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Des prostituées prennent leur sécurité en main

Stella a vu le jour en mai 1995, en plein centre-ville, à la suite d’un projet de recherche en santé publique visant la prévention des MTS et du VIH dans le milieu de la prostitution.

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Quand le directeur général de l’Association des chefs de police et de pompiers s’est retrouvé face aux représentantes d’un organisme de défense des droits et de la qualité de vie des prostituées, un frémissement a parcouru la foule. M. Lorrain Audy remettait à Stella, et il tenait à le faire personnellement, le prix « Autonomie des femmes », dans le cadre du concours Sécurité des femmes organisé par le Comité d’action femmes et sécurité urbaine (CAFSU) de Montréal. Et c’est pour avoir constitué une liste de « mauvais clients » des prostituées que Karen Herland, la coordonnatrice, et trois employées de l’organisme, elles-mêmes ex-travailleuses du sexe, se voyaient honorées, le .

Stella a vu le jour en , en plein centre-ville, à la suite d’un projet de recherche en santé publique visant la prévention des MTS et du VIH dans le milieu de la prostitution. Mais rapidement, les prostituées font valoir que la violence, la détresse psychologique et l’absence d’un lieu de rencontre qui leur soit uniquement destiné constituent des problèmes nettement plus criants. Aussi, on s’entend pour mettre à leur disposition un local où, en plus de trouver de l’information sur différentes ressources, on peut faire son lavage, manger un repas par jour et, évidemment, se procurer des condoms. Mais surtout, participer aux décisions et au bon fonctionnement de l’organisme : l’équipe de Stella y tient!

D’ailleurs, la fameuse liste origine de l’expérience d’une des habituées de Stella. « A l’été , une fille nous a parlé des problèmes de violence qu’elle avait vécus », raconte Karen Herland. Chez Stella, on passe rapidement à l’action et, au mois de , la première liste de mauvais clients voit le jour.

Un mauvais client, c’est un homme violent, « bien sûr, mais aussi un client qui retire son condom à la dernière minute ou qui vole la prostituée », précise Mme Herland. La liste comprend la description détaillée de l’individu ainsi que celle de sa voiture, s’il y a lieu. On y relate aussi le déroulement de l’incident survenu.

Encore faut-il mettre sur pied un bon réseau de distribution pour que le plus de prostituées possible voient la liste. Une douzaine d’organismes collaborent donc avec Stella : des centres de jeunes, des refuges pour itinérantes, des centres d’échange de seringues, etc. En plus, « on va nous-mêmes parler aux filles dans la rue, on fait notre tournée », ajoute la coordonnatrice de Stella.

Contrairement à ce qu’on aurait pu craindre, les « gens du milieu » ne perçoivent pas la liste comme un obstacle à « leurs affaires ». Plutôt, précise Karen Herland : « lorsque certains bars ont appris l’existence de la liste, c’est eux-mêmes qui l’ont demandée. » Une visite aux toilettes des femmes, et les prostituées peuvent consulter la liste affichée. Et lorsqu’une fille se retrouve devant un client dangereux, elle fait quoi? « Elle refuse, c’est tout : c’est son droit, soutient Mme Herland. Vous savez, les souteneurs ce sont souvent les chums des filles… »

« C’est dans un bar, raconte en riant Karen Herland, que l’idée de soumettre la candidature de Stella pour les prix Sécurité des femmes m’est venue. Je me suis retournée et j’ai vu l’affiche du CAFSU annonçant le concours. J’ai pensé : ou ils vont nous aimer beaucoup ou ils ne vont pas comprendre du tout ce qu’on fait. » Puis, neuf mois après sa création, Stella obtient un prix. « Ce que j’ai trouvé le plus l’fun, c’est lorsqu’on a affiché les coupures de presse et la plaque pour que les filles puissent voir ça », évoque la coordonnatrice.

« Je pourrais être cynique et dire qu’une des raisons pour lesquelles on a été choisies, c’est que les prostituées ne demandent pas grand-chose au système, qu’elles s’organisent elles-mêmes. » Mais d’un autre côté, le projet méritait d’être connu puisque « c’est peut-être ce que tout le monde devrait faire : s’organiser au lieu d’attendre que quelqu’un d’autre règle les problèmes pour nous. »

« J’étais méfiant par rapport à ce prix-là. Je me disais : elles n’ont qu’à ne pas se prostituer et elles ne se feront pas agresser », avoue Lorrain Audy. Mais les mentalités changent avec le temps et peut-être surtout avec une meilleure connaissance. « Il faut dire que le projet était très bien présenté et qu’il respectait tous les critères exigés pour le concours », souligne cet ancien policier de l’escouade de la moralité. Mais surtout, « Stella a rencontré la police du quartier. L’échange d’information qui s’ensuit peut servir à arrêter des bonhommes qui attaquent d’autres femmes. » Il a par ailleurs compris que le projet visait à donner aux prostituées plus d’autonomie, de confiance en elles. « Ce qui me touchait aussi, c’est que Stella est un lieu de refuge où elles peuvent prendre un petit break. » Finalement, raconte M. Audy : « Quand j’ai remis le prix aux filles, j’ai complètement oublié que c’était des prostituées. Elles avaient l’air tellement contentes… »