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Juliette des surprises

À 19 ans, elle chante Boby Lapointe, Vian et Piaf dans les pianos-bars de Toulouse, avant d’enfiler petits concerts de province et clubs vacances.

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À 19 ans, elle chante Boby Lapointe, Vian et Piaf dans les pianos-bars de Toulouse, avant d’enfiler petits concerts de province et clubs vacances. Vers 1990, elle débarque à Paris, son premier album, Que Tal?, sous le bras. Le choc est réciproque. Depuis, Juliette, née Nourredine, a signé cinq autres disques magnifiques. Rencontre avec une auteure-interprète plus grande que nature.

Annie Savoie : Vous n’avez pas le physique d’une jeune première et votre style musical n’est pas exactement commercial. Est-ce que cela vous a nui?

Juliette : Un peu, au début. C’est sûr : vous voyez bien les icônes qu’on nous demande d’adorer! Mais comme le chante Alain Souchon, les gens ont au fond d’autres désirs. Donc, dès que quelqu’un d’original réussit à se faufiler dans ce monde aseptisé, ça fait boom! C’est vrai, je n’ai rien des petites Lolita qui viennent, font un disque, puis disparaissent. Elles sont interchangeables, même s’il y a des exceptions, comme Vanessa Paradis qui a finalement un vrai tempérament. Ça m’amuse beaucoup de faire des pieds de nez aux gens qui, il y a dix ans, m’ont dit que je n’entrais pas dans le moule. Il faut dire que je n’ai pas l’ambition de gagner beaucoup d’argent, ou d’avoir du pouvoir. Franchement, je m’en fous comme de l’an 40! Pour moi, le bonheur et la reconnaissance passent par autre chose. Cela dit, je suis contente de bien gagner ma vie et d’avoir un toit sur la tête.

Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans votre métier?

La scène, avant tout. Par ailleurs, je ne suis pas accrochée à mon métier. J’ai très envie d’avoir d’autres intérêts. Qui sait, piloter un Bœing! Toutefois, ça m’étonnerait, à cause de mes yeux… Mais la scène, c’est une excitation, une passion. Un pur moment, où rien d’autre n’existe. Je dis que je n’ai aucune ambition, mais en fait, quel pouvoir! Mille personnes m’applaudissent et repartiront changées parce que je serai intervenue dans leur vie. C’est grisant. J’aurais du mal à me passer de ça.

Avez-vous commencé tôt à signer vos textes et vos musiques?

Oui, dès les années de piano-bar. J’ai toujours été un peu cabotine, donc j’écris ou je me fais écrire des chansons qui appellent ce genre d’interprétation. J’aime les textes bien fignolés, les textes littéraires, qui révèlent encore quelque chose à la cinquième écoute. Quel dommage quand une chanson épuise tout son suc en une fois!

Curieusement, à part vos propres textes, ce sont des hommes qui signent les paroles de votre dernier album « Juliette, chansons et rimes ».

Comme ce sera formidable quand on ne parlera plus d’hommes ou de femmes, mais d’êtres humains! Il y a des hommes sur la bonne voie, vous savez. Voyez comment Pierre Philippe, l’auteur de Rimes féminines, parle des femmes. Il a ce recul que les femmes n’ont pas toujours, dans la lutte. Rimes est une vraie chanson militante, mais sans faiblesse, parce qu’il n’y a pas de condescendance, de trucs pathétiques…

Le militantisme, ce n’est pas votre genre?

C’est vrai, je n’ai pas l’âme d’une militante. Sauf que je m’énerve très fort pour certaines causes, quand le simple fait d’être une femme vous empêche d’appréhender le monde dans sa totalité. Je pense aux femmes de l’Orient et aux victimes des religions de tout poil, pas seulement de l’islam. Je n’ai pas peur d’appuyer l’avortement et la parité hommes-femmes, mais je ne veux pas mélanger la parole publique avec celle de la chanteuse. Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’on est une femme qu’on est mieux que les mecs et inversement. Un jour, il va bien falloir séparer l’humanité en deux : les abrutis et les autres!

Parlant d’abrutis, est-ce que les propos grossiers de certains politiciens français à l’égard de leurs collègues féminines vous choquent?

Vous savez, quand ils sont entre eux, ils se traitent de pédés. J’ai des copines dans les Chiennes de garde, un groupe qui dénonce l’attitude de ces politiciens, mais, moi, les insultes ne me font pas peur. Le politiquement correct m’inquiète davantage. Bientôt, on ne pourra plus employer des mots crus par crainte de blesser telle ou telle communauté. Danger! Bon, c’est vrai que les mecs provoquent les femmes quand elles montent à la tribune. Elles n’ont qu’à répondre, si elles se font traiter de salopes! D’ailleurs, certaines le font. À mon avis, il y a des enjeux plus importants à surveiller, notamment la remise en question de la liberté de contraception. En France, les plannings familiaux ont disparu corps et biens. Il y a maintenant des vagues d’adolescentes qui se retrouvent enceintes parce qu’elles n’ont pas eu l’information réelle sur la contraception. En temps de sida, elles n’utilisent pas de capotes. La pilule et les autres contraceptifs, n’en parlons pas.

Vous aimez bien la provocation, non? Dans « Petits métiers », par exemple, vous semblez d’abord chanter la nostalgie de métiers aujourd’hui disparus. Puis vous glissez vers des métiers surprenants…

Ça me ressemble. Je sais que je cours au-devant des ennuis, mais je choisis des mots bien gras, quitte à vexer les gens avant de discuter. Vous savez, chez nous, les racistes qui n’aiment pas les Arabes ne disent jamais « Arabes », mais « Maghrébins », ou « personnes de couleur » pour les Noirs. Moi, je ne suis pas raciste et je dis « nègre ». Le mot existe et il est marrant. Oui, je provoque, mais je dis aussi : « Je ne suis pas dupe. Ce n’est pas parce que tu as la peau colorée que tu es forcément quelqu’un de bien ou de mal ». On est en train d’appauvrir la langue avec des périphrases comme « personnes de petite taille ». Les mots existent, employons-les! Il n’y a rien de péjoratif à dire qu’un nain est un nain. Pour revenir aux Petits métiers, avez-vous remarqué que les pires métiers sont ceux des femmes? « Bourreuse de mou », « gonfleuse de couilles »: ça, c’est de la provocation! Et c’est le même Pierre Philippe qui l’a écrite.

Dans une autre veine, que signifie pour vous « L’étoile rouge », un texte à la gloire des communistes?

Disons que la victoire ricanante des idéologies dominantes, prétendument démocratiques, m’agace. L’étoile rouge, que j’ai écrite avec Franck Giroud, est une chanson militante, mais très nuancée. Elle parle de gens qui ont fait avancer le monde. Selon moi, le communisme est une idée qui n’a pas été vraiment appliquée et qui a encore de beaux jours devant elle. J’étais furieuse quand il y a eu toute cette propagande pour comparer les méfaits du communisme à ceux du nazisme. Quelle façon insidieuse de retourner l’âme des gens! Alors que le grand vainqueur de toutes les idéologies, c’est le commerce.

Pessimiste quant à l’avenir?

Comment les choses pourront-elles s’arranger si l’on fait croire aux gens que le bonheur, c’est d’avoir? Pas d’être, mais d’avoir. En France, on voit les gamins des banlieues pauvres brûler des voitures ou tuer des flics. Font-ils la révolution, ce qui pourrait changer le cours de l’histoire? Pas du tout. Ils veulent des Nike ou des Adidas! C’est insupportable comme idée. Ce qui les rend malades, ce n’est pas de manquer d’une vie normale, d’un travail, d’une possibilité d’apprendre. Ce qui les intéresse, c’est de posséder! On ne peut pas continuer à fonctionner dans un monde où un type possède à lui seul l’équivalent du PNB de la Belgique. J’ai lu ce chiffre quelque part : si les 400 mecs les plus riches du monde renonçaient à 1 % de leur fortune, ils réussiraient à nourrir, soigner et éduquer le reste de la planète. Un pour cent!

Juliette, la petite fille, a reçu quel genre d’éducation?

Mes parents m’ont fourni les bonnes armes. Pas toutes les réponses, mais sans doute les moyens de les trouver. Ça, c’est la vraie chance. D’ailleurs, je suis persuadée que seule l’éducation peut donner aux gens les moyens d’être eux-mêmes, de découvrir ce qui est bien et ce qui est mal. Si une femme se sent à l’aise dans le rôle de la petite fille qui attend le Prince charmant, que ce soit une décision de sa part et non un modèle imposé par la société. La plupart du temps, ces choix sont dictés par l’environnement. De la même manière qu’on oblige les pauvres garçons à être héroïques : « Pleure pas, t’es un homme ». Ces stéréotypes ne correspondent à rien. Si une femme a envie d’être pompier, de parler comme un charretier, de jouer au football avec ses gamins, c’est super. Et si le père, pendant ce temps, préférait tricoter au coin du feu, ce serait génial. Mais c’est compliqué de remettre en cause les modèles.

Société de consommation, difficulté de briser les stéréotypes… Est-ce que ça vous agace, l’image de la femme mince, sexy, inaccessible projetée dans les médias — et qui donne l’impression que le plaisir n’appartient qu’aux pin-ups?

J’ai lu récemment 99 francs de Frédéric Beigbeder. L’auteur fait des comparaisons très osées entre les figures qu’on voit à la télé, les grandes blondes qui font du surf, etc., et les Aryens des films de Leni Riefenstahl qui travaillait pour les nazis. Quant au plaisir, heureusement que les beautés ne sont pas les seules à avoir droit à une vie sexuelle. Ce qu’on s’ennuierait, nous! (Rires.)

Êtes-vous heureuse?

Je suis bien dans ma peau. La vie est belle, finalement.