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Ma job? La machine l’a mangée!

>«Quand je vois la caissière, j’aurais presque envie de lui dire: vous voyez, je vais au guichet automatique… mais je ne vous oublie pas. C’est fou, j’ai un peu l’impression de la trahir!»

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« Quand je vois la caissière, j’aurais presque envie de lui dire : vous voyez, je vais au guichet automatique… mais je ne vous oublie pas. C’est fou, j’ai un peu l’impression de la trahir! » , confie Dominique. Un jour ou l’autre, l’équation nous a toutes effleurées : plus de transactions aux guichets, moins au comptoir. Moins de transactions au comptoir, moins de caissières. Malaise… La multiplication des guichets n’est que l’une des retombées palpables de l’invasion technologique. Partout, des emplois de bureau ou de service sont biffés des organigrammes pour cause d’informatisation. Souvent, ce sont des femmes qui occupaient les chaises qu’on retire. Les technologies, tels les packmans affamés des vidéos, sont-elles en train de dévorer nos jobs? Il y a de quoi être sur les dents, juge Colette Bernier, professeure en relations industrielles à l’Université Laval, qui a scruté à fond la question des besoins de formation de la main-d’œuvre découlant des changements technologiques, particulièrement dans le secteur financier. « À la fin des années 80, dans les caisses populaires et les banques, environ deux postes sur trois étaient des postes de caissières. Notre équipe de travail prédisait alors un renversement complet de la pyramide; on ne nous a pas crues. C’est pourtant en train de se confirmer. Mais les technologies ne sont pas seules en cause. Le décloisonnement des institutions financières a aussi tout bouleversé, provoquant une poussée des emplois vers le haut, histoire d’avoir les reins plus solides ». Les postes de caissières ont subi et subissent encore l’onde de choc. A l’heure qu’il est, la Confédération des caisses Desjardins met sur les rails une « réingénierie des processus d’affaires». D’ici cinq ans, méga brasse-camarades en perspective : « Environ 2000 postes seront touchés par l’opération, très majoritairement des postes de caissières et d’employés de bureau, chiffre André Chapleau, directeur des relations publiques et des communications à la Confédération. Il y aura des changements, c’est évident, mais des coupes sauvages, non. Claude Béland, le président, a été clair : objectif zéro chômage. Des postes seront supprimés quand ils se libéreront, nous aurons un programme de préretraite. Pour le reste, nous consacrons 7 % de notre masse salariale à la formation. Mais je serai honnête : le défi est énorme ». De fait, une réingénierie sans disparition d’emplois tiendrait du miracle; le processus, par définition, s’apparente à une tornade, chambardant tout au passage. Une manchette parue il y a quelque temps brandissait le spectre de 10 000 mises à pied chez Bell Canada. A donner froid dans le dos. Mince consolation : l’automatisation récente du service 411 (« Si vous désirez le service en français, dites français… ») ne serait pas en cause. « En 1990, le service comptait quelque 600 téléphonistes; cinq ans plus tard, on en compte presque autant, sauf quelques reclassements ou départs à la retraite, certifie la porte-parole de la compagnie, Sylvie Ricard. L’instauration du système de reconnaissance de la voix mécanise seulement une partie de la demande. Pour la recherche du numéro, la téléphoniste entre en jeu, comme avant. Les demandes des abonnés diffèrent tellement de l’une à l’autre qu’elles sont impossibles à prévoir toutes. Ce n’est pas demain la veille que les téléphonistes disparaîtront! Il n’y a donc aucun problème ». « Comment ça aucun problème?, objecte Odette Gagnon, porte-parole du syndicat. Sur qui se déverse la pluie de récriminations des gens que l’automatisation irrite, d’après vous? Croyez-moi, ça ne fait pas un climat de travail très rose! Et puis, pour l’instant on a encore besoin de nous, mais la technologie progresse à une vitesse folle. Nous sommes loin d’être à l’abri des coups de ciseaux! » Les technologies infiltrent aussi le gouvernement, grugeant les jobs d’employées de bureau, de téléphonistes-réceptionnistes, d’agentes de secrétariat… Danielle Maude-Gosselin, présidente du Syndicat de la fonction publique du Québec, concède qu’on peut difficilement départager les retombées directes des technologies de celles qui découlent de la rationalisation générale en cours, et qu’on n’a pas vu de mises à pied massives liées aux technologies. « Sauf… qu’on a observé que la plupart du temps, c’est dans les emplois de bureau qu’on sabre en premier quand des restrictions requièrent des coupures de postes. Aussi, quand des permanentes quittent ou que des occasionnelles terminent leur contrat, on ne les remplace pas. Le fardeau de la tâche s’accroît donc pour les autres » . « D’autres corps d’emplois ont vu par ailleurs leur tâche modifiée à cause de cette nouvelle réalité. Les préposées aux renseignements, par exemple : quand le suivi des appels se mécanise, quand le nombre d’appels par poste de travail est comptabilisé par informatique, comme à l’impôt notamment, ça devient difficile à vivre pour les employées… Sans oublier les postes de téléphonistes réceptionnistes qui disparaissent peu à peu, au profit des boîtes vocales »… Dans certains ministères, notamment ceux qui regroupent une masse critique des corps d’emplois plus touchés, le syndicat a mis en place des comités sur les changements technologiques pour étudier le reclassement. « Nous travaillons à faire en sorte que les personnes touchées soient formées pour tenter de les replacer sur d’autres postes », précise Mme Gosselin. Polyvalence : le mot est lâché! La mise en place de technologies s’accompagne en effet fréquemment d’une « recomposition » des emplois. Alors que Danielle-Maude Gosselin met en garde contre la création de corps d’emploi « fourre-tout » que cela risque d’entraîner, Colette Bernier prédit : « Dans le secteur bancaire, les caissières auront bientôt cédé la place à des préposées au service à la clientèle, une fonction plus « commerciale »destinée à mousser au comptoir la panoplie des services de l’institution. Du style « C’est le temps des RÉER, avez vous ce qu’il vous faut madame? » . A tâche plus complexe, meilleur salaire? « Bonne question. Ce sera à voir », laisse tomber laconiquement André Chapleau, de la Confédération Desjardins. Tout de même, parfois l’emploi refleurit là où passe la technologie. Chez Bell Canada, les téléphonistes surveillent anxieusement l’ouverture d’autres services technologiques, comme le Service Relais Bell pour malentendants qui, supputent-t-elle, les aidera à conserver leur travail. Dans les institutions financières, de nouveaux postes de conseillers financiers intermédiaires s’ouvriront. Mais qui y aura accès? Les ex-caissières? Pas forcément. Ces postes exigeront une formation collégiale, ou même universitaire. Les travaux menés par Colette Bernier montrent que, généralement, on forme à l’interne pour combler les postes exigeant le collégial, mais que, pour les postes de niveau supérieur, on tend à recourir au recrutement extérieur. « D’abord, mettons une chose au clair : le zéro chômage proclamé par la direction de la Confédération, nous on n’y croit pas, tranche Jean-Paul Lapointe, conseiller syndical (CSN) à la Fédération des caisses du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Cela dit, chez nous, on a décidé de ne pas nous contenter de regarder le train passer. On a créé, conjointement avec la partie patronale, une structure qui chapeautera toute la formation continue. Nous voulons nous assurer que l’employeur privilégiera la formation de ses employés au recrutement externe et laisser le moins de prise possible à l’arbitraire ». Colette Bernier juge elle aussi qu’il faut veiller au grain, « à plus forte raison parce qu’il s’agit d’un secteur faiblement syndiqué. Les femmes doivent accéder à la formation au prorata de leur présence ». Que penser au total du remue-ménage technologique? « L’une des retombées très intéressantes des technologies, c’est d’éliminer peu à peu des emplois de base, souvent mécaniques et stressants, au profit d’emplois plus valorisants, constate Colette Bernier. Une bonne affaire… si le salaire suit, évidemment. Ce qui est loin d’être certain. En mettant les choses en perspective, je pense que, oui, les femmes y gagneront. Mais d’ici là, il y aura forcément des laissées pour compte »