permettra aux deux parents de se rapprocher de l’école.

Jusqu’où aller?

La présidente de la CEQ, Lorraine Pagé, observe que le bénévolat fait partie d’un type d’engagement communautaire et qu’il permet aux parents de faire valoir leur point de vue. « Faire partie d’un comité d’école, ça peut être ressourçant, dit-elle. En outre, ça apporte de l’oxygène dans le système, ajoute Mme Pagé. La présence des parents peut également avoir des effets sur la réussite scolaire de leurs enfants » , précise-t-elle. Lorraine Pagé a cependant des réserves : l’obligation d’être disponible pour aider le jour est souvent un fardeau que l’on renvoie aux mères qui peuvent se sentir coupables si elles n’ont pas assez temps. « Il faudrait aussi se demander si ces mères ne prennent pas la place d’employés rétribués » , souligne-t-elle. Sur cette question, la Fédération des centres d’action bénévoles du Québec a pris position. Patricia Morin, responsable des communications, affirme : « Dans le secteur de l’éducation comme ailleurs, la Fédération est contre le fait que l’on utilise des bénévoles pour combler les postes rémunérés ». Néanmoins, lorsque les écoles manquent de ressources, on se rend bien compte qu’elles essaient d’en faire autant… en recourant aux parents. Julie Foisy, mère de quatre enfants, souligne que la rentrée scolaire de son aîné, en maternelle, l’a laissée perplexe. En effet, elle et son mari ont appris dès le début de l’année, en accompagnant leur fils en classe, que l’école sollicitait l’aide des parents pour initier les jeunes à l’informatique, l’établissement n’ayant plus de spécialiste en cette matière, non plus qu’en musique. « On nous a aussi fait parvenir un feuillet nous demandant notre disponibilité pour aider à la bibliothèque de l’école » . Présentement en congé de maternité avec ses jumelles de quatre mois, Julie Foisy voit mal comment elle pourrait trouver le temps d’aller donner un coup de main, elle qui doit retourner au travail à temps plein sous peu. Dans un avis sur les ressources documentaires dans les écoles primaires et secondaires présenté au ministère de l’Éducation en 1989, la CEQ mentionne que le corps d’emploi le mieux représenté dans les bibliothèques scolaires est celui… des bénévoles, rappelle Christiane Bigras, présidente de la Fédération du personnel de soutien à la CEQ. Déjà en 1982, le ministère de l’Éducation du Québec signalait que sur 8125 personnes qui travaillaient dans les bibliothèques scolaires, 47 % étaient des parents bénévoles. A la commission scolaire Sainte-Croix (Ville Mont-Royal, Outremont et Ville Saint-Laurent), toutes les écoles primaires emploient des techniciennes en documentation, sinon à plein temps, du moins à temps partiel. Comment se fait-il que ce soit une des seules commissions scolaires, sinon la seule au Québec, à utiliser les services d’employés rémunérés dans ses bibliothèques? « C’est une question de priorités, affirme Roch Archambault, directeur des services éducatifs. Personnellement, avant de couper dans les services de la bibliothèque scolaire, je vais couper dans les rétroprojecteurs les caméras et autres », conclut-il.

Encore plus?

Paul Darveau est directeur de l’école La Source sur la Rive-Sud de Montréal. On l’a embauché notamment parce qu’il est d’accord avec le bénévolat des parents. Conscient qu’il est surtout question des mères lorsque l’on parle du bénévolat des parents, Paul Darveau n’aime pas qu’on considère la participation des mères comme du travail « à bon marché ». « Si on aime que les mères participent, dit-il, ajoutant que l’école ne peut pas vraiment « rouler » sans la présence des parents, il faut aussi prendre en considération leurs opinions lorsqu’on discute de questions plus sérieuses, comme le projet éducatif de l’école, par exemple ». Le directeur ne croit pas que les budgets vont augmenter en éducation. Selon lui, les parents vont, par conséquent, être mis encore plus à contribution. « D’autres aussi d’ailleurs! », précise-t-il, faisant allusion aux aînés, aux bénéficiaires de programmes de développement de l’emploi et aux prestataires de l’aide sociale. Paul Darveau signale par ailleurs que plusieurs mères ont beaucoup de plaisir à travailler ensemble à l’école et qu’elles en profitent pour se ressourcer. Quant à elle, la Fédération québécoise des directeurs et directrices d’établissement d’enseignement croit qu’il appartient à chaque école de prendre position sur la question du bénévolat des parents-et des mères-, et de décider ce qui est le mieux pour le milieu. « Cependant, précise son président, Guy Lessard, il ne faut pas être pris dans le dilemme de remplacer les postes syndiqués par des bénévoles » . M. Lessard n’est pas, lui non plus, particulièrement optimiste quant aux possibilités pour le milieu de l’éducation de faire augmenter ses budgets. Il entrevoit donc une diminution de certains services actuellement offerts aux élèves si les parents ne peuvent plus apporter leur contribution bénévole à l’école.

Appel aux pères

Selon Diane Drouin, présidente de la Fédération des commissions scolaires du Québec, le fait que des parents participent aux activités des écoles permet d’offrir plus de services aux jeunes qui les fréquentent. « Mais, insiste-t-elle aussi, les parents ont leur place dans les écoles et les mères qui donnent un coup de main disent souvent que c’est une façon pour elles de se rapprocher des enfants. Peut-être verra-t-on plus d’hommes collaborer dans les prochaines années. Faut voir les nouveaux pères! », suggère Mme Drouin. « Il y a encore plus de femmes que d’hommes disponibles le jour pour aider aux diverses activités de l’école » , constate Gary Stronach, président de la Fédération des comités de parents de la province de Québec. Mais il est de moins en moins vrai, selon lui, que les comités d’école ne comptent que des femmes. Il note par ailleurs d’importants changements dans la structure du bénévolat au cours des dernières années : beaucoup moins de bénévoles qui proposent leurs services aujourd’hui dans les écoles et ce sont toujours les mêmes qui sont disponibles. « Le bénévolat des mères le jour à l’école est peut-être invisible et méconnu, mais même si les pères étaient bénévoles en plus grand nombre, je ne crois pas que le phénomène serait plus apprécié, signale-t-il. Si on n’avait pas de bénévoles à l’école, il faudrait presque oublier les bibliothèques, les sorties éducatives et les petits extras ». Le bénévolat du soir, officiel et nécessaire à l’orientation de l’école, est né de la revendication des parents. On peut cependant se demander s’il était prévu que les mères hériteraient en prime du bénévolat de jour, informel et pourtant essentiel à la vie de l’école.

Rock ambiguïté

La publicité du réseau Rock Détente voulait être humoristique. Plusieurs ne l’ont pas trouvée drôle. Tout a commencé l’été dernier par des statistiques d’origine inconnue affichées sur des panneaux-réclames ou publiés dans les journaux. « 61 % des femmes se font plus parler d’amour au travail que dans leur chambre à coucher » , « 67 % des femmes ont plus de tendresse au travail qu’à la maison » , « 64 % des femmes mélangent vie professionnelle et vie amoureuse », etc. La réponse vint au bout d’une semaine : c’était la nouvelle publicité du réseau Rock Détente (quatre postes desservant les régions de Montréal, Québec, Trois-Rivières et Chicoutimi), conçue par la boîte montréalaise Olive Communications dans l’esprit du slogan « Ma radio au boulot ». Quant aux chiffres cités, ils représentent la part de marché que se sont taillée les stations auprès de leur auditoire-cible : les femmes d’environ 35 ans, actives, financièrement autonomes et adhérant à des valeurs telle la liberté sexuelle. Le YWCA de Montréal n’a guère prisé cette campagne qui s’est poursuivie, durant l’automne, à la télé, dans les journaux et dans les magazines. « Voilà un discours qui banalise la vie professionnelle des femmes et laisse entendre qu’elles s’intéressent peu à leur travail » , dit Élaine Teofilovici, directrice générale de l’organisme. Le Y a en fait trouvé cette pub tellement dévalorisante pour les femmes qu’il a rompu ses relations d’affaires avec CITÉ Rock Détente. « A regret, insiste Mme Teofilovici, parce que la station montréalaise nous a beaucoup aidées, et toujours bénévolement; nous mettons ainsi fin à une collaboration intéressante » . D’autres groupes ainsi que des individus partagent de toute évidence l’opinion du Y à Québec, le Mouvement contre le sexisme dans les médias (MSM) a même demandé le retrait de cette publicité. « Suggérer que les femmes écoutent beaucoup la radio au travail laisse planer un doute sur leur sérieux et leur efficacité, soutient Line Côté, coordonnatrice du MSM. Pis encore, avec ses propos ambigus, cette pub semble encourager le harcèlement sexuel au travail » . Michèle Petitclerc, la directrice du département de création d’Olive, et John Gallagher, le directeur de la boîte, affirment de leur côté ne pas comprendre cette interprétation d’un message qu’ils voulaient plutôt humoristique et charmeur. « La radio, c’est essentiellement de la romance : au moins 85 % des chansons évoquent l’amour. Nous nous sommes servis de ce constat pour élaborer un message qui veut simplement dire : Écoutez ma radio, vous allez vous faire parler d’amour. Et au travail, parce que la majorité de ces femmes travaillent » . Michèle Petitclerc, quant à elle, n’en revient pas que certains aient pris les énoncés « au premier niveau ». Peut-être bien. Mais autant Élaine Teofilovici que le MSM continuent de croire que « le second niveau » n’est justement pas évident. Une autre campagne doit avoir lieu au printemps. On ne peut pour l’heure présumer dans quels termes. Mais l’automne dernier, ni les concepteurs de la pub, ni leur client n’ont jugé bon de rectifier le tir.