Aller directement au contenu

Les hommes mis à nu

À en croire les résultats du sondage exclusif de La Gazette des femmes, les Québécois seraient devenus des modèles de tolérance, prêts à contribuer à un monde plus égalitaire et parfaitement à l’aise avec les patronnes qui auraient enfin fracassé le plafond de verre de la hiérarchie des grandes entreprises.

Date de publication :

Auteur路e :

À en croire les résultats du sondage exclusif de La Gazette des femmes, les Québécois seraient devenus des modèles de tolérance, prêts à contribuer à un monde plus égalitaire et parfaitement à l’aise avec les patronnes qui auraient enfin fracassé le plafond de verre de la hiérarchie des grandes entreprises. En réalité, nombre de voix discordantes se font entendre, dont celles des disciples de l’écrivain américain Robert Bly, qui affirment que l’identité masculine est menacée. À les entendre, un solide coup de barre s’impose pour permettre aux mâles fragilisés de préserver la virilité millénaire qui gît en eux. Cela a donné aux États-Unis une curieuse mode de week-ends intensifs plutôt gadgets durant lesquels des participants épris d’antiques mythes tribaux s’amusent à jouer les hommes de Cro-Magnon autour d’un feu de camp. « Si l’on n’y prend garde, assurent les promoteurs de ces événements, les prochaines générations verront apparaître des sous-hommes, sans dignité et sans volonté. » Qu’en est-il vraiment? Les gains du féminisme ont-ils bouleversé notre société au point de plonger les mâles occidentaux dans une détresse existentielle? Les hommes s’adaptent-ils au contraire aussi bien que le supposent les sondages un peu trop « corrects » pour être crédibles?

« Si j’en crois mon expérience auprès de ma clientèle, la majorité des hommes sont tout à fait favorables à un rapport plus égalitaire et harmonieux avec les femmes qu’avant. En ce sens, le sondage de La Gazette des femmes fait état de la réalité, car le machisme primaire reste marginal. » Christian Côté, professeur à l’Université Laval et conseiller auprès des couples au Centre de consultation conjugale et familiale de Québec, estime qu’il ne faut pas non plus se surprendre du non-dit important que véhiculent les enquêtes. De fait, l’interrupteur des communications… c’est plus souvent qu’autrement l’homme. « Je vois défiler chaque mois des cohortes de boudeurs dans mon bureau. »

Si les hommes sont idéologiquement assez proches des idées féministes, ils n’en subissent pas moins de nombreuses vexations sur les terrains minés de l’organisation familiale et des rapports affectifs. « Ils veulent changer, observe Christian Côté, mais ils aimeraient le faire sans rien déranger; ils déchantent forcément au bout d’un moment. Ils disent : « Dès que j’accepte de m’ouvrir, je subis des blessures. » Ils ne pensent pas qu’assumer sa sensibilité c’est s’exposer. Ou encore : « Je fais de gros efforts pour accomplir ma part, mais il semble que ce ne soit jamais assez. » Or, quand on cherche un peu, explique-t-il, on s’aperçoit que beaucoup d’entre eux aimeraient qu’on les applaudisse, même s’ils n’en sont qu’à un minimum d’engagement dans les tâches domestiques. « On caricature à peine en leur prêtant des propos du genre : « Je me suis occupé de tes enfants, j’ai fait ta vaisselle et tu as oublié de me féliciter. » Comme on leur fait remarquer qu’il leur faudra accepter d’en faire encore plus, certains éprouvent un sentiment d’injustice, ont l’impression qu’ils sont coupables, quoi qu’ils fassent. Et les hommes haïssent profondément le sentiment de culpabilité ».

S’il admet que les Québécois vivent parfois de la détresse, Christian Côté estime qu’en faire des victimes du féminisme constituerait une inquiétante dérive idéologique. « Le discours de victime est un piège trop facilement récupéré par les traditionalistes. Les hommes vivent souvent des situations de crise, mais ce sont des souffrances de transition qui les mènent vers une réalité nouvelle. »

Cette réalité nouvelle ne serait donc faite que de pertes pour les hommes au profit des femmes? « Ah! mais il y a de fort belles choses au bout du chemin, s’exclame Christian Côté. Une intimité plus grande et plus satisfaisante qu’avant, une confiance décuplée, la reconnaissance mutuelle de la valeur de l’autre et une sexualité enrichie. Il s’agit tout de même de sacrées belles récompenses pour l’homme qui a appris à devenir un conjoint pleinement adulte. »

La quête intérieure

L’auteur et polémiste Maurice Champagne n’est pas loin de tomber d’accord avec Christian Côté, à cette différence près qu’il croit que « plus que des conjoints, les hommes québécois doivent apprendre à être des pères. » En s’appropriant le soin des enfants, ils feront d’une pierre deux coups : ils libéreront les femmes d’un tenace stéréotype traditionnel tout en s’impliquant dans un champ affectif qui, sans qu’ils s’en rendent compte, leur manque cruellement. « Il n’y a guère plus que quelques imbéciles qui osent croire que s’occuper des petits menace la virilité d’un homme. »

Maurice Champagne tient à préciser dès le départ qu’on ne le fera pas gémir sur les malheurs de ceux qui se sentent privés d’une domination exercée sans partage pendant des millénaires. Pourtant, cet homme d’idées qui avoue avoir campé avec conviction le rôle de gars féministe de service pendant des années n’est pas toujours tendre envers certaines femmes qui ont joué, croit-il, à outrance la carte de la confrontation. « On a créé la peur de l’autre tout en adhérant à des valeurs ultra-individualistes. Où était le couple et que devenait la famille dans tout ça? La révolution féministe se résumait-elle à l’affrontement de deux égoïsmes? Dans ces conditions, certains hommes n’ont pas tout à fait tort d’être amers. Surtout ceux qui croyaient véritablement au combat pour l’égalité des sexes et qui voyaient dégénérer le débat en une litanie de reproches mettant en cause leur masculinité. »

Par ailleurs, sa pratique en relation d’aide auprès des hommes lui a permis de découvrir que beaucoup d’entre eux se sentent inférieurs à leurs compagnes. « Ils admirent chez elles une compétence relationnelle, une loyauté et un sens des responsabilités qu’ils ont parfois du mal à incarner. S’il y a une chose qui fait souffrir les hommes, c’est cette fragilité qu’ils cachent soigneusement au fond d’eux. » Bien qu’il ait une sacro-sainte horreur de l’expression homme rose, « cette bibitte sans substance que les femmes elles-mêmes ont rejetée après avoir souhaité sa venue », Maurice Champagne estime que la quête intérieure qui amène de nombreux hommes à poser un regard lucide sur leurs émotions et leur être intime se révèle la seule voie d’avenir. « Alors, nous passerons de l’ère du mâle morcelé à celle de l’homme unifié. »

Parler des « vraies » choses

Même s’il ne le formule pas dans les mêmes termes, Michel Carignan a entrepris une démarche qui se situe dans l’esprit de cette recherche de soi. « Un jour, j’ai réalisé, dit ce travailleur autonome dans la jeune quarantaine, que j’avais des émotions à exprimer et que ni ma conjointe ni mes amis ne pouvaient m’aider à le faire; ma blonde, parce que je vivais des choses que je ne pouvais livrer qu’à d’autres gars, et mes copains, à cause de la trop grande réserve des hommes quand vient le temps de se confier. »

C’est en se rendant à une conférence de Guy Corneau que Michel a appris que l’auteur et psychanalyste avait formé un réseau précisément dans le but de permettre aux gars d’échanger des idées et de s’entraider. « Je ne saurais dire si les problèmes vécus par les membres ont un rapport avec le féminisme, dit Michel Carignan, mais, ce qui est sûr, c’est qu’en me joignant à un groupe j’ai rencontré des gars aux prises avec les mêmes fragilités intérieures que moi, les mêmes questionnements fondamentaux. » Les soirées des groupes du Réseau Hommes Québec s’organisent la plupart du temps autour de thèmes choisis par les membres. « Ce sont un peu les mêmes éternelles préoccupations, précise Michel Carignan : les relations avec les blondes, le rapport avec les parents, la place d’un homme dans la société. La dernière fois, nous avons parlé des tabous sexuels. Ça a brassé pas mal… »

Bien que dans la charte du Réseau Hommes Québec on ait prévu au départ de promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes, de nombreux gars arrivent, de l’aveu de Michel Carignan, « pas mal fâchés contre les femmes. D’autres ont été blessés au cours d’une relation passée. On les encourage à parler et on y va de suggestions amicales. Bien sûr, nous évitons scrupuleusement de jouer les « psy » amateurs et nous tentons autant que possible de réprimer les débordements haineux. On essaie de se faire comprendre mutuellement que nos conjointes ne sont pas responsables de certaines émotions aux causes profondes ».

Créé en 1992, le Réseau Hommes Québec compte aujourd’hui 1 000 membres répartis dans 185 groupes aux quatre coins du Québec. C’est beaucoup ou c’est peu. « Si l’on compte ceux que nous avons joints depuis les débuts, dit Pierre Gareau, coordonnateur du Réseau, plus de 4 000 hommes se sont rendus dans un de nos groupes pour réfléchir. Il ne s’agit peut-être pas d’une révolution, mais si l’on considère que le membre type est un homme prêt à se remettre profondément en question, voilà du moins des chiffres encourageants. » Un sondage maison démontre que les membres du Réseau viennent de toutes les couches de la société, « avec toutefois un pourcentage légèrement supérieur du côté des travailleurs du secteur public, précise Pierre Gareau. Cette étude nous a fait drôlement plaisir, car elle révèle que l’âge et le niveau d’instruction comptent peu dans le désir d’améliorer sa propre condition d’homme. »

Malgré le succès évident de la formule, le Réseau Hommes Québec ne recrute pas dans des proportions aussi élevées que l’avait espéré son fondateur. Cela surprend peu le philosophe Guy Bouchard. « Le problème avec ces groupes, c’est qu’ils demeurent suspects aux yeux des féministes comme à ceux des hommes. Les premières redoutent une contre-offensive misogyne déguisée en mouvement progressiste et les seconds craignent une récupération proféministe débilitante. » Il faut dire, à la décharge des mâles suspicieux, que certaines séances d’autoflagellation masculine typiques de « l’homme-roserie » des années 70 ont laissé de mauvais souvenirs à des gars un peu trop pétris de bonne volonté. « Il est évident, reconnaît Guy Bouchard, que l’on a survalorisé le féminin et jeté l’anathème sur les hommes que l’on accusait de tous les maux de l’humanité. Mais ces excès sont communs à la plupart des idéologies naissantes. Il est en effet toujours plus facile, pour bien camper sa position, de verser dans un opposé symétrique. »

Néanmoins, estime le philosophe, les mouvements comme celui qu’a fondé le psychanalyste Corneau font état d’une authentique maturité qui frappe à la porte. « Lorsqu’ils auront fait le tour de leur intérieur, les hommes s’attaqueront probablement à des questions plus « socialisantes », croit ce professeur qui fut un des premiers au Québec à pratiquer la philosophie d’un point de vue féministe. Quelle est notre nouvelle place dans la société? Quelles possibilités avantageuses — car il y en a — nous offrent les rapports égalitaires avec les femmes? Voilà des thèmes qui se feront jour naturellement dans leurs discussions. »

La colère des pères

Mais on n’en est pas encore là, et les regroupements d’hommes menacent de déraper dans le conservatisme le plus rétrograde. C’est du moins ce qui se produit aux États-Unis où des associations se créent dans le but officiel de revenir à des valeurs plus stables, mais qui, au fond, cultivent la nostalgie d’un monde révolu dans lequel les femmes étaient subordonnées au pouvoir masculin. « Ces mouvements antiféministes attirent beaucoup les pères divorcés en colère, calcule Guy Bouchard. Dans le cas où le phénomène parviendrait jusqu’à nous — ce qui n’est pas si certain étant donné nos différences culturelles avec les Américains-, nous l’aurons un peu cherché. » Il fait allusion aux jugements de garde des enfants rendus, jusqu’à très récemment, quasi systématiquement en faveur de la mère. « L’ironie de la chose, allègue Guy Bouchard, c’est que les hommes qui ont vu là un complot féministe se trompent lourdement. Beaucoup de décisions résultent d’une vision traditionnelle que de nombreux magistrats entretiennent : pour eux, le soin des enfants revient à l’éternelle maman. »

L’Organisation pour le respect des liens familiaux, créée par Jean-Dominique Riché, ressemble un peu aux mouvements américains de pères frustrés. Différence fondamentale, toutefois : le ressentiment du fondateur ne se dirige pas vers les femmes — hormis son ex-épouse, précisons-le —, mais plutôt vers la magistrature. « Je ne suis plus capable de supporter la vue d’un juge, ne serait-ce qu’en portrait, fulmine ce photographe de la région de Québec. Bien que j’aie fait la preuve que c’est moi dans le couple qui avait toujours assumé la présence parentale, malgré une expertise psychosociale favorable, j’ai perdu la possibilité de voir mes enfants parce que mon ex-conjointe a obtenu la permission de déménager dans une autre province en emmenant ma fille et mon fils avec elle. »

M. Riché est un homme déterminé. En 1993, il a entrepris sur la colline parlementaire à Québec une grève de la faim qui a duré plus de 40 jours. « J’y ai risqué ma peau, mais j’étais porté par une énorme frustration : celle d’un père privé de l’amour de ses enfants. » Dans l’esprit de M. Riché, le féminisme a trop souvent servi de cause bidon dans des affrontements juridiques personnels. « C’est trop facile de jouer la carte de la victime du pouvoir mâle quand, en outre, porter un jugement favorable à la mère relève, pour un magistrat, de la facilité. Des milliers de pères ont été victimes de cette démagogie. Peu importe, j’ai reçu des appuis de féministes, notamment d’une dame qui a œuvré auprès de victimes de violence conjugale. C’est dire que je ne suis pas trop réactionnaire tout de même… »

Hervé Anctil, professionnel du ministère de la Santé et des services sociaux, a lui aussi passé par la moulinette de la séparation, et plutôt deux fois qu’une. Frôlant aujourd’hui la cinquantaine, il estime s’en être tiré sans trop de dommages, même s’il pense que les revendications de certains hommes dépossédés de leur paternité sont tout à fait compréhensibles. Lors de sa première séparation, il a failli tout abandonner et laisser ses trois filles à son ex-femme. « C’est frustrant et insultant d’être considéré par tout le monde, juge, psy et amis, comme une espèce de parent faire-valoir qui n’arrive pas à la cheville de la maman-qui-sait-ce-qui-est-bon-pour-les-petits-enfants. Or, notre divorce était dû en partie au fait que je refusais d’être confiné dans un rôle de pourvoyeur traditionnel. Dans notre couple, le féministe, c’était moi! C’était moi qui lisait Marylin Ferguson et Benoîte Groult. C’était moi qui insistait pour que nous partagions les tâches domestiques et le travail à l’extérieur de la maison. Alors, de voir en cour le juge douter de mes compétences parentales, je trouvais ça dur à prendre. »

Laissez-moi mon hockey

Tout féministe qu’il fut, Hervé Anctil a toujours conservé un certain sens de la mesure relativement à l’aspect idéologique du mouvement. « De la mesure et du ridicule, précise-t-il. J’ai résisté à la rectitude de pensée naissante qui voulait que l’on se détourne des vilaines activités de macho. Parfois, je devais défendre mon intérêt pour la boxe et le fait que j’aimais jouer au hockey dans une ligue de garage. Et puis il y avait certaines injonctions qui tuaient la spontanéité: « Surveillez vos comportements sexistes inconscients! Parlez de ce que vous ressentez! » Il pense que, si des hommes ont souffert du féminisme, il ne s’agit peut-être pas de ceux que l’on croit. « Il est possible que des gars ressentent une grande angoisse à voir le monde changer en faveur des femmes, mais on n’éprouve pas beaucoup de sympathie envers la douleur d’un dominant qui perd ses privilèges. La précarité économique des mères monoparentales est à mon sens un scandale permanent qui mérite plus notre attention que les états d’âme de ces hommes. Quoi qu’il en soit, des hommes ont sans doute souffert injustement. Je pense à ceux-là mêmes qui ont voulu trop bien faire, allant jusqu’à remettre en question leur moi masculin, réprimant tout plaisir mâle légitime, du goût pour les autos à une sexualité un tant soit peu entreprenante. Ces gars-là ont pu éprouver de la confusion et de la détresse. »

La remarque fait sourire l’ingénieur Christian Bouchard, la quarantaine à peine entamée. « Des fois, je suis un peu déstabilisé lorsqu’une femme relève que j’ai passé un commentaire un tantinet sexiste. Il m’arrive même de me poser des questions au détour d’une conversation : « Est-ce que j’ai été macho là? » Ces épisodes de type Big brother ont, selon Christian Bouchard, quelque chose d’un peu affolant, mais il estime qu’il s’agit d’un prix à payer pour qu’il y ait un changement. « Ce n’est pas de la répression ou de l’autocensure, mais une saine vigilance, car on ne se débarrasse pas si facilement de millénaires de conditionnement. »

Hervé Anctil et Christian Bouchard ont en commun d’avoir été élevé chacun de leur côté dans une famille à prédominance masculine. Comme son aîné, Christian assure que, loin de créer une atmosphère macho, la concentration de gars dans une famille a produit une excellente introduction au partage des tâches. « Notre mère nous a « drillé » très tôt sur le ménage et le respect de la valeur des filles. » De toute évidence, il a évolué sur une autre galaxie que celle des hommes menacés dans leur virilité à cause d’une perte de pouvoir. « À un moment, il était question que je mette de côté ma carrière pour rester à la maison et m’occuper de nos deux enfants. Mais nous avons fini par conclure que nous ne pourrions nous débrouiller sans deux salaires. »

Si Christian Bouchard entretient une amertume envers les bouleversements du marché du travail qui ont suivi le féminisme, c’est de constater « qu’un peu tout le monde s’est fait avoir dans tout ça. Je ne m’explique pas que l’on soit passé d’un monde où le salaire d’un seul parent suffisait à faire vivre une famille de neuf à un autre dans lequel deux enfants en bas âge obligent les deux à travailler d’arrache-pied pour boucler le budget. J’ai l’impression, parfois, que le capitalisme y a gagné plus que le féminisme… »

« Si ça me dérange de poser nu pour une revue féministe? Tu demandes ça sérieusement? »

Michael Barnard n’a pas la virilité farouche quand vient le temps de se mettre à nu devant les femmes. Le comédien qui pose en page couverture, c’est lui. La quarantaine bien entamée, il a vécu la montée du discours féministe et traversé un divorce au bout duquel on lui a refusé la garde partagée. « Il est un type de féminisme qui m’a agacé, voire mis en colère; une façon d’excuser tous les comportements des femmes, de nier qu’elles puissent, elles aussi, avoir un côté obscur. » Il n’a pas pour autant versé dans l’antiféminisme. « Au contraire, je trouve que l’on n’en finit plus de sortir d’une époque patriarcale qui a rompu les contacts des hommes avec les enfants. » Selon Michael Barnard, ces temps anciens ont laissé leur marque sur les Québécois. « Selon ce que j’ai observé, beaucoup sont un peu comme des fils à maman qui n’arrivent pas à atteindre une véritable autonomie. J’y vois la source de souffrances pour nombre d’hommes, car ils se sentent cruellement abandonnés par les femmes qui, autrefois, s’en occupaient comme d’un enfant supplémentaire. On manque tout simplement de gars adultes au Québec. »

Sondage exclusif

(SOMLa Gazette des femmes *)

Ce que pensent les hommes après 25 ans de féminisme : Tout va bien dans le meilleur des mondes!

Vive les nouveaux pères

56 % jugent qu’ils s’occupent plus des enfants que leur père. Si la fibre parentale des hommes semble plus vigoureuse que celle des générations précédentes, il reste que 42 % d’entre eux avouent en prendre soin dans la même mesure que leur père.

52 % pensent qu’ils consacrent autant de temps auprès des enfants que leur conjointe ou la mère de ceux-ci. Tout de même, 30 % ont l’impression qu’ils en font toujours moins qu’elle.

73 % estiment que leur conjointe est satisfaite de leur participation, mais 20 % avouent qu’elle ne leur semble pas suffisante.

42 % affirment que leur conjointe leur laisse prendre beaucoup de responsabilités auprès des enfants. 22 % croient le contraire, le rôle parental étant encore une chasse gardée féminine.

Tâches ménagères : trop beau pour être vrai!

85 % participent régulièrement aux tâches ménagères. De ce fort pourcentage, 75 %croient qu’ils en accomplissent encore davantage que leur père. Les chiffres sont plus prudents en ce qui a trait à l’équité du partage des tâches dans le couple : 54 % le jugent assez équitable et 34 %, très équitable.

Les tâches les plus spontanément citées sont : laver la vaisselle (45 %), passer l’aspirateur (39 %), préparer les repas (35 %) et faire le lavage (27 %). Par contre, peu déclarent d’emblée sortir les poubelles (7 %), épousseter (7 %), laver la salle de bain (6 %), faire les courses (6 %) et le lit (4 %).

Le degré de participation aux tâches domestiques monte en flèche (94 %) chez ceux dont la conjointe travaille; chez les plus jeunes, de 18 à 44 ans, (91 %), ainsi que chez ceux qui côtoient des femmes au travail, soit des collègues (89 %) ou des supérieures (92 %). Il n’y aurait qu’un pas à franchir pour conclure que les conversations de bureau semblent exercer une influence favorable sur eux.

42 % effectuent régulièrement des tâches qu’ils détestent. Cela se révèle fréquent chez les hommes dont la conjointe travaille (51 %), l’obligation étant sans doute pressante. Quand même, le tablier ne paraît nuire en rien à leurs loisirs et à leurs activités sportives, puisque que seulement 10 % affirment que les travaux domestiques les empêchent d’en profiter pleinement.

Patriarcat : un socle fissuré

87 % sont d’accord avec l’idée que leur conjointe travaille pour permettre un partage équilibré du budget familial. 89 % jugent qu’il y a de la place pour les femmes à tous les niveaux hiérarchiques d’une entreprise. 84 % estiment d’ailleurs que leur accès à des postes de cadre ou de haute direction a un effet positif dans les milieux de travail. En revanche, 41 % considèrent qu’elles limitent le nombre d’emplois pour les hommes(!).

41 % ont des supérieurs de sexe féminin. Qu’ils soient (85 %) ou non (82 %) dans cette situation, la majorité disent être à l’aise tant avec un patron féminin que masculin. 73 % affirment ne pas se sentir plus en compétition avec les femmes qu’avec les hommes.

Si la participation des femmes à la vie politique constitue un atout à leurs yeux, elle ne réussit cependant pas à susciter un degré de confiance plus élevé que celle qu’ils accordent aux politiciens. 78 % pensent que la présence accrue des femmes en politique a apporté des changements dans les façons de faire des gouvernements. De 78 % à 81 % font tout aussi bien confiance à une femme qu’à un homme, que celle-ci soit conseillère municipale, mairesse, députée ou ministre.

Vie amoureuse : merci au féminisme

62 % pensent que les relations amoureuses ont changé depuis l’avènement du féminisme, un bouleversement qui s’avère positif dans leur cas. À peine 11  % d’entre eux vivent des frictions amoureuses à cause de ce mouvement, et 27 % pensent que leurs relations n’en souffrent pas.

Un silence suspect

Le nombre d’hommes qui ont refusé de collaborer à ce dossier a atteint une telle proportion qu’il convient de le mentionner. Il y a eu ceux qui ont signifié à ma collègue Danielle Stanton et à moi-même une fin de non-recevoir lorsqu’est venu le moment de parler de leur expérience de conjoint d’une femme reconnue publiquement. L’un est le mari d’une femme d’affaires qui a pourtant appris à s’imposer dans un monde masculin; un autre est le conjoint d’une politicienne qui n’est sûrement pas la moins féministe de toutes; un troisième partage la vie d’une communicatrice qui a tant fait pour la cause des femmes. Ont-ils peur de passer au second plan? Faut-il voir là le silence hostile du macho qui dort au fond de l’âme de l’homme? On ne peut que spéculer, mais force est d’admettre que, après des décennies de lutte féministe, pareille bouderie est suspecte.

Il y a eu aussi ces hommes qui ont refusé de livrer leur témoignage quand ils ont su que celui-ci serait publié dans un magazine féministe. Ainsi, un jeune père à la maison et un homme plus âgé qui, entrevue faite, a rappelé pour demander qu’on taise ses propos, craignant soudainement d’être « traité comme un indigène par les féministes ».

Mais le plus frappant — c’est le cas de le dire — des interviewés de cette série fut celui qui avait l’intéressante particularité d’être de droite et d’avoir marié une féministe de la première heure. J’ai choisi de l’interroger en tandem avec un copain proféministe. À un moment de la discussion, le ton monte, mon « traditionaliste » s’énerve, vocifère, se lève et vlan! il décoche un coup de poing au visage de mon « modéré ». Je me pinçais pour y croire. Le silence des uns, la violence de l’autre, voilà une somme d’éléments qui laissent planer comme l’ombre d’un soupçon d’un malaise, ne croyez-vous pas? Mais ça, non, on ne le verra pas dans les sondages…