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Une Québécoise deboutte

« Je dis aux citoyens que je rencontre : si vous saviez combien de gens sont engagés à rendre le Québec meilleur, vous n’avez pas idée! Je veux informer les lecteurs de cette réalité. »

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Après 40 ans de militantisme, la féministe et solidaire Françoise David aspire toujours à devenir députée. Elle nous parle de son carnet De colère et d’espoir, qui trace les grandes lignes du Québec de demain.

Gazette des femmes : Pourquoi avez-vous ressenti le besoin d’écrire un livre?

Françoise David : J’avais d’abord envie de prendre une courte pause. Non pas de Québec solidaire (QS), mais de la frénésie quotidienne de la vie politique. Je souhaitais prendre le temps de réfléchir, de mettre mes idées en ordre. Je sentais que j’avais le goût de présenter humblement des propositions aux Québécois et aux Québécoises.

Des propositions de quel ordre?

J’aborde des sujets qui me tiennent à cœur et sur lesquels j’ai beaucoup travaillé ces dernières années : la laïcité, l’économie, l’écologie, l’immigration, la langue, les écarts de richesse et les services publics. Et puis j’ai trouvé important, dans le dernier chapitre, de présenter notre façon de fonctionner à Québec solidaire. C’est quelque chose de nouveau : nous ne sommes pas deux chefs, contrairement à ce qu’on dit, mais deux porte-parole. Personne ne mène ni ne décide pour l’autre. Cela dit, le livre n’est pas un essai théorique ni un manuel de sciences politiques. Plutôt la réflexion d’une militante, engagée depuis longtemps, qui a la chance d’être aux premières loges de l’actualité politique. Pas encore autant que je voudrais… mais je ne suis pas trop loin!

Avez-vous songé à ne pas vous représenter aux prochaines élections?

Pendant ma pause, j’y ai pensé, même si je n’en ai pas parlé. Et je crois que si j’avais décidé, à 63 ans, de me retirer, les gens auraient compris. J’estime quand même avoir donné! Mais pendant ma réflexion, j’ai reçu beaucoup d’appuis et d’encouragements; chaque fois, ça me touchait et me donnait le goût de continuer. Un ami m’a aussi demandé : « Tu n’as pas envie de finir ce que tu as commencé? » Je me suis rendu compte que oui. Que je voulais essayer d’être élue, et de faire au moins un mandat. Sinon, j’aurais un sentiment d’inachevé. J’aime ça, la politique, et je n’en ai pas fait le tour! Et puis je suis soutenue par mon amoureux, qui m’a fait la grande déclaration en m’assurant qu’il serait à mes côtés si j’étais élue. Parce que notre relation compte aussi dans la décision…

Vous sentez-vous responsable, vous qui militez depuis tant d’années, de ne pas décevoir les gens qui vous ont appuyée?

Ça fait 40 ans que je suis engagée de diverses façons à tenter d’améliorer la vie des citoyens. L’élément « responsabilité » entrerait en jeu si j’abandonnais toute action citoyenne. Or pour moi, c’est impensable : même si je ne faisais pas de politique, je resterais impliquée. Quant au fait de me représenter ou non, je ne vois pas cela en termes de responsabilité. Je suis plutôt animée par un élan, une stimulation qui vient des gens. Par exemple, je n’ai jamais autant rencontré de chercheurs, de professeurs, ce qui me fait réaliser à quel point le Québec est une pépinière de savants, capables de nous éclairer sur les questions publiques avec beaucoup de pertinence et d’acuité. Avant, c’était facile de dire n’importe quoi aux gens; aujourd’hui, le taux de scolarisation est plus élevé et les citoyens sont très informés. Les politiciens qui les prennent pour des innocents se font « ramasser ». Tout ça me stimule.

Justement, certains politiciens croient que des citoyens engagés et au courant de tant de dossiers peuvent ralentir les prises de décisions… Comment voyez-vous cela?

Je considère au contraire que c’est une richesse! Je continue d’apprendre à propos de plein de dossiers : est-ce que j’aurais pu écrire, il y a seulement deux ans, un chapitre sur l’économie et les gaz de schiste? La réponse est non. Je fréquente de plus en plus les écologistes, et j’apprends énormément d’eux et d’elles. Je ne suis pas toujours d’accord avec leurs points de vue, mais je découvre des univers insoupçonnés. Il faut aussi dire qu’à Québec solidaire, nous nous consultons régulièrement. Ça fait partie de notre manière de faire; la collégialité est inscrite dans nos principes.

Est-ce plus difficile d’exercer un leadership quand tout le monde veut donner son avis?

Je ne dis pas qu’on a la tâche légère! Mais on sait trancher.

Vous vous dites très satisfaite des principes d’égalité et de parité adoptés par QS. Avez-vous le sentiment que les femmes ont pris plus de place dans votre parti grâce à ces efforts?

Oui! Et pourtant, j’avoue que je n’étais pas tout à fait à l’aise avec ces principes qui obligent à chercher des femmes pour assurer une représentation équitable dans les instances de QS. Même chose pour l’alternance homme-femme au micro dans les assemblées et les débats. Au début, je me disais que ce n’était peut-être pas nécessaire. Mais les femmes qui faisaient partie de l’Union des forces progressistes [NDLR : qui a fusionné avec Option citoyenne en pour créer Québec solidaire] adoptaient déjà ces principes d’égalité et nous les ont fortement recommandés. Elles avaient tout à fait raison! Car rien n’est moins acquis que la parité.

Dans un chapitre sur la laïcité intitulé Parler avec elles, vous défendez le parti pris de la Fédération des femmes du Québec, et celui de QS, contre l’interdiction du voile dans les services publics…

Je suis personnellement beaucoup plus inquiète du poids politique des intégristes chrétiens que des intégristes musulmans. Les premiers ont étendu leurs tentacules dans nos partis au pouvoir, comme le Parti conservateur, dont certains députés présentent des projets de loi privés pour criminaliser l’avortement. Je pense que le poids politique de ce mouvement est plus important que celui des intégristes de l’islam. Est-ce qu’on cherche à savoir ce que profèrent des groupuscules évangélistes, est-ce qu’on sait ce qui se dit dans les églises près de chez nous? Est-ce que quelqu’un s’intéresse à ça?

Vous pensez qu’on exagère la menace islamiste pour les Québécoises?

Oui. Au rayon des priorités, c’est une erreur d’analyse que d’accorder plus d’importance à l’intégrisme islamiste qu’à l’intégrisme chrétien. Je suggère qu’on réfléchisse à toutes les formes d’intégrisme et qu’on fasse une analyse des cibles les plus importantes à l’heure actuelle. Allons à ce qui presse le plus. Et je suis plus inquiète des quatre ans qu’on commence à vivre avec le gouvernement Harper que de la menace islamiste.

Un autre des sujets que vous abordez est la conviction que le Québec est déjà un modèle d’économie novateur. Est-ce le Québec de demain?

C’est évident, notamment au chapitre de l’économie sociale, devenue une grande force, mais dont les médias ne parlent pas. Des initiatives formidables permettent de sauver des villages, comme Saint-Camille, en Estrie, où sont aujourd’hui regroupés plus de 30 organismes ou coopératives. Plusieurs entreprises rayonnent grâce à leur caractère novateur et environnemental, telles les Fermes Lufa, qui font de l’agriculture bio urbaine sur les toits des immeubles de Montréal. Les projets d’économie sociale sont toujours présentés comme sympathiques, mais on ne va pas plus loin. On ne relève jamais le fait qu’ils fonctionnent parce qu’ils sont originaux. Sept mille entreprises en économie sociale, ce n’est plus marginal, ça commence à être important! Je dis aux citoyens que je rencontre : si vous saviez combien de gens sont engagés à rendre le Québec meilleur, vous n’avez pas idée! Je veux informer les lecteurs de cette réalité. Leur montrer que ça bouge. On a plein de raisons de se mettre en colère, mais on a aussi plein de raisons d’espérer.

Page couverture du livre « De colère et d’espoir ».
Françoise David, De colère et d’espoir. Carnet, Éditions Écosociété, , 216 p.