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La condition féminine : dans l’œil des journalistes

Nous avons demandé à quelques journalistes qui suivent les dossiers d’affaires sociales de noter les devoirs des politiciennes …

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Nous avons demandé à quelques journalistes qui suivent les dossiers d’affaires sociales de noter les devoirs des politiciennes et des politiciens en matière de condition féminine. Question de savoir si, depuis 25 ans, les interventions de l’État ont vraiment amélioré la situation des femmes. Les résultats oscillent entre excellents et passables. Dans certains cas, l’élève est carrément recalé!

Mis à part la page hebdomadaire Women’s News dans The Gazette, les quotidiens québécois n’offrent plus de section féminine depuis belle lurette. Plus récemment, disons depuis le tournant de la décennie, les journalistes attitrées pour relater ce qu’on appelle dans le métier « les sujets de femmes » ont été vouées à une lente disparition.

L’aspect positif de cette nouvelle donne, c’est qu’un peu tout le monde met la main à la pâte quand les dossiers de la condition féminine sont jugés de haute importance. Politique familiale, recouvrement des pensions alimentaires, patrimoine familial, harcèlement sexuel sont traités par les uns et les autres, au gré des disponibilités ou des affinités. Les « sujets de femmes » ont ainsi pu sortir du ghetto dans lequel ils étaient confinés, et quelques journalistes masculins s’y intéressent à l’occasion. Mais force est d’admettre que, lorsque ces questions se retrouvent à la une, bien jouées comme on dit, c’est généralement pour trois raisons. Soit qu’il y ait une controverse importante, qu’un groupe de pression est particulièrement flamboyant devant les caméras ou que les couteaux volent bas entre deux ministres… Rarement parce qu’on juge que la condition féminine concerne au moins la moitié de la population et colore l’évolution de la société entière.

L’autre côté de la médaille, c’est qu’il n’y a plus grand monde pour porter un regard rétrospectif sur la condition des femmes, puisque, par la force des choses, plusieurs journalistes suivent son état de santé d’une manière ponctuelle et décousue. Et puis, ont reconnu les collègues interviewés, cette foutue condition féminine est une question si englobante que plus personne n’arrive, au fil du temps, à la suivre à la trace.

Normand Delisle, journaliste à la tribune de l’Assemblée nationale pour La Presse Canadienne depuis 20 ans bien sonnés, a accept. de scruter de près le rendement de l’État. Des rapports de commissions, des projets de lois et des règlements, il en a vu passer des tonnes. « Dans tout l’Occident, le Québec est sans doute l’un des coins du monde où les gouvernements sont intervenus massivement pour inscrire dans un cadre juridique leur volonté de promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes. Bien sûr, ce sont les femmes elles-mêmes qui ont poussé pour en arriver là, les membres des groupes de pression et les politiciennes notamment. Mais, entre les intentions et l’application des lois et règlements, il y a souvent un fossé: celui des mentalités qui n’ont pas évolué tant que ça. On est encore bien loin des Scandinaves! »

La journaliste Françoise Guénette, animatrice à Télé-Québec et mère de deux jeunes enfants, se réjouit bien sûr de la « maternelle à temps plein », mais elle constate combien le gouvernement avait sous-évalué la résistance de certaines mères outrées qu’une partie de leur choix en éducation soit amputée — elles ont d’ailleurs fait signer une pétition de 25 000 noms. « Ce coup médiatique a amplifié le réflexe conservateur de certaines citoyennes, et il a aussi forcé le gouvernement à donner une information plus complète sur le programme en question. »

Joanne Marcotte, reporter télé (CKRS) à Jonquière depuis 17 ans, se refuse à être défaitiste. « La médiation au moment d’un divorce, c’est excellent. La Loi sur l’équité salariale qui envoie le message qu’à travail équivalent il devra y avoir salaire égal, c’est très bon, même si cela a été long à obtenir. Les groupes de pression ont si bien travaillé qu’on est forcés de donner un bulletin positif aux différents gouvernements, particulièrement à ceux du Parti québécois. Lise Payette et Louise Harel n’auraient pu compter autant de points dans un autre parti. Mais Dieu que les acquis sont fragiles! Dans les régions, avec le chômage et les compressions, les choses ont recommencé à se détériorer sérieusement pour les femmes. »

Sa jeune collègue Katia Gagnon, de La Presse, abonde dans le même sens. Les gouvernements du Parti québécois, surtout, ont fait bouger les choses, reconnaît-elle, en donnant en exemple les politiques qui touchent les garderies à 5 $, la Loi sur l’équité salariale ou encore la perception automatique des pensions alimentaires. « Mais ce n’est pas toujours par grandeur d’âme ni par esprit de justice sociale. Le gouvernement actuel réalise de plus en plus qu’il a besoin des femmes pour faire la souveraineté. J’ai été fascinée de voir le premier ministre Bouchard, au dernier conseil national de son parti, suivre un atelier de deux heures intitulé Comment parler aux femmes?. »

Parler aux femmes, c’est bien sûr aussi prendre en considération leurs demandes et intervenir pour corriger des années de discrimination. L’ex-journaliste Armande St-Jean, professeure à l’Université de Sherbrooke, accorde une bonne note aux différentes équipes gouvernementales. « J’irais jusqu’à dire que, si le mouvement féministe est resté alerte, ici plus qu’ailleurs, c’est en partie à cause du dynamisme du gouvernement et beaucoup à cause du travail essentiel du Conseil du statut de la femme. »

Là où la volonté politique fait cruellement défaut, affirment toutefois plusieurs journalistes, c’est autour de la pauvreté systémique dans laquelle tant de femmes s’enlisent. Tout comme Ghislaine Rheault, chroniqueuse au journal Le Soleil, que l’appauvrissement tangible des femmes consterne, Mme St-Jean est démontée par cette situation alarmante. « C’est à hurler de voir combien nous sommes encore promises à élever nos enfants avec beaucoup moins d’argent que les hommes et à vieillir beaucoup plus pauvrement qu’eux, et cela, toutes générations confondues. »

La pauvreté des femmes et leur combat pour une place mieux rétribuée sur le marché du travail étaient sur toutes les lèvres. « Bien sûr que la Loi sur l’équité salariale est une victoire qui sanctionne une bataille ardue », note Josée Boileau, autrefois du Devoir et aujourd’hui rédactrice en chef à l’émission Québec Plein écran de Télé-Québec. « Et, n’eut été de Louise Harel, probablement que cette loi n’aurait jamais vu le jour. » « Sans l’appui de Lucien Bouchard, surtout », poursuit Katia Gagnon. Elle en a pour preuve l’épineuse réforme de l’aide sociale que Louise Harel a perdu en quelque sorte aux mains de Jacques Léonard, président du Conseil du trésor. « Concrètement, poursuit Josée Boileau, qu’est-ce que ça donne aux femmes à court et à moyen terme? Quand on regarde la loi étriquée de l’équité salariale, dont l’application s’échelonnera jusqu’à l’an et qu’on met cela en parallèle avec les conditions catastrophiques du marché du travail, je m’inquiète et je retiens mon indignation! »

C’est clair que la majorité des femmes survivent grâce à des petits emplois à temps partiel, temporaires, non syndiqués, restreints aux normes minimales de travail si chiches. Les travailleuses ont de moins en moins accès à des emplois non traditionnels à cause des coupes et du chômage. Ce sont elles qui perdent leur poste quand il y a des cures d’amaigrissement dans les entreprises, dans les banques notamment. « La volonté politique envers les femmes serait plus probante si les gouvernements s’étaient décidés à agir dans des secteurs où la majorité d’entre elles sont prises à la gorge, renchérit Josée Boileau. Les normes minimales du travail sont à revoir de toute urgence. Quant à la politique familiale, en y regardant à deux fois, on constate que ce sont les ménages à revenu moyen et qui ont déjà des enfants qui paient la facture des services de garde ou de maternelle offerts aux familles pauvres. Pourquoi, grand Dieu, le gouvernement n’a-t-il pas fait porter la responsabilité d’aider les plus mal pris à l’ensemble des citoyens, avec ou sans enfants? »

Anne-Marie Dussault n’y va pas non plus avec le dos de la cuillère. « Bravo pour la politique des places en garderies à 5 $. Mais, pour la mettre en œuvre, on tue de petites entreprises bâties de peine et de misère par des femmes qui ont aidé à mettre en place le réseau de garderies pendant des années. C’est comme si, derrière chaque grande politique gouvernementale en petite enfance, à l’aide sociale ou en économie, ce sont toujours des femmes qui écopent pour les avancées des autres. »

La journaliste cite en exemple les compressions dans le système de la santé qui se font littéralement au détriment des infirmières et, aussi, de leur santé. Et que penser du fait que de plus en plus de médecins refusent carrément des examens médico-légaux après un viol, faute de temps, parce que les urgences débordent! Dans un hôpital de la Rive-Sud de Montréal, on a même déclaré qu’on fera un test uniquement s’il y a évidence de blessures physiques ou psychologiques chez la femme violée… « J’ai failli avoir un accident en entendant la nouvelle à la radio! Il y a 20 ans, se souvient Anne-Marie Dussault, je me suis battue avec d’autres avocates pour que s’accroisse le respect des victimes d’agression sexuelle et qu’elles puissent obtenir une défense pleine et entière. Sans cesse, des brèches s’ouvrent, et l’appareil judiciaire joue encore sur la vulnérabilité des victimes. Les sentences ne sont pas plus répressives qu’il y a 20 ans, la formation des juges est déficiente et beaucoup d’entre eux (et elles) ont échappé à l’évolution des mentalités. C’est clair qu’il y a encore trop peu de femmes juges, en regard de leur présence au barreau, pour que l’esprit change. »

À les entendre, on pourrait les croire de mauvaise humeur, ces journalistes! Pas vraiment. Je les ai surtout senties inquiètes et, par moments, sceptiques pour la suite des choses. L’État fait-il vraiment tout ce qu’il peut ou aime-t-il se gargariser de bonnes intentions, de tape-à-l’œil? Au fil du temps, ne choisit-il pas toujours de faire porter aux femmes une partie plus lourde des contrecoups des réformes économiques ou autres? La journaliste Sylvie Painchaud, reporter à Châtelaine, pousse un cri du cour : « Mais pourquoi les gouvernements ne se soucient-ils jamais d’étudier à fond l’effet des cures d’amaigrissement de l’État providence sur les femmes? Il y en a tant qui souffrent d’épuisement professionnel actuellement, à force de subir tous les effets néfastes du virage ambulatoire, de la réorganisation des entreprises, de la diminution des subventions aux groupes de femmes, etc. Elles en ont marre de tout comprimer et de tout cumuler! » Le plaidoyer bifurque sur la question de la conciliation travail-maternité. « De plus en plus de jeunes mères avec conjoint choisissent de délaisser le marché du travail et de rentrer à la maison pour un moment. Histoire de refaire le plein, de reprendre leurs billes et de préserver leur santé mentale. Le marché du travail est à ce point réfractaire à la présence des mères que beaucoup se demandent vraiment ce qu’elles y font. »

La tentation du retour au foyer n’inquiète pas trop Sylvie Painchaud, 35 ans, même si, ce faisant, les travailleuses perdent des plumes. C’est leur avancée sur le marché du travail qui prend du plomb dans l’aile. « Mais, ajoute-t-elle, tant que l’État ne se souciera pas de protéger les acquis des femmes, un certain nombre d’entre elles vont choisir de se désengager à leur tour, à leur manière… »