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Jeunesse d’aujourd’hui

Si vous deviez vous réincarner, quel sexe, quelle époque et quel pays choisiriez-vous ? Près de 200 jeunes des cégeps …

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Si vous deviez vous réincarner, quel sexe, quelle époque et quel pays choisiriez-vous? Près de 200 jeunes des cégeps et des universités ont participé au concours de rédaction de La Gazette des femmes. Résultat : 75 % (128 filles et 16 gars) souhaitent … conserver le même sexe, 45 % vivraient à l’époque actuelle et 63 % s’établiraient de nouveau au Québec. Bien dans sa peau, la jeunesse d’aujourd’hui?

« Ce qui m’a frappée, c’est le nombre de jeunes qui choisiraient leur propre vie! » Chantal Maillé, professeure d’études féministes à l’Université Concordia, s’est amusée à analyser les textes soumis au concours de rédaction de La Gazette des femmes. La chercheuse en tire des conclusions réconfortantes malgré la candeur, le conservatisme parfois surprenant ou la détresse — souvent propre à cet âge à cheval entre l’enfance et la vie d’adulte — de certains jeunes. « Beaucoup semblent dire : tout n’est pas parfait, mais j’ai les outils pour faire une bonne vie et contribuer à améliorer le monde. »

VIVA LA VIDA! Il fait bon vivre, ici et maintenant

Un paradis terrestre, le Québec? Quarante-cinq pour cent des jeunes aimeraient se réincarner à l’époque actuelle — 10 % choisiraient le futur —, tandis que 65 % s’établiraient de nouveau dans notre pays! « Liberté de parole, liberté de choix; voilà un luxe qui n’a pas été accordé à tout le monde […] Chaque jour je savoure avec délectation le pouvoir que j’ai sur ma propre vie », écrit Stéphanie, étudiante en musique à l’Université de Sherbrooke.

Plus encore que les garçons, les filles semblent goûter leur vie actuelle. Soixante dix-sept pour cent des auteures, soit 128, voudraient se réincarner en femme — c’est le cas de 5 gars sur 25 alors que 21 filles aimeraient être dans la peau du sexe opposé. Elles sont heureuses et fières d’être nées de sexe féminin, répètent-elles. Les Québécoises d’aujourd’hui sont indépendantes de père et mari, réussissent mieux que leurs confrères à l’école et ont accès à tous les métiers. Même l’équité salariale, que réclament 10 % des jeunes, est en voie d’être concrétisée. « Notre capacité à être et à devenir se joue dans la tête plus que dans le pantalon ou le soutien-gorge », affirme Christiane, étudiante en traduction à l’Université du Québec à Hull.

Certaines vont jusqu’à prédire un futur au féminin, telle Joëlle, étudiante au programme général au Collège André-Grasset. « Les hommes plafonnent; l’idéal des femmes est encore un sommet [à conquérir]. La femme que je souhaite devenir détient les rênes de la société. » Le sexe « faible » est devenu le sexe « fiable », affirment aussi deux jeunes femmes. Sept auteures, dont trois hommes, estiment que le glas a sonné pour la société patriarcale. Le sexe masculin est dépassé; plus disciplinées, plus créatives, maîtres de leur destin et mieux formées, les travailleuses mèneront la société de demain, pensent 61 filles et 13 gars. « Avec toutes leurs qualités, [les femmes] guideront l’humanité dans une ère de découvertes semblable à la Renaissance », croit Jason, étudiant en sciences de la nature au Collège de l’Outaouais.

Évidemment, toutes ne voient pas la situation d’un si bon œil. Elles sont nom breuses à dénoncer le matérialisme, l’injustice, la violence dont les femmes sont encore si souvent victimes. « La pire des choses qui me soit jamais arrivée, c’est d’être née femme », affirme Anick, étudiante en sciences de la nature au Cégep de Matane. De l’agression sexuelle aux douleurs de l’enfantement, de la discrimination professionnelle à la triple tâche, la souffrance marque davantage la vie des femmes, croient plusieurs auteures. « À quoi je pense lorsqu’on me mentionne le mot femme? Menstruations, pilule contraceptive, manipulation, lutte pour des droits, apparence, émotions mélangées. Paquet de troubles », déplore Cindy, étudiante en technologie des médias au Cégep de Jonquière, qui voudrait bien renaître en homme. Pour Marie-Christine, en littérature à l’Université Laval, « naître dans le corps d’une femme signifie […] ne pas avoir droit à la naïveté. » Jennyfer, étudiante en lettres au Cégep de Drummondville, va jusqu’à affirmer que « le seul avantage d’être une femme est de payer moins cher pour assurer son véhicule! »

Malgré cela, la plupart des participantes ont l’air bien dans leur peau, constate avec plaisir Chantal Maillé. « Même si certaines féministes de la vieille garde refusent de l’admettre, il y a aujourd’hui des espaces de liberté pour les jeunes femmes. » Plusieurs n’ont jamais vécu de discrimination ouverte et se sentent parfaitement capables de s’accomplir dans notre société, ce que confirme Guylaine, étudiante en sciences de la Terre à l’Université Laval : « Comment une femme dans la fleur de l’âge peut-elle encore souffrir d’infériorité [face à l’homme]? » « Il faut s’indigner des propos qui sous- entendent que nous devrions nous contenter de ce ciel encore incertain », met cependant en garde Evelyne, étudiante en service social à l’Université de Montréal.

MERCI MAMAN L’éloge de la continuité

« Comment parler de moi sans parler de nous toutes? », demande Valérie Lavoie, étudiante en enseignement à l’Université du Québec à Chicoutimi. Elles sont nombreuses les femmes que les jeunes admirent. Plusieurs de nos auteures rendent hommage aux pionnières de la lutte féministe comme Marie Gérin-Lajoie, Emily Murphy ou Idola Saint-Jean. La jolie princesse telle Lady Di… représente la deuxième catégorie des « grandes » femmes le plus souvent citées. Suivent les « intellectuelles », dont Marguerite Yourcenar et Elizabeth Badinter, puis… les femmes au foyer, Filles du Roi et fécondes épouses de l’époque de la Revanche des berceaux.

Au palmarès des modèles féminins, Hillary Clinton, Lise Payette et Marguerite Bourgeoys côtoient Denise Bombardier, la Marquise de Pompadour et la kayakiste Caroline Brunet, tandis que Nefertiti voisine avec la poétesse médiévale Louise Labé et la Reine Marie-Antoinette. Thérèse Casgrain est citée trois fois, comme Lucille Teasdale, Simone de Beauvoir, Cléopâtre, Marie Curie, Jeanne d’Arc et Julie Payette. Anne Hébert, Marylin Monrœ, Simone Monet-Chartrand et Sissi impératrice d’Autriche sont à égalité (deux mentions chacune). Au top du hit-parade (cinq mentions), la moins glamour des vedettes : mère Teresa!

Quel qu’ait été leur métier ou leur destin, les femmes de jadis inspirent les filles d’aujourd’hui. Les participantes se disent reconnaissantes à ces pionnières pour avoir rendu plus juste le monde qu’elles habitent aujourd’hui. « Je me vois mal en Jeanne d’Arc du droit des femmes. Cependant, je me sens forte aujourd’hui et je sais trop bien que c’est grâce à ces femmes qui ont assumé le rôle pour moi », écrit Yanic, étudiante en géographie à l’Université Laval.

« On pense souvent qu’il y a une amnésie pour l’histoire des femmes; mais plusieurs jeunes sont très au courant », remarque Chantal Maillé. Les jeunes femmes valorisent aussi beaucoup le lien mère-fille. L’une d’elle a rédigé une lettre d’amour à sa mère morte; une autre, un texte pour sa fillette qui va naître. « Il y a une volonté de s’inscrire dans la lignée des femmes de la maison. »

LIBERTÉ, ÉGALITÉ, SORORITÉ La lutte pour un monde meilleur

« Réconcilier toutes les femmes et tous les hommes autour de principes fondamentaux telles la justice et l’égalité », voilà ce que propose Mélanie, étudiante en sciences humaines au Cégep Garneau. Sus à la pauvreté, à la violence, à l’intolérance! Les enjeux sociaux représentent la plus importante préoccupation de nos jeunes auteures. Par dizaines, elles se sont glissées dans la peau de coopérantes internationales, de militantes des droits de l’« Homme », de chamans guérisseurs ou d’enseignantes. Certaines ont poussé la philanthropie jusqu’à vouloir se réincarner dans un pays en développement afin de mieux mettre la main à la pâte! « On sent beaucoup de générosité dans les projets de vie », remarque Chantal Maillé, qui souligne au passage « l’approche éthique » de plusieurs participantes.

Leur rêve de justice ne se confine pas au Canada. « On dit souvent que les Québécois ont peu d’intérêt pour les questions internationales, rappelle la professeure. C’est faux. » À preuve, plusieurs s’inquiètent du sort fait aux femmes voilées, violées, excisées. « Ces sœurs de l’humanité entière qui […] sont étiquetées comme impures, révolutionnaires. Révolutionnaires de vouloir rêver, d’avoir des projets, révolutionnaires de vouloir vivre! », s’indigne Karine, étudiante en sciences humaines au Collège Gérald-Godin, dans son Manifeste d’une femme libre.

Cette sollicitude inquiète fait plaisir à Chantal Maillé. « Pour attirer les jeunes femmes vers le féminisme, il faut leur vendre l’idée de la solidarité. La réalité des femmes n’est pas la même pour toutes; celles qui se sentent libres doivent continuer de se battre pour celles qui ont moins de chance. »

J’AI RATÉ LA RÉVOLUTION Des féministes sans combats

« Je suis née femme et jamais je n’ai souhaité qu’il en fut autrement, écrit Martine, étudiante en littérature à l’Université Laval. Mais […] je suis frustrée. Je suis l’enfant du féminisme, je n’en ai pas vécu les batailles. Je suis coincée dans l’après, l’après révolution, ses ajustements et ses critiques. » Dans plusieurs textes perce une intense nostalgie des grandes batailles féministes. Certaines jeunes femmes ont l’impression d’avoir « raté » la révolution. Le droit de voter, de divorcer, d’étudier, d’exercer le métier choisi… toutes les luttes que nos mères ont menées. Au nom de quoi se battre maintenant? « On est tellement bien. Plus personne n’a d’idées révolutionnaires parce qu’on n’a presque plus de raisons pour chialer », déplore Émilie, étudiante en sciences humaines au Collège de Sherbrooke, qui souhaiterait retourner 100 ans en arrière pour devenir mère de 12 enfants! « Là j’en aurais eu des centaines de raisons pour exprimer toute l’injustice du sexisme. […] J’aurais pu être celle qui aurait révolutionné les relations hommes-femmes. »

Sauf la spectaculaire Marche des femmes, pourtant rarement évoquée dans les textes, les luttes actuelles paraissent bien ternes aux yeux de certaines. Sont-elles même utiles? « J’aimerais en finir avec les réclamations, les revendications, les marches qui n’aboutissent pas. Je voudrais avoir un statut clair, stable, jamais mis en doute ou défié », écrit avec lassitude Mejda, étudiante en sciences politiques à l’Université du Québec à Montréal, fille d’un père qui voulait des garçons et d’une mère qui la plaignait d’être née femme…

Vingt-trois filles comprennent toutefois la nécessité de poursuivre la quête féministe, même si elles refusent cette étiquette qu’elles associent aux bûchers de soutiens-gorge. « La loi sur l’équité salariale ne viendra pas boucler l’égalité entre les sexes », prévient Claudia, étudiante en littérature à l’Université Laval. Malgré tout, huit auteures pensent qu’on n’a plus besoin de ce mouvement, alors que deux autres avouent être féministes… mais pas lesbiennes ni frustrées.

DANS LE TEMPS… L’idéalisation du passé

Dix-sept jeunes voudraient vivre au Moyen-Âge. Onze, à l’époque coloniale en Nouvelle-France. « Sept voudraient même revivre la Genèse, s’exclame Chantal Maillé, médusée. Les jeunes ont une culture religieuse qu’on ne soupçonne pas! » Quitte à afficher une méconnaissance ahurissante des conditions de vie qui prévalaient jadis, 34 % ont choisi de se réincarner dans le passé — dont 3 dans l’Antiquité, 2 à la Renaissance, 19 du XVIIe siècle jusqu’au début du XXe, ainsi que 15 dans les années 20 à 70. « Je m’imagine belle princesse, dans ma robe de velours bleu et or, me faisant courtiser par un prince charmant », écrit Émilie, étudiante en technologie des médias au Cégep de Jonquière. Une trentaine de rêveuses se sont glissées dans la crinoline d’une aristocrate oudans les hardes d’une génitrice au temps de la colonie. « Je pouvais parfois mettre le doigt sur la série télévisée qui avait inspiré le texte », rigole Chantal Maillé. Parmi les favorites : Les filles de Caleb, Sissi impératrice d’Autriche et Autant en emporte le vent. Ces fantasmes sont inoffensifs, pense la professeure d’études féministes. « Plusieurs de mes étudiantes ont joué à la poupée Barbie étant petites. Ça ne les a pas empêchées d’assister à mes cours plus tard. N’y a-t-il pas moyen de réconcilier le féminisme avec la fantaisie? »

Chose certaine, les rôles traditionnels des sexes sont encore très présents à l’esprit de plusieurs. Johannie, étudiante en sciences humaines au Collège de Sherbrooke, préfère « l’époque de rêve » de la Nouvelle-France : « Je me vois facilement mère d’une famille de dix enfants avec un bon mari travailleur qui s’occupe de notre terre… » Dans la même veine, Édith, en arts et lettres au Cégep de Saint-Hyacinthe, souhaite revenir à « l’époque où les traditions avaient encore un sens » dans la peau d’un de ces « mâles habitants de la terre », père d’une quinzaine d’enfants : « à qui je léguerais mon bagage génétique […] Je veux être riche de possessions simples (maison, terre, enfants) […] Avoir un rôle bien défini qui, une fois rempli, me satisfait au plus haut point. […] Juste être considéré comme viril. »

D’une certaine manière, le rêve du pionnier colonisateur est toujours actuel, philosophe Jean-Christian, étudiant en enseignement à l’Université du Québec à Hull (et nouveau papa). Non, lui et sa conjointe ne bêchent pas la terre, comme il le décrit dans son texte. « Nous défrichons notre vie des préjugés que nous y entretenions et des valeurs qui ne s’accordent plus à notre définition du bonheur. »

NOUVELLE VICTIME? Un homme et son péché

« Être un homme : jamais en toute conscience je ne voudrais en redevenir un, clame David, étudiant en enseignement à l’Université du Québec à Montréal. Les hommes sont les indignes représentants de la recherche perpétuelle […] de l’abus de pouvoir. » Heureusement pour la courbe démographique du Québec, la plupart des auteures jugent moins sévèrement leurs confrères. Elles sont même assez tendres envers eux. Dix filles (et quatre gars), décrivent l’homme comme un prince charmant, du style « chevalier en armure », tandis que 21 auteures, et deux étudiants, voient en lui le meilleur ami de la femme, doux et tendre, du style « le mari parfait ».

D’autres jeunes femmes sont ambivalentes, telle Samira, étudiante en littérature à l’Université de Montréal. « L’homme privé n’a pas changé, mais probablement que l’homme social a adopté une certaine […] empathie pour notre cause. » En fait, la majorité des gars se montrent sensibles à la cause de l’égalité entre les sexes. Certains, émus par la Marche des femmes, affichent sans honte leur féminisme. « Il serait temps que les hommes aussi marchent pour l’avenir de leurs filles », dit Maxime, étudiant en sciences humaines au collège de Sherbrooke.

Curieusement, sept femmes — mais pas un homme! — s’inquiètent des retombées négatives de la quête féministe. Les garçons ont perdu leurs repères sociaux, écrit Mathilde, étudiante en lettres au Cégep de Rosemont : « Si l’avenir se poursuit comme je le prévois, […] les pauvres victimes seront les hommes. » « Suis-je si fort?, se demande Christian, étudiant en enseignement à l’Université du Québec à Chicoutimi. Je n’y crois plus… » Mais la mort annoncée du sexe masculin est encore loin. La majorité des jeunes hommes croient mener une vie plus facile que celle de leurs consœurs. D’autres affirment que la lutte est désormais égale. « La vie sème peut-être ses embûches différemment selon le sexe, mais à la ligne d’arrivée tous deux ont ri et pleuré », souligne Annie, étudiante en biologie à l’Université Laval.

La majorité des jeunes femmes estiment toutefois qu’il reste à établir un véritable partenariat avec l’homme afin de parvenir à l’égalité. « La diminution de la discrimination [sexuelle] passe aussi par la valorisation de l’homme par d’autres moyens que le travail et le sport », écrit avec justesse Linda, étudiante en service social à l’Université Laval.

MON VENTRE, CE SANCTUAIRE Le mystère de la maternité

« Mais c’est épouvantable! Ces jeunes filles reprennent le discours du pape! » Voilà comment a réagi une collègue de Chantal Maillé en feuilletant les textes du concours. Ne lui en déplaise, le premier réflexe des jeunes (soit 25 % d’entre eux) pour dépeindre la femme est de la magnifier par la maternité. Et ils en parlent en des termes sacrés. Sous leur plume, la grossesse devient un « mystère » et l’accouchement, un « don de vie », ce qui élève pratiquement la mère au rang de déesse. « Le ventre d’une femme est un sanctuaire et une caverne, bouillant et chaud comme le centre de la terre », écrit Amélie, étudiante en lettres au Cégep de Matane.

Les jeunes veulent des enfants. Plusieurs enfants. « Quelle chance de se trouver au premier rang du spectacle de la vie! », s’extasie Majorie, étudiante en lettres au Cégep de Lévis-Lauzon. Ce que Catherine, du même programme au Cégep François-Xavier Garneau, a baptisé le « baiser de la naissance » fascine les filles comme les garçons. « Je veux pouvoir vivre la puissance créatrice de la vie à l’intérieur même de mon corps », s’enflamme Karine, étudiante en sciences et lettres au Collège de Sherbrooke. Pour Julie, en lettres et communications au Collège de Limoilou, qui écrit une lettre à son enfant, ce sentiment est plus fort que tout : « Si je pouvais recommencer mon existence en tant qu’homme, je refuserais haut et fort parce que je ne pourrais pas te sentir bouger en moi. […] je n’échangerais ce sentiment de plénitude pour rien au monde. »

Plutôt bon signe, croit Chantal Maillé. « Oui, certains textes sont conservateurs. Mais la plupart des gens se montrent simplement émerveillés par la maternité. » Que le sujet soit traité avec tant de force a toutefois interloqué la professeure. « Les différences sexuelles s’amenuisent tellement qu’on va à ce qu’il y a de plus évident : la procréation », analyse-t-elle.

LA VIE EN ROSE ET BLEU Plus ça change, plus c’est pareil

Si seulement je pouvais être un « hemme » ou une « fomme », soupire avec un brin d’ironie Marie-Hélène, étudiante en arts et lettres au Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue à Rouyn-Noranda. Je pourrais pisser debout tout en pleurant à chaudes larmes sur une chanson de Piaf! À l’aube de ce troisième millénaire, les jeunes sont remarquablement peu affranchis des clichés sur les rôles sexuels, s’étonne Chantal Maillé. « Les jeunes femmes semblent se sentir encore très astreintes à intérioriser le stéréotype féminin. » Certaines portent leur féminité comme un fardeau, d’autres comme un drapeau. Mais plusieurs évoquent la nécessité de se maquiller, de s’habiller joliment ou souffrent de ne pas correspondre aux canons de beauté.

Quant à la double morale, elle est encore bien vivante. Comme le démontre Fanie, étudiante en administration à l’Université de Sherbrooke, dans son désopilant essai de terminologie : la « vilaine salope » devient au masculin un « sympathique coureur de jupons »; la « carriériste ambitieuse », un « dynamique professionnel »; la « pathétique amoureuse de jeunes hommes », un « vieux loup séduisant épris d’une jeunesse »; et la « vieille fille désespérée », un « célibataire endurci »!

Si certaines participantes invitent à l’affranchissement, d’autres ont une vision pour le moins traditionnelle du rôle respectif des sexes. « L’homme reste celui qui détient cette force physique et extérieure et qui, d’instinct, veut protéger sa femme et ses enfants. La femme demeure toujours celle qui détient le pouvoir intérieur, la capacité de sentir les choses et d’émouvoir », écrit Chantal-Laure, étudiante en lettres au Collège Dawson, qui accuse carrément les féministes d’avoir usurpé le rôle des hommes dans la société! « Personne ne sait ce qu’est vraiment un homme ni ce qu’est vraiment une femme : on sait seulement ce que devrait être une femme et ce que devrait être un homme », analyse pour sa part Fanie. Comme quoi 150 ans de féminisme n’ont pas suffi à éteindre le débat entre les moralistes qui, pendant des siècles, se sont disputés sur la valeur et le rôle respectifs des deux sexes…

Surprise!

La majorité des jeunes (71 %) prônent des valeurs égalitaires. Leur aspiration première? Un monde meilleur où se vivraient notamment l’égalité des chances, l’équité salariale et le respect de l’environnement. L’altruisme voisine cependant avec l’individualisme puisque leur second cheval de bataille est… la liberté tous azimuts (au diable les contraintes du monde moderne), la quête du plaisir (sexe et fun) et l’hédonisme (vie oisive et sans souci). Surprise : le mythe de la maisonnette (mariage, maison, marmaille) devance les revendications égalitaires tels la lutte à la violence faite aux femmes ou encore le partage des tâches ménagères et parentales.

Esprit de contradiction

Beaucoup de jeunes (53 filles et 5 gars) pensent que la société est parfaitement égalitaire, ou presque, pour les deux sexes. Mais la majorité de ceux qui parlent de leur vision de l’homme et de la femme se rallient aux stéréotypes sexuels courant dans les sociétés patriarcales. Les qualités intrinsèques qui qualifient d’abord Monsieur, selon 21 filles et 6 gars? Grand, beau, fort (le chevalier en armure), à la fois doux et tendre (le mari parfait). Les qualités intrinsèques qui qualifient d’abord Madame, selon 98 filles et 15 gars? Magnifiée par la maternité, belle, séduisante, douce, fragile, émotive, intuitive : bref, véritable chef-d’œuvre de la création, elle est plus sensible que l’homme et est faite pour l’amour. Hum! Hum!

Le salaud, a femme forte et la victime

Quand ils ne font pas de l’homme un portrait idéalisé de prince charmant, celles et ceux qui se prononcent sur la question (23 filles et 7 gars) le dépeignent surtout comme un abuseur, déchu et dépassé, qui a perdu ses repères sociaux. Quand elle n’enfile pas la crinoline de la belle princesse, la femme est surtout qualifiée (par 61 filles et 13 gars) de brillante, influente, créative, moralement supérieure à l’homme et plus apte que lui à diriger le monde. Par contre, dans une moindre mesure (selon 34 filles et 6 gars), elle endosse le rôle de la victime, complexée par l’irréaliste modèle de la beauté, vouée à la souffrance, socialement vulnérable et épuisée par la triple tâche. Matière à réflexion.

Œil pour œil…

Un être poilu et un peu bête, doté d’un pénis. Voici la définition la plus politiquement incorrecte de l’homme, proposée par cinq étudiantes. Deux gars n’y sont pas non plus allés avec le dos de la cuillère et ont dépeint la femme comme… une jolie servante.