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Les femmes et les enfants en Iraq, otages de l’Occident

Parce qu’elles ont le tort de vivre dans un pays dirigé par Saddam Hussein, des centaines de milliers de femmes, et leurs enfants, souffrent des pires privations.

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Parce qu’elles ont le tort de vivre dans un pays dirigé par Saddam Hussein, des centaines de milliers de femmes, et leurs enfants, souffrent des pires privations. Lumière sur un drame dont on ne parle guère en Occident.

Quand Amira Elias est retournée dans son pays d’origine, l’Iraq, en , plusieurs femmes la supplièrent de dénoncer le drame qu’elles et leurs enfants vivaient à cause des sanctions économiques qui prolongent indéfiniment les suites de la Guerre du Golfe. Deux ans plus tard, face à l’indifférence de l’Occident, elle y retournait, caméra vidéo à la main, après avoir suivi une simple formation de base à l’Office national du film, déterminée à témoigner de ce drame dans un documentaire.

Parmi les scènes qui ont marqué Amira Elias qui vit au Canada depuis trente ans, figure celle-ci, survenue dans un hôpital de Bagdad, la capitale iraqienne : « J’accompagnais une femme qui voulait faire soigner son enfant souffrant d’asthme. Ses deux premiers enfants étaient morts. Le médecin nous a répondu qu’il ne pouvait rien faire, l’hôpital ne disposant même plus de réservoirs d’oxygène. » Aussi, cette entrevue avec la responsable de la pharmacie de l’hôpital de Bagdad pour enfants. « Elle m’a déclaré que les médicaments sont tellement rares qu’une seule dose est souvent divisée entre dix enfants et n’a donc plus d’effets, raconte Mme Elias. Les médecins et les infirmières se sentent inutiles, car le manque de médicaments de base les empêche de soigner les gens. »

La rareté du matériel médical, des médicaments, mais aussi des aliments en Iraq découle de l’imposition des sanctions économiques les plus sévères dans l’histoire du Conseil de sécurité des Nations Unies. L’embargo commercial est entré en vigueur après l’invasion du Koweit par l’Iraq en . Depuis la Guerre du Golfe, les sanctions se poursuivent et dureront tant que le régime iraqien de Saddam Hussein n’aura pas respecté une série de conditions, dont le respect des droits de la personne dans son pays.

Ne pouvant exporter son pétrole, ce qui le prive de sa principale source de revenus, l’Iraq se trouve à court de fonds pour importer du matériel médical et des aliments. Il a fallu de très longues négociations pour que le Conseil de sécurité et l’Iraq s’entendent sur un accord appelé « pétrole contre nourriture » qui autorise l’Iraq à vendre une partie de son pétrole en échange de produits essentiels. Conformément à cet accord, la majorité des recettes de la vente du pétrole iraqien sera retenue dans un compte à titre de contribution à des réparations de guerre : ce qui en restera pour acheter du matériel

médical et de la nourriture constituera à peine la moitié du minimum nécessaire, selon des agences des Nations Unies. Sans parler des dépenses massives que nécessiteraient la reconstruction des infrastructures civiles (dont celles de santé) et la relance de l’économie et des emplois1.

La population civile littéralement étranglée

Selon une étude réalisée en par l’Université Harvard, au moins 500. 000 enfants iraqiens sont décédés des suites des sanctions imposées contre leur pays depuis quatre ans. Le rapport rédigé par une équipe de médecins américains et britanniques démontre que l’augmentation faramineuse du taux de mortalité infantile est le résultat direct de la malnutrition et surtout de l’écroulement du système de santé iraqien2. « Les femmes n’ont plus de lait dans leurs seins et n’ont pas d’argent pour en acheter », s’émeut Amira Elias.

Aux conséquences des sanctions économiques s’ajoutent les effets des radiations émises par des armes utilisées pendant la Guerre du Golfe, armes qui auraient causé la mort d’environ 100. 000 personnes, selon des estimations modérées. La puissance de l’ensemble des bombes lancées sur l’Iraq était de sept fois supérieure à celle de la bombe nucléaire sur Hiroshima, explique Amira Elias. Et le plutonium en faible quantité qu’elles contenaient s’est infiltré dans la terre et l’eau. « Des recherches démontrent que dans le sud de l’Iraq, région qui fut la plus bombardée, le taux de cancer du sein chez les femmes de 30 à 40 ans a triplé depuis la Guerre du Golfe, dit-elle. Le taux de leucémie chez les enfants a aussi beaucoup augmenté. Enfin, d’anciennes terres riches ne sont plus cultivables. »

Le problème de l’eau potable s’avère d’autant plus dramatique que le système d’approvisionnement fut une des premières cibles des bombes lancées sur l’Iraq pendant la Guerre du Golfe. Faute de fonds gouvernementaux pour le reconstruire et assurer l’épuration des sources existantes, la population doit utiliser les eaux usées qui causent des maladies mortelles chez les enfants. « Je me souviens de cette femme, à l’hôpital, qui me racontait que son enfant avait la diarrhée depuis cinq ans parce que, dans son village, l’eau est toujours contaminée », se rappelle Mme Elias.

« Avant la Guerre du Golfe, l’Iraq était prospère, continue-t-elle. Les ventes de pétrole lui permettaient d’importer de nombreux produits comme les cuisinières et les machines à laver qu’on trouvait dans la majorité des foyers de Bagdad. » Dorénavant, « les femmes doivent cuisiner elles-mêmes leur pain, laver le linge à la main, coudre à partir de vieux vêtements de quoi vêtir leurs enfants. Comme plus de 30 % des Iraqiennes travaillent à l’extérieur de la maison, ce travail supplémentaire pèse lourd sur leurs épaules. Plusieurs sont des veuves de guerre et la pension que donne le gouvernement est largement insuffisante pour vivre. »

Parmi les images filmées par Amira Elias, le marché de la place centrale à Bagdad. « Chaque jour, les hommes y vendent quelque chose pour nourrir leur famille : des briques, des fenêtres, des portes de leur maison et même leurs sous-vêtements! Les femmes ont dû vendre leur or qui constitue leur dot de mariage, qui leur donne un statut social et qui représente aussi un gage de sécurité pour le futur. »

Le poids du silence

Au retour de son premier séjour en , Amira Elias est découragée par la situation, mais aussi par le silence des médias. « J’ai demandé à plusieurs télévisions canadiennes d’envoyer des équipes de reportage en Iraq pour faire connaître le drame. Ils m’ont répondu que c’était trop politique de parler de ça. J’étais outrée car, pour les médias, quiconque parle de la souffrance du peuple iraqien est soupçonné de défendre le régime de Saddam Hussein. J’adresse une question au monde entier : est-ce qu’on peut être aveugle devant la souffrance de 18 millions de personnes au nom de notre désaccord avec Saddam Hussein?. » Amira Elias, qui affirme être indépendante sur le plan politique, a décidé de briser elle-même le silence en réalisant coûte que coûte son documentaire sur la catastrophe iraqienne provoquée par les pays occidentaux, au nom du droit international.

« Le Conseil de sécurité des Nations Unies et le Canada qui en fait partie n’ont aucun intérêt à ce que mon message soit diffusé. Ils veulent maintenir les sanctions contre l’Iraq le plus longtemps possible », poursuit Amira Elias qui a envoyé des lettres qui sont restées sans réponse encourageante aux Nations Unies, à l’UNICEF et au ministère canadien des Affaires extérieures.

Elle ne croit pas aux raisons invoquées par les États-Unis et leurs alliés qui ont servi à justifier les sanctions économiques envers l’Iraq, notamment celle d’en finir avec le régime iraqien. « Les États-Unis maintiennent ces sanctions parce qu’ils veulent contrôler le prix et les ressources de pétrole dans la région, en faveur des multinationales. Saddam Hussein n’est qu’un prétexte pour maintenir leur joug sur les pays du Golfe et maintenir leurs bases militaires. »

D’ailleurs, six ans après la Guerre du Golfe, Saddam Hussein est toujours en place.

La guerre imposée aux femmes

Bien que les sanctions économiques affectent l’ensemble de la population, c’est pour les femmes iraqiennes que cette femme de feu, mère de trois enfants, a choisi de prendre parti : « Je crois qu’en général la politique est contrôlée par les hommes et, quand ils décident d’aller en guerre, ils ne consultent pas les femmes. C’est injuste car elles subissent plus que les hommes les effets de la guerre, du fait qu’elles assument souvent la responsabilité de l’alimentation et des conditions de vie de la famille. »

Alors qu’Amira Elias met la dernière main à son documentaire, une station de télévision canadienne lui a finalement promis de l’acheter et de le diffuser. La voix des femmes iraqiennes sortira enfin du silence.

  1. Middle East Report, .
  2. Alternatives, .