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Afghane, politicienne et ambitieuse

Fawzia Koofi, députée et vice-présidente de l’assemblée législative de l’Afghanistan, n’aspire à rien de moins que la présidence du pays.

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Fawzia Koofi, députée et vice-présidente de l’assemblée législative de l’Afghanistan, n’aspire à rien de moins que la présidence du pays. Son dernier livre, Lettres à mes filles, témoigne de la longue lutte qu’a été sa vie, entre autres contre l’intégrisme des talibans. Entretien avec la première femme politique afghane. L’entrevue a lieu plus tard que prévu. Fawzia Koofi a eu des réunions à Kaboul jusque dans la soirée. Mais elle répond tout de même longuement à mes questions. Au téléphone, la voix est posée, ferme, reflet de l’incroyable volonté de la députée. Ça en prend pour faire de la politique en Afghanistan quand on est une femme. Encore plus lorsqu’on est régulièrement menacée de mort. Fawzia Koofi a dû faire très tôt la preuve de sa ténacité. Sa mère, déçue d’avoir enfanté une fille, a d’abord tenté de la laisser mourir au soleil. Puis, admirant la résistance de sa fille, elle l’a soutenue contre vents et marées. Dans une Kaboul déchirée par la guerre, drapée dans sa burqa et tremblant de peur, elle attendait patiemment que Fawzia, jeune adulte de presque 20 ans, revienne de ses cours d’anglais, en pleine nuit. « Ma mère se serait sans doute précipitée d’elle-même sous les mitrailleuses pour me permettre d’aller en classe », écrit Mme Koofi dans son dernier livre, Lettres à mes filles. Quant à son père, le député Wakil Abdul Rahman, il avait six autres femmes en plus de sa mère, qu’il battait, par ailleurs. Il a été assassiné par les moudjahidin (combattants d’une armée de libération islamique) alors que Fawzia avait trois ans et demi. Malgré ses actes de violence (la mère de Fawzia disait qu’il la battait par amour!), il a été une inspiration fondamentale pour la future politicienne. C’est en suivant son exemple que Mme Koofi, alors mère de deux jeunes enfants et âgée de près de 25 ans, a entrepris de sillonner les régions pauvres du pays, en plein hiver, pour venir en aide à des Afghans à l’hygiène inexistante, craignant de mourir de froid et dont les enfants, pour la plupart mal nourris, allaient pieds nus dans la neige. À l’époque, son mari, Hamid, la soutenait dans ses actions. Mais il a été emprisonné à plusieurs reprises par les talibans et est mort des suites des mauvais traitements qu’il a subis. Fawzia Koofi dit être la seule fille de sa famille à avoir pu choisir son mari. Elle est aussi la seule à avoir poursuivi ses études. D’abord en médecine, puis en sciences politiques. Car sous le régime taliban, raconte-t-elle, les femmes n’avaient pas le droit de devenir médecins. Elles n’avaient pas non plus le droit de se faire soigner par des hommes, ce qui fragilisait considérablement leur état de santé… À la fin des années , alors qu’elle travaillait comme enseignante, elle a décroché un poste d’agente au bureau de l’UNICEF de l’ONU pour la protection de l’enfance. « Le Badakhchan était la seule région d’Afghanistan où les femmes pouvaient travailler. J’étais la seule femme de tout le pays à travailler pour l’ONU. » Même son chef ne parvenait pas à admettre qu’il avait une femme à son emploi. Quand il recevait des hommes, il demandait à Mme Koofi de fermer la porte de son bureau pour que ses visiteurs ne la voient pas… « À cette époque, dans une mosquée près de notre maison, le mollah [docteur de la loi coranique] a commencé à prêcher à propos des femmes qui travaillaient pour des organisations internationales, se souvient-elle. Il a déclaré que c’était haram, interdit, et qu’aucun mari ne devait l’autoriser à son épouse. Pour lui, les femmes ne devaient pas travailler auprès d’infidèles. En conséquence, leur salaire aussi était haram. » Selon elle, c’est pour toutes ces raisons qu’il est crucial que les femmes jouent des rôles publics en Afghanistan. « C’est ce qui permet de faire avancer les mentalités. » Deux ans après la mort de son mari, elle a décidé de se lancer en politique pure et dure. « J’avais cela dans le sang et j’étais convaincue que c’était mon destin », écrit-elle. Mais ce saut ne s’est pas fait sans heurts. D’abord, elle a dû s’opposer à son propre frère, Nadir, qui voulait poser sa candidature comme député à sa place. « La famille a été divisée : le débat a fait rage pendant des semaines, à croire que c’était une élection interne. Mais à ma grande surprise, au final, la plupart des membres de la famille se sont rangés de mon côté et ont conseillé à Nadir de ne pas se présenter », raconte-t-elle en entrevue.
Fawzia Koofi discutant avec des paysannes Afghanes.
Fawzia Koofi discutant avec des paysannes Afghanes.
En , elle a été élue députée de la circonscription du Badakhchan, puis vice-présidente de l’assemblée législative d’Afghanistan. Et elle n’entrevoit pas sereinement l’avenir de son pays. Le jour de notre entretien, une bombe avait explosé dans une province du nord, tuant un chef de police et plusieurs civils. « La guerre ne s’arrange pas. En fait, elle empire. Et le retrait des troupes étrangères ne sera pas seulement négatif pour nous, le peuple afghan, mais également pour vos propres frontières », dit-elle. Elle rappelle que c’est à la suite des événements du 11 septembre que les États- Unis, le Canada et bien d’autres pays occidentaux ont décidé de faire la guerre aux talibans, principalement pour protéger leurs propres frontières d’éventuelles attaques terroristes. Au-delà des simples questions de sécurité, Fawzia Koofi craint le recul des droits des femmes, déjà amorcé dans certaines localités sous la pression des talibans. Et le gouvernement n’y sera sans doute pas étranger : au gré de ses tentatives de faire la paix avec les talibans, il pourrait bien monnayer ces droits durement acquis, selon elle. « Il est facile de compromettre les avancées des Afghanes. » À certains endroits, les talibans ont fermé des écoles pour filles, et le gouvernement envisage de fermer des refuges pour femmes. « Des enseignantes et des enseignants ont été enlevés et assassinés. Mais des familles choisissent quand même d’envoyer leurs filles à l’école malgré tous les obstacles qu’elles doivent traverser. La société ne veut pas retourner à l’époque des talibans. » Quant à la vie de Fawzia Koofi, elle demeure chaque jour menacée. En avant-propos de son livre, la dame raconte qu’elle a écrit sa première lettre à ses filles alors qu’elle partait pour le Badakhchan. On lui avait déconseillé de s’y rendre parce qu’on avait de fortes raisons de croire que des talibans tenteraient de la tuer en posant une bombe artisanale sous sa voiture. Quelque temps auparavant, des hommes armés avaient attaqué un convoi de police chargé d’assurer sa protection. Mais chaque fois, la politicienne part malgré les menaces. « Je n’en tiens jamais compte, sinon je ne pourrais pas faire ce que j’ai à faire », écrit-elle. À ses filles, Shaharzad, l’aînée, et Shuhra, la cadette, elle souhaite pardessus tout de continuer de rêver. Parce que perdre ses rêves, croit-elle, est la pire chose qui puisse arriver.