En recourant au système disciplinaire et en intentant une poursuite, les victimes d’abus sexuels pourront peut-être éviter que d’autres personnes subissent le même
sort.
Le 6 juillet 1993,
Mme C. F. subissait une intervention chirurgicale pour changement de prothèses aux seins. Dans les mois qui suivirent, le
Dr Marc Bissonnette, qui avait procédé à l’intervention, était poursuivi au criminel pour agression sexuelle sur sa patiente. Parallèlement et
relativement à la même affaire, le Collège des médecins était saisi de trois plaintes à l’encontre du
Dr Bissonnette. Deux de ces plaintes
portaient sur l’utilisation non sécuritaire de la méthode d’analgésie pendant et après l’intervention, l’autre sur l’agression sexuelle.
Le 7 avril 1995, la Cour du Québec acquittait le
Dr Bissonnette du crime d’agression sexuelle. Quatre jours plus tard, le comité de discipline
du Collège des médecins décidait que le
Dr Bissonnette avait commis toutes les fautes professionnelles qui lui étaient reprochées. On lui a
imposé, entre autres sanctions, une radiation de deux ans, une amende de 6000 $ et une interdiction permanente d’opérer sous sédation ailleurs que dans un hôpital. (Le
Dr Bissonnette a porté sa cause devant le Tribunal des professions et a recouvré récemment son droit d’exercice. Le Tribunal a jugé que
l’obligation faite au chirurgien d’opérer seulement en milieu hospitalier et d’être assisté d’au moins une personne rend impossible le renouvellement de la situation qui a
entraîné l’agression. )
Y a-t-il deux justices? Et si cela vous arrivait, ou à une de vos proches, que faire pour que « bonne » justice soit rendue?
Le Code des professions
La majorité des professionnels relèvent d’un ordre professionnel dont le but essentiel est d’assurer la protection du public. La plupart de ces ordres sont soumis aux
exigences du
Code des professions qui détermine leurs obligations. Ils ont aussi leur propre Code de déontologie qui fixe les règles que les membres doivent
respecter.
Depuis la mi-octobre 1994, le
Code des professions interdit clairement les abus sexuels. Il considère comme un acte dérogatoire à la dignité d’une profession le
fait pour un de ses membres d’abuser de la relation professionnelle en cours pour avoir des relations sexuelles avec une cliente ou un client, de poser des gestes abusifs ou
de tenir des propos abusifs à caractère sexuel.
Tout acte à caractère sexuel peut être considéré comme un abus, en autant que la cliente ou le client n’y a pas consenti. Or on sait que le professionnel est en quelque
sorte en position de pouvoir et on peut alors s’interroger sur le degré de consentement de la personne qui accepte d’avoir ou d’entretenir une relation intime avec le
professionnel. Cependant, il faut retenir que, dans tous les
cas où il peut être prouvé qu’il existait une disparité entre la situation relative des personnes concernées et que la partie la plus faible n’était pas en mesure de
choisir librement, il ne peut y avoir de réel consentement.
Si des relations intimes survenaient après la relation professionnelle, le syndic ou le comité de discipline n’aurait pas le pouvoir d’enquêter sur le professionnel
concerné.
Porter plainte
Ce sont les victimes de ces abus qui ont la responsabilité de les dénoncer. La première étape consiste à s’adresser au bureau du syndic qui indiquera la marche à suivre
dans chacun des cas. Le plus souvent, on exigera une plainte écrite. Le syndic fera alors enquête et, si la preuve est jugée suffisante, déposera la plainte devant un comité
de discipline de trois membres.
La victime demeure le principal témoin dans l’affaire en cause. Tous les autres témoins de l’acte dérogatoire (comme dans le cas de
Mme C. F.,
sa mère et sa cousine) seront également appelés à témoigner. Le syndic fera d’abord la preuve de l’acte dérogatoire. Le professionnel en cause ou son avocat tenteront de
mettre en doute la crédibilité des témoins et d’ébranler la preuve qui est soumise. Si la preuve est concluante, une sanction disciplinaire suivra.
Se plaindre d’une ou d’un professionnel auprès de son ordre vise d’abord et avant tout à l’empêcher de commettre d’autres abus et de le sanctionner pour faute
professionnelle. L’intégrité est primordiale dans l’exercice d’une profession. Ainsi, le dépôt, l’étude et la résolution de la plainte devraient-ils avoir pour effet de
corriger la situation, de responsabiliser le professionnel abuseur, et surtout de redonner dignité et respect à la personne abusée.
Le
Code des professions oblige le comité de discipline de chacun des ordres professionnels sous sa gouverne à imposer au professionnel qu’il reconnaît coupable de
ce type d’infraction la radiation temporaire et une amende d’au moins 600 $ et d’au plus 6000 $ pour chaque infraction. Cependant, l’amende ne sert pas à indemniser la victime
mais plutôt à couvrir les coûts de la poursuite et les frais de cour.
Un ordre professionnel peut en outre refuser de délivrer un permis d’exercice à une personne qui aurait fait l’objet d’une décision disciplinaire rendue au Québec ou
hors-Québec ou qui aurait été édictée par un autre ordre.
Devant un tribunal
La plainte en justice est très différente de celle soumise à un comité de discipline. Elle est déposée par le Ministère public, plus précisément par le procureur de la
Couronne qui, après enquête, dépose un acte d’accusation dans lequel se retrouve l’infraction qui est clairement inscrite au
Code criminel. Le Ministère public doit
alors prouver, hors de tout doute, que l’acte reproché a été commis par la personne inculpée. Dans le cas qui nous intéresse, il s’agissait, pour
Mme C. F., d’une agression sexuelle postopératoire alors qu’elle était encore sous sédation dans la salle d’opération de la clinique du
Dr Bissonnette. La preuve n’a pas permis au tribunal de conclure hors de tout doute à la culpabilité du chirurgien.
Cette affaire peut laisser croire qu’il y a deux justices. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’objectif des règles disciplinaires est de protéger le public alors que celui
de la sanction judiciaire est de punir les individus qui ont commis une faute. Ainsi, en matière criminelle, c’est l’État qui sanctionne des actes jugés inadmissibles dans
notre société. En matière disciplinaire, c’est l’ordre professionnel concerné qui fait une nomenclature d’actes dérogatoires incompatibles avec l’exercice de la profession en
cause.
Dans l’affaire Bissonnette, la Cour du Québec ne traitait que la question de l’agression sexuelle; le comité de discipline reprochait d’autres actes dérogatoires au
médecin. Ainsi, même si les décisions rendues semblent se contredire, il n’en est rien dans les faits. Le public peut se sentir rassuré et protégé!
Porter plainte est important en dépit de la situation difficile dans laquelle se retrouvent les victimes d’abus. Cependant, en faisant acte de foi dans le système
disciplinaire et en intentant une poursuite, elles pourront faire en sorte que d’autres personnes ne subissent pas le même sort. De plus, la réprobation dans le milieu
professionnel sera sans équivoque et permettra, non seulement d’écarter les personnes qui usent de leur pouvoir, mais aussi d’autodiscipliner celles qui pourraient
éventuellement ne pas respecter leur code de déontologie.