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Les enfants: un pouvoir paradoxal

Les Béninoises ont des enfants pour le prestige et aussi parce qu’ils leur tiendront lieu d’assurance-retraite.

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Les Béninoises ont des enfants pour le prestige et aussi parce qu’ils leur tiendront lieu d’assurance-retraite.

Pourquoi les femmes des pays les plus pauvres mettent-elles au monde des enfants qui vivront dans les mêmes conditions difficiles qu’elles? Pourquoi refusent-elles le recours aux méthodes contraceptives modernes, au moins jusqu’à ce que leur situation se soit améliorée?

« Parce qu’elles sont aux prises avec les nuances d’une réalité sociale fort complexe », affirme Élisabeth-Afiavi Gnansounou, une Béninoise qui a choisi ce sujet pour sa thèse de doctorat en sociologie à l’Université de Montréal. « Le mariage est une nécessité qui donne aux femmes l’important statut d’épouse, qui sera ensuite confirmé par celui de mère. Il ne faudrait pas croire que la forte fécondité des femmes n’a que des désavantages. Mais elle les maintient dans une situation paradoxale ».

Au Bénin, petit pays ouest-africain de 5 millions d’habitants répartis en une cinquantaine d’ethnies, le célibat est inadmissible (sauf en cas de vocation religieuse) et la stérilité, impensable : « Sans enfant, je serais considérée comme une handicapée sociale », a souligné l’une des femmes qu’a rencontrées la sociologue. Le but premier du mariage est d’avoir des enfants, le plus grand nombre possible… en commençant par une fille, considérée comme une messagère de bonheur. Mais même si la venue d’un garçon en tant que premier enfant est perçu comme un mauvais présage, un symbole de difficulté, c’est finalement le nombre d’enfants mâles-capables de perpétuer la lignée-, qui vaudra à la mère la considération de son époux et de sa belle-famille. Cette dernière pousse souvent le mari à aller voir ailleurs si le compte d’enfants mâles n’y est pas. Au Bénin, la femme qui n’a que des filles n’a pas d’enfants!

La polygamie y est donc monnaie courante et les hommes ont 1, 4 enfant de plus que les femmes. En ville, la polygamie est le plus souvent déguisée : c’est une manière de tenir compte de la modernité sans bouleverser l’ordre social. Parfois, la première épouse (ou épouse officielle) ne sait pas, au départ, que son mari a des enfants et des maîtresses. En général, et malgré elles, les femmes acceptent cette situation frustrante qui leur procure une certaine liberté tout en leur permettant de répondre aux exigences de l’organisation sociale. « Au point que certaines utilisent leur fécondité, vis-à-vis du mari, comme une arme pour conserver leur place d’épouse et de mère » fait remarquer Mme Guansounou. Elles ont des enfants pour le prestige et aussi parce qu’ils leur tiendront lieu d’assurance-retraite ».

A la campagne, où les femmes se marient tôt avec un conjoint souvent imposé par les parents, la polygamie se pratique ouvertement. Règle générale, les coépouses s’entraident pour les tâches domestiques, la production artisanale et les travaux dans les champs de cultures vivrières qui servent à nourrir la famille. Les maigres bénéfices leur reviennent en propre. Tout comme à la ville, les enfants sont presque entièrement à la charge des mères. Cette main-d’œuvre les aide lorsque le mari ne l’accapare pas dans ses propres champs de cultures industrielles, plus rentables que celles de ses épouses. Les enfants sont garants du statut social et de l’avenir de leur mère âgée puisque le mari se borne souvent à intervenir financièrement en cas d’extrême nécessité et uniquement s’il le veut bien.

« Pour toutes les femmes que j’ai rencontrées-membres d’une profession libérale, dans le quartier de la Haie-Vive à Cotonou. ou agricultrices du village de Hoky-, le triple rôle d’épouse, de mère et de travailleuse va de soi, souligne Mme Guansounou. Il semble, jusqu’à nouvel ordre, incontournable. Elles doivent être mariées; pour le rester, elles doivent avoir des enfants; pour les entretenir, elles doivent travailler. Ce qui ne les empêche pas de recourir à certaines formes de contraception ».

La force de la tradition

En dépit de leur forte fécondité, les Béninoises ont recours aux méthodes de contraception traditionnelles, surtout pour espacer les naissances. A commencer par l’abstinence : « Nous nous approchons des hommes juste assez pour avoir d’autres enfants, ont expliqué les femmes de Hoky. Les contraceptifs modernes nous mettraient à la disposition permanente de nos maris pour leur procurer du plaisir, alors qu’ils ne font rien pour nous aider ». D’autres utilisent la continence périodique.

Autre moyen populaire : la bague du guérisseur, fabriquée à l’aide de métal et d’herbes spéciales, selon une recette traditionnelle. La femme qui en porte une au doigt n’est pas censée devenir enceinte. On trouve même les bagues chez les citadines qui se méfient de la pilule par crainte des effets secondaires, ou des risques de provoquer le cancer ou la stérilité. Certaines disent qu’elles la prendront peut-être le jour où elles ne voudront plus avoir d’enfants du tout. La pilule est aussi très mal vue par les hommes. Ils redoutent que les femmes aillent voir ailleurs ou s’adonnent à la prostitution.

La greffe de la contraception moderne prendra-t-elle au Bénin? « Durant la colonisation, la politique nataliste des Occidentaux leur procurait de la main-d’œuvre, rappelle Mme Gnansounou. Aujourd’hui, l’Occident voudrait que les femmes aient moins d’enfants… Les Africaines ne savent plus quoi croire, quoi penser. Aussi, malgré certains progrès, les enfants continueront d’être des instruments de pouvoir ambigus pour les femmes pendant encore un bon moment… » .