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Linda roy l’accompagnatrice

Belle bohémienne dans la série Gypsies, violoncelliste dans Juliette Pomerleau et jeune avocate dans À nous deux, Linda Roy incarne au petit écran des personnages passionnés aux multiples facettes.

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Belle bohémienne dans la série Gypsies, violoncelliste dans Juliette Pomerleau et jeune avocate dans À nous deux, Linda Roy incarne au petit écran des personnages passionnés aux multiples facettes. La comédienne a choisi d’accompagner des malades en phase terminale. Lucide, elle parle de la mort avec sagesse.

Que cherchiez-vous en prenant cette voie?

J’étais en quête d’un je-ne-sais-quoi. De spiritualité sans doute. J’adore mon métier, mais je sais qu’il est par moments très superficiel. L’absence de continuité entre chaque production crée des manques. Et tous les comédiens risquent le piège du narcissisme, qui est souvent malsain.

Vous aviez besoin d’authenticité…

Peut-être. La première fois que je me suis retrouvée dans la chambre d’un mourant, j’ai tout de suite su quoi faire. D’instinct. J’étais calme, ouverte, prête à tout entendre. Cela a été une révélation extraordinaire. Je trouvais étrange d’être attirée par la mort et j’ai voulu comprendre pourquoi j’en étais là. Je me suis beaucoup renseignée sur la question. Pendant trois ans, j’ai réfléchi mûrement pour finalement conclure que tout m’amenait à l’accompagnement.

Pourquoi au juste?

Des dizaines de raisons, mais, entre autres, parce que je n’ai pas d’enfant. Cet amour inconditionnel que j’aurais pu lui donner, j’en ai plein les mains. Une personne qui se meurt a aussi besoin qu’on la prenne telle qu’elle est, sans la juger.

Par où avez-vous commencé?

En , j’ai proposé mon aide à l’hôpital Notre-Dame, à Montréal, mais la liste d’attente de bénévoles était interminable. J’ai donc suivi une formation au Centre de gériatrie de l’Université de Montréal. Accompagner des personnes âgées me permettait de m’approcher doucement de la mort. À pas de souris. La chose est plus naturelle à ce stade de la vie.

En quoi consiste cette formation?

Une infirmière expérimentée nous apprend à fonctionner selon le principe de la relation d’aide. On devra travailler avec ce qu’on est. C’est notre coffre à outils. Chaque personne évalue ses forces et ses faiblesses. On nous enseigne la façon d’être avec un mourant. Que dire à quelqu’un qui ne veut pas mourir? Plus tard, en accompagnant des malades à l’hôpital Notre-Dame, j’ai dû apprendre quoi dire à un enfant de 5 ans, à une mère de 30 ans. Le mensonge n’a plus sa place. L’écoute silencieuse constitue l’essentiel de notre rôle. Il s’agit d’arriver à être à l’aise dans ce lourd silence.

Y arrivez-vous?

Chaque malade a tout ce qui est nécessaire pour aller jusqu’au bout de son chemin, physiquement et psychologiquement. Il ne faut pas sous-estimer ses capacités. Le corps sait mourir. Le cœur aussi. En me parlant, le malade poursuit sa réflexion et trouve les réponses à ses questions tout seul. Par rapport à sa vie, ses choix, sa maladie.

La personne qui accompagne se donne complètement…

Complètement, mais pas trop souvent. C’est ainsi que chaque expérience demeure épanouissante. Si j’allais à l’hôpital plus d’une soirée par semaine, je m’attacherais trop. Bien sûr, je suis touchée quand une personne malade s’en va, mais pas comme si elle était proche de moi. Je reçois beaucoup plus que je ne donne. En deux ans, mes valeurs ont évolué; j’apprécie de plus en plus ce que j’ai. Les angoisses monétaires de la vie de pigiste se sont envolées. Il n’y a plus d’argent? Il y en aura d’autre. Et si je ne peux plus payer ou rembourser l’hypothèque? Eh bien, je vendrai la maison. Quand on s’en va pour de bon, on ne prend rien avec soi, alors pourquoi s’en faire…

En feriez-vous un métier?

Non. Donner sans rien attendre en retour, c’est comme payer son psychologue. Ça fait partie de la thérapie. J’ai la meilleure part en restant bénévole. Si on n’en retire pas quelque chose soi-même, il ne faut pas accompagner. Ce serait usant et le malade le sentirait. Tout le monde doit y trouver son compte.

La mort Taboue

À chaque siècle, sa perception de la mort. Le XXe siècle a été celui de la mort taboue. Le monde occidental rêve depuis longtemps d’atteindre l’immortalité. Dans un premier temps, les progrès de la médecine vont laisser croire aux êtres humains qu’ils pourraient bien y arriver un jour. Pourtant, au fil des décennies, cancer, maladies cardiovasculaires, maladies dégénératives et sida auront vite fait de dépasser la science. Et la violence meurtrière de dépasser l’être humain : les deux guerres mondiales donnent à la mort un sens tragique. Le génocide juif ne fait qu’accentuer notre peur de la destruction et de l’horreur. Dans le reste du monde, les guerres et les génocides, surmédiatisés en Occident, n’arrangeront rien. La mort révolte, et le silence s’installe. Parallèlement, la religion se retire, emportant avec elle son discours apaisant, son sens du rituel et du sacré. Si bien qu’on ne pense plus à sa propre mort ni à celle des autres. Prendre des dispositions pour le « repos éternel » passe de mode. « Au début du siècle, les rituels s’intégraient naturellement à la vie de l’entourage endeuillé. La personne morte était exposée sur une planche de bois, dans le salon, entourée de cierges. Sur la porte d’entrée, un ruban noir affichait le deuil de la maisonnée. Tout le monde portait le noir et même l’église était décorée de draps sombres pour l’occasion, rappelle Julie Néron, étudiante en histoire à l’Université Laval. À l’époque, c’est la mort qu’on regardait en face et la sexualité qui était taboue. Aujourd’hui, ce sont les cadavres qu’on ne veut pas montrer aux enfants. » Vers le milieu du siècle, on meurt de moins en moins dans son lit, avec ses proches, mais à l’hôpital, avec le personnel soignant et des appareils sophistiqués. Une forme de rituel moderne. Le malade semble appartenir à la science. En fin de siècle, une majorité de gens meurent à l’hôpital. Au Québec, la multiplication des foyers pour personnes âgées est exponentielle : même la vieillesse est occultée. L’entrepreneuriat funéraire, autre rite s’il en est, a pris la place que l’Église a laissée. Des formalités administratives à l’embaumement du cadavre, l’entreprise gère tout. Les familles n’ont même plus à toucher l’être aimé. La commercialisation de la mort les a dépossédées. L’exposition de la dépouille se fait au salon funéraire, où les démonstrations de chagrin ne sont pas de bon ton. Grâce aux techniques de maquillage perfectionnées, on présente la personne décédée comme vivante, fuite ultime face à la mort. À ce degré de déni, on peut se demander si elle fait encore partie de la vie…
Source : Colette Gendron et Micheline Carrier. La mort : condition de la vie, Presses de l’Université du Québec, .