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Hormonothérapie : la valse hésitation

La génération des baby-boomers sera aux prises avec les calamités de la ménopause au tournant du millénaire.

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La génération des baby-boomers sera aux prises avec les calamités de la ménopause au tournant du millénaire. Pour quatre millions de Canadiennes, la question controversée de l’heure sera « Vais-je ou non prendre des hormones de remplacement? »

À moins d’être prématurée ou provoquée par une chirurgie, la ménopause survient habituellement chez les femmes de 45 à 55 ans et se manifeste, entre autres, par l’arrêt graduel des menstruations. En réalité, c’est le signe d’un chambardement hormonal qui se traduit notamment par une panne des ovaires qui cessent de produire les ostrogènes et la progestérone. Le problème, c’est que le corps est parsemé de récepteurs ostrogéniques, autrement dit d’organes et de tissus habitués à recevoir leur dose d’hormones et à en tirer des effets bénéfiques. Privés des ostrogènes, les vaisseaux sanguins et les os vieillissent moins bien, ce qui accroît les risques de maladies cardiaques et d’ostéoporose.

Ce n’est là que la pointe de l’iceberg. L’arrêt hormonal perturbe aussi le thermostat intérieur, d’où des chaleurs imprévisibles qui vont du supportable à l’intolérable. Perte de sommeil, irritabilité, instabilités de l’humeur, attitudes dépressives et sécheresse vaginale sont d’autres répercussions de l’épisode ménopause.

Certaines femmes éprouvent un réel soulagement quand elles prennent des hormones reconstituées chimiquement (ostrogènes et progestérone à faible dose). D’autres refusent de s’engager dans ce qu’elles considèrent comme une sorte de contrat à vie. Enfin, il y a celles qui hésitent.

Les pour et les contre

Michèle Moreau est directrice de la Clinique de ménopause du Campus Notre-Dame du Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Médecin omnipraticienne, elle travaille uniquement en gynécologie auprès de la clientèle qui fait face à la ménopause. Pour elle, il est clair que l’hormonothérapie ne s’adresse pas à toutes les femmes et que chaque cas nécessite l’examen approfondi des raisons de l’envisager. Cependant, elle conseille généralement à une patiente d’avoir recours aux hormones si celle-ci est sérieusement incommodée par certains symptômes dont les fameuses bouffées de chaleur. Même avis si une personne est ménopausée avant 40 ans ou encore si elle présente des risques élevés de maladies cardiaques ou d’ostéoporose, à cause de ses antécédents familiaux ou de son parcours personnel.

La décision de prendre des hormones repose donc sur un bilan de santé qui peut aussi aider à définir quels sont les désagréments attribuables à la ménopause et quels sont ceux qui résulteraient plutôt des habitudes de vie et du contexte : routine sédentaire, travail ou événements familiaux stressants, alimentation peu équilibrée, tabagisme, etc. Cependant, insiste Michèle Moreau, quoi que l’on découvre et corrige, il ne faut pas sous-estimer les effets du changement hormonal. Lorsque le besoin s’en fait sentir, seuls les ostrogènes de remplacement peuvent, par exemple, mettre fin à des bouffées de chaleur persistantes.

Les supposées vertus de prévention de l’hormonothérapie ajoutent au cafouillis qui entoure la question. De fait, des études donnent à penser qu’une femme qui s’estime peu incommodée par les malaises qu’occasionne la ménopause devrait quand même songer aux hormones de substitution pour la santé future de son système cardiaque et de ses os. Certains vont jusqu’à prêter aux hormones le pouvoir de préserver une certaine jeunesse à la peau de même qu’à des fonctions du cerveau. « Je ne puis répondre par l’affirmative que pour ce qui est prouvé par les recherches actuelles, explique Michèle Moreau. Il existe effectivement un lien bien établi entre l’hormonothérapie et la protection du cour et des os. Pour le reste, la démonstration est moins claire. Mais il faut retenir que pour qu’il y ait prévention, les hormones doivent être prises de préférence à long terme, soit pendant une vingtaine d’années, et qu’un traitement de moins de cinq ans peut suffire pour diminuer des symptômes passagers de la ménopause. »

Devrait-on conclure qu’il est indiqué pour toutes les femmes de prendre des hormones aujourd’hui en prévision de l’avenir? « Il revient plutôt à chacune de connaître sa vulnérabilité cardiaque et osseuse au moyen de tests précis comme l’électrocardiogramme et l’ostéodensitométrie (mesure de la densité osseuse). Le diagnostic fait partie des éléments de prise de décision, insiste Michèle Moreau. »

L’hormonothérapie provoque-t-elle des effets secondaires indésirables? Sur ce chapitre, des femmes déplorent le retour des règles ou des saignements qui peuvent mettre quelques mois à se résorber. Par ailleurs, en cas de malaises attribuables, à coup sûr, à la prise d’hormones (rétention d’eau, syndrome prémenstruel, nausées), on peut modifier le dosage ou le mode d’administration. Il semble par exemple que les timbres transdermiques conviennent mieux à celles qui éprouvent des problèmes digestifs, tandis que les comprimés évitent les irritations cutanées.

Autre répercussion à considérer, et non la moindre : l’augmentation du risque du cancer du sein. Les femmes doivent-elles choisir entre deux maux? Il est important de savoir que les hormones de remplacement ne donnent pas le cancer. Tout au plus, le traitement peut contribuer à stimuler des cellules précancéreuses. Cela dit, des chercheurs en arrivent à des certitudes à cet égard, et les plus pessimistes d’entre eux concluent à un risque peu élevé. Cependant, la maladie cardiaque est dévastatrice chez les femmes de plus de 50 ans (40 % des décès), et l’action de protection du cour que procurent les hormones est scientifiquement démontrée. Il n’est donc pas exact de donner la même importance aux avantages et aux risques.

Alors dans quel cas est-il déconseillé de recourir à l’hormonothérapie? « Compte tenu de l’hypothèse de risque, je la déconseille quand même aux femmes qui ont, ou ont eu, un cancer du sein, explique Michèle Moreau. Je crois également que, sauf besoin pressant, elle n’est pas indiquée pour celles qui n’y croient pas du tout, pour qui le fait de prendre des pilules en raison de la ménopause est un acte qui va à l’encontre de leurs valeurs ou encore qui en craignent avant tout les effets indésirables. Par la suite, ces femmes risquent d’associer aux hormones toute fatigue ou tout autre malaise et d’éprouver des sentiments négatifs envers ce qu’elles traversent. Enfin, pour les femmes qui ont peu de symptômes et qui ne présentent pas de risques particuliers de maladies cardiovasculaires ni de détérioration des os, rien ne presse! »

Du côté des Japonaises

Des recherches menées par Margaret Lock de l’Université McGill démontrent que la ménopause n’entraîne pas du tout les mêmes inconforts chez les Japonaises, pour qui le concept même des bouffées de chaleur n’existe pas. Or, le soja, une plante très présente dans l’alimentation asiatique, est une source de phyto-ostrogènes reconnue. Peut-on en déduire que l’alimentation exerce une certaine action sur la ménopause? Lucette Proulx-Sammut, une ex-enseignante qui se passionne pour ce domaine depuis dix ans, a fait paraître plusieurs ouvrages sur la ménopause et dirige une publication mensuelle bien documentée sur la question (Une véritable amie). Ses publications tendent notamment à présenter le point de vue le plus neutre possible sur le recours à l’hormonothérapie et les solutions de rechange.

Selon elle, il est vrai que la piste japonaise a de quoi faire réfléchir aux apports autres que pharmaceutiques. Mais, au-delà de ces considérations, force est d’observer qu’au Japon la femme ne perd pas sa place dans la société du simple fait qu’elle vieillit. Au contraire, l’âge avancé lui confère une sagesse dont on reconnaît la valeur. En Occident, la norme concernant la femme semble être la jeunesse. Une fois cet atout ravi par les années, on peut se demander quelle est sa place dans le monde du travail et parmi les siens.

Tout en ne dénigrant pas les bienfaits de l’hormonothérapie, Lucette Proulx-Sammut insiste sur la nécessité de situer la cinquantaine de la femme par rapport au stress de vieillir, de devenir improductive, de ne plus être écoutée ni désirée. Les hormones n’ont pas le pouvoir de tout rétablir. Que penser alors des approches dites « douces », dont la naturopathie, la phytothérapie, l’homéopathie, l’acupuncture et les techniques de relaxation? « Le fait d’explorer ces différentes voies peut certainement signifier une prise en charge de soi et la découverte d’une façon de refaire ses énergies, estime Mme Proulx-Sammut. » Parce qu’à la cinquantaine et dans les décennies qui suivent, les femmes peuvent, à l’encontre d’un mythe dépassé, se montrer pleines de vitalité.